Ottawa sert un ultimatum à Québec et intime au gouvernement Legault de présenter « au plus tard le 1er mai » sa stratégie de protection et de rétablissement du caribou, sans quoi le gouvernement fédéral pourrait lui-même prendre des mesures, avant l’été, pour protéger cette espèce menacée.

Réitérant « l’urgence d’agir face au déclin continu du caribou » au Québec, le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a prévenu jeudi son homologue provincial, Benoit Charette, que l’élastique avait été étiré au maximum, dans une lettre que La Presse a obtenue.

Deux procédures distinctes sont enclenchées au gouvernement fédéral, et chacune pourrait conduire à l’adoption d’un décret pour protéger l’habitat du caribou au Québec, interdisant de facto, sur une portion du territoire de la province, les activités industrielles comme les coupes forestières, principales responsables du déclin du cervidé.

La première procédure, amorcée au début de 2023, découle du constat par Environnement et Changement climatique Canada que la quasi-totalité de l’habitat essentiel au Québec du caribou forestier, appelé caribou boréal par Ottawa, n’est pas efficacement protégée.

Le ministre Guilbeault doit présenter au plus tard en juin au Conseil des ministres fédéral les progrès accomplis par Québec pour mieux protéger l’habitat essentiel du caribou et indiquer si ces progrès sont selon lui suffisants ou si Ottawa doit intervenir, ce qui impliquerait une intervention à grande échelle.

La seconde procédure, entamée en octobre après des demandes en ce sens des Premières Nations, vise à déterminer si le caribou fait face à une « menace imminente » pour sa survie et son rétablissement.

Si Ottawa conclut que c’est le cas, le ministre Guilbeault sera tenu par la Loi sur les espèces en péril de recommander au Conseil des ministres d’adopter un décret d’urgence pour les hardes concernées, ce qui impliquerait dans ce cas-ci des interventions à plus petite échelle que dans la première procédure.

L’absence de stratégie québécoise pèsera lourd dans la balance, souligne le ministre Guilbeault, dans sa lettre.

« Dans le cas où je recommanderais un décret d’urgence, je vous rappelle qu’une stratégie publiée, ou l’absence d’une telle stratégie, pourrait influencer les délibérations du gouverneur en conseil dans sa décision d’accepter ou non ma recommandation », écrit-il.

Guilbeault « préoccupé »

Le choix des mots dans la lettre de Steven Guilbeault à son homologue Benoit Charette laisse transparaître l’exaspération du ministre fédéral, qui rappelle que l’engagement initial du Québec à présenter un plan pour renverser le déclin du caribou date de 2016.

Après différents reports, Québec s’était engagé en 2022 à présenter sa « Stratégie pour les caribous forestiers et montagnards » au plus tard en juin 2023, mais l’ampleur historique des incendies de forêt qui ont fait rage à ce moment avait mené à un énième report.

Puis, le plan devait finalement être rendu public « dans les premiers jours de janvier », avait affirmé le ministre Benoit Charette juste avant Noël.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Steven Guilbeault, ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique

Je suis très préoccupé par ces délais supplémentaires compte tenu de la situation extrêmement précaire de cette espèce et de la nécessité de mettre en œuvre rapidement des mesures de conservation concrètes et ambitieuses.

Steven Guilbeault, ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique

Cette missive intervient moins de deux semaines après que le ministre Guilbeault a publiquement montré des signes d’impatience, appelant à ce « qu’il se passe quelque chose bientôt », avait-il déclaré lors d’une conférence de presse, sans donner de date butoir à ce moment.

Le Québec est la seule province qui n’a pas conclu d’entente avec le gouvernement fédéral pour la protection du caribou, souligne le cabinet du ministre Guilbeault.

Le gouvernement Legault se prive ainsi de fonds fédéraux pour la protection du caribou et pour la transition économique des communautés concernées, rappelle le ministre dans sa lettre.

« La réouverture des négociations sur un éventuel accord de collaboration ne peut avoir lieu tant qu’Environnement et Changement climatique Canada n’a pas reçu et évalué la Stratégie », écrit le ministre.

Québec n’a toujours pas de date

Québec était toujours incapable vendredi de dire quand son plan serait présenté ni pourquoi il ne l’a pas encore été.

« Nous poursuivons le travail pour déposer une stratégie pour la protection de l’habitat du caribou forestier », s’est limitée à dire l’attachée de presse du ministre Charette, Amélie Moffet, ajoutant prendre acte de l’impatience d’Ottawa.

Le document est encore coincé à l’étape des consultations entre les différents ministères, autant du côté administratif que du côté politique, a indiqué à La Presse une source au courant du dossier, mais qui n’était pas autorisée à en parler publiquement.

En savoir plus
  • 673 703 km⁠⁠2
    Superficie de l’aire de répartition du caribou des bois au Québec, dont 37 % sont situés au sud de la limite des forêts attribuables à l’industrie forestière
    source : Bureau du forestier en chef du Québec