(Ottawa) Le gouvernement fédéral avait ordonné en septembre dernier un « examen de la sécurité nationale » au sujet de la populaire application vidéo TikTok, mais ne l’a pas divulgué publiquement.

« Il s’agit d’une affaire toujours en cours. Nous ne pouvons pas commenter davantage en raison des dispositions de confidentialité de la Loi sur Investissement Canada », a déclaré un porte-parole du ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne.

« Notre gouvernement n’a jamais hésité à [prendre] des mesures, lorsque cela est nécessaire, s’il s’avère qu’une affaire en cours d’examen porte atteinte à la sécurité nationale du Canada. »

Cette révélation intervient après que la Chambre des représentants a adopté mercredi un projet de loi qui interdirait la plateforme TikTok aux États-Unis, à moins que son propriétaire basé en Chine ne vende sa participation dans l’entreprise.

« Nous observons, bien sûr, le débat en cours aux États-Unis », a déclaré jeudi le premier ministre Justin Trudeau lorsqu’on lui a demandé si le Canada suivrait cette voie.

En réponse à la même question, le bureau du ministre Champagne a déclaré que le cabinet libéral avait déjà pris « une ordonnance pour l’examen de la sécurité nationale de TikTok Canada » le 6 septembre dernier.

Le cabinet du ministre a indiqué que cet examen était basé sur l’expansion d’une entreprise, la création d’une nouvelle entité canadienne. Le bureau du ministre Champagne a refusé de fournir plus de détails sur cette expansion.

Son bureau a déclaré que le décret du Cabinet n’était pas accessible en ligne, comme c’est l’habitude, parce que les informations sont protégées et confidentielles en vertu de la Loi sur Investissement Canada.

Le décret prévoyait que TikTok serait soumis à un « examen approfondi » en vertu de la loi dans le cadre d’une nouvelle politique sur les investissements étrangers dans le secteur des médias numériques interactifs, publiée par le gouvernement au début du mois de mars.

Cet énoncé de politique reconnaît que « certains acteurs hostiles parrainés ou influencés par un État pourraient chercher à tirer parti des investissements étrangers dans le secteur des médias numériques interactifs afin de propager la désinformation ou de manipuler l’information d’une manière portant atteinte à la sécurité nationale du Canada ».

L’examen canadien décrété en septembre n’est pas lié à la proposition de projet de loi américain, qui est motivé par des préoccupations selon lesquelles la structure de propriété actuelle de l’entreprise constitue une menace à la sécurité nationale.

« Comme vous le savez, le Canada a décidé qu’aucun téléphone ou appareil gouvernemental ne peut avoir l’application TikTok. C’est une question de sécurité et de sûreté, a déclaré M. Trudeau jeudi. Je ne peux pas commenter les examens de sécurité nationale. »

Le gouvernement canadien a interdit l’utilisation de l’application TikTok sur tous les appareils mobiles de l’État en février 2023, après que les commissaires fédéraux et provinciaux à la protection de la vie privée ont lancé leur propre enquête sur la plateforme. Plusieurs gouvernements provinciaux, dont celui du Québec, ont rapidement emboîté le pas.

Un porte-parole de TikTok a déclaré que l’entreprise continuait de « coopérer à l’examen par le gouvernement des investissements de TikTok au Canada ». Le porte-parole a déclaré que l’entreprise restait « déterminée à assurer la sûreté et la sécurité de la plateforme pour les millions de créateurs, d’artistes et de petites entreprises au Canada qui comptent sur TikTok pour gagner leur vie, trouver une communauté et créer des emplois ».

Propriété chinoise

TikTok est une filiale en propriété exclusive de la société technologique chinoise ByteDance. Les législateurs américains affirment que ByteDance est redevable envers le gouvernement chinois, qui pourrait exiger l’accès aux données des consommateurs américains de TikTok, compte tenu des lois chinoises sur la sécurité nationale qui obligent les organisations à contribuer à la collecte de renseignements.

Le projet de loi de la Chambre doit encore être adopté par le Sénat, où les législateurs ont indiqué qu’il serait soumis à un examen approfondi. Le président américain Joe Biden a déclaré que si le Congrès adoptait la mesure, il la ratifierait.

Près de 30 % des répondants canadiens à un sondage réalisé en octobre 2022 par l’Université métropolitaine de Toronto ont déclaré qu’ils utilisaient TikTok.

Pour de nombreux créateurs canadiens de contenu sur TikTok, le marché américain est primordial, a déclaré Scott Benzie, directeur de l’organisme « Digital First Canada », qui défend les créateurs numériques et a déjà reçu du financement de TikTok. « Si une interdiction est effectivement adoptée aux États-Unis, des carrières canadiennes sur TikTok seront terminées », a-t-il estimé.

Pour les créateurs de contenu qui gagnent de l’argent grâce aux commandites, « de toute évidence, la plupart de ces marques veulent un accès au public américain – et si ce n’est plus possible, alors cet argent disparaît ».

Mais Nathan Kennedy, un créateur de contenu sur les finances personnelles de Hamilton, en Ontario, ne s’en fait pas trop pour l’instant, soulignant que les menaces d’interdiction de TikTok planent depuis des années.

TikTok est sa plus grande plateforme et la majorité de son audience se trouve aux États-Unis. Il trouve difficile de croire qu’une interdiction se produira réellement et obligerait TikTok à quitter les États-Unis. Mais si l’hypothétique pire scénario se produisait, M. Kennedy se tournerait vers d’autres plateformes.

« Les gens vont toujours regarder du contenu, ça ne va pas changer. C’est l’endroit où ils regardent leur contenu qui pourrait changer avec le temps, a-t-il dit. Je ne veux pas avoir l’air d’être insouciant, mais c’est le genre de choses qu’on doit accepter […] autrement dit, on doit aller là où se trouve l’auditoire. »