Le gouvernement fédéral poursuit ses démarches afin d’imposer par décret la protection du caribou au Québec, dans l’éventualité où la stratégie de rétablissement de l’animal que prépare le gouvernement Legault serait insatisfaisante à ses yeux.

Le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique Steven Guilbeault a officiellement informé dans les derniers jours son homologue québécois Benoit Charette du résultat de l’analyse de la protection de l’habitat essentiel du caribou forestier au Québec menée par Ottawa en vertu de la Loi sur les espèces en péril.

« La quasi-totalité de l’habitat essentiel du caribou [forestier, appelé caribou boréal par Ottawa] au Québec n’est pas efficacement protégée », écrit le ministre Guilbeault dans sa lettre, dont La Presse a obtenu copie.

« Je suis maintenant tenu, conformément à la Loi, de recommander à la gouverneure en conseil la prise d’un décret de protection pour les parties non protégées de l’habitat essentiel du caribou boréal », ajoute-t-il.

Cette missive fait partie du processus normal prévu à la Loi et ne signifie pas qu’Ottawa s’apprête à agir avant la publication de la stratégie québécoise de rétablissement du caribou, dont la publication quelques fois reportée est maintenant attendue en juin, a indiqué à La Presse le cabinet de Steven Guilbeault.

« Mon avis n’affecte en rien les échanges qui ont cours présentement en vue d’arriver à une solution durable pour le caribou », souligne d’ailleurs le ministre dans sa lettre.

« J’attends votre stratégie finale de conservation d’ici la fin juin 2023 qui, à ne pas en douter, sera fondée sur la science et sera élaborée en consultation avec les peuples autochtones », ajoute-t-il.

Mais le gouvernement fédéral sera dès lors en mesure d’imposer une protection par décret s’il estime que la stratégie québécoise est insuffisante.

Impact considérable

Québec maintient que la stratégie de rétablissement du caribou sera prête à temps et dit vouloir éviter à tout prix une intervention fédérale.

« Nous n’avons pas changé de position : la protection et le rétablissement du caribou forestier et montagnard, c’est une compétence et une responsabilité du gouvernement du Québec », a indiqué le ministre québécois de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, dans une déclaration transmise à La Presse.

« On ne peut toutefois pas faire abstraction de l’importance de la foresterie dans les régions, d’où la nécessité de bien faire les choses avec les parties prenantes », a-t-il ajouté, disant souhaiter poursuivre la collaboration avec le gouvernement fédéral.

Des rencontres avec les parties prenantes auront d’ailleurs lieu cette semaine et la consultation des nations autochtones concernées est également prévue, a ajouté le cabinet du ministre Charette.

L’impact sur l’industrie forestière de mesures de protection fédérales serait autrement plus important que celui des mesures envisagées par Québec, affirme le cabinet du ministre, qui constate que certains joueurs de l’industrie « ne prennent pas au sérieux la menace d’un décret fédéral ».

Un calcul effectué par le Bureau du forestier en chef du Québec montre que la protection de la totalité des 251 067 km⁠2 (25 millions d’hectares) de l’aire de répartition des caribous forestiers et montagnards située au sud de la limite des forêts attribuables à l’industrie forestière se traduirait par une baisse du volume de bois pouvant être récolté de 14 millions de mètres cubes (m⁠3) par année.

Cela représente 40 % des 35 millions de m⁠3 de volume de bois pouvant être récolté annuellement – ce qui s’appelle le « calcul des possibilités forestières », dans le jargon de l’industrie – pour la période 2023-2028.

Un tel niveau de protection représente toutefois un scénario « hypothétique », reconnaît le cabinet du ministre Charette ; Ottawa n’a pas voulu préciser lundi la superficie de territoire qu’il envisage de protéger si la stratégie de Québec ne le satisfait pas.

Terres publiques

Environ 98 % de l’aire de répartition du caribou forestier au Québec se trouve sur des terres publiques et « une grande proportion de ce territoire est soumise à des activités d’exploitation forestière », souligne le résumé de l’analyse fédérale accompagnant la lettre du ministre Guilbeault.

Cette activité entraîne à de nombreux endroits un taux de perturbation de l’habitat du caribou trop élevé pour assurer l’autosuffisance des populations, note l’analyse fédérale en citant le Bureau du forestier en chef du Québec.

L’équipe québécoise de rétablissement du caribou a pourtant produit dans le passé des lignes directrices visant à limiter le taux de perturbation de l’habitat du cervidé à un maximum de 35 %, considéré comme la limite que l’animal peut tolérer.

« Toutefois, ces nouvelles lignes directrices n’ont pas été intégrées à la planification forestière de 2018-2023 », souligne l’analyse, ajoutant que « les anciennes lignes directrices, moins contraignantes, sont toujours en vigueur ».

Les mesures de protection actuelles se traduisent selon le bureau du Forestier en chef par une baisse des « possibilités forestières » de 818 700 m⁠3 par année pour la période 2023-2028, soit 2,3 % du volume total pouvant être récolté.

Distinguer les caribous

Le caribou est divisé en plusieurs sous-espèces, dont une seule vit au Québec : le caribou des bois (Rangifer tarandus caribou). Il en existe trois « écotypes », c’est-à-dire des variétés qui se sont génétiquement adaptées aux conditions propres à leur milieu : le caribou migrateur, dans le nord du Québec, le caribou forestier (appelé boréal par Ottawa), au nord du fleuve Saint-Laurent, et le caribou montagnard, en Gaspésie et dans les monts Torngat, à la frontière du Québec et du Labrador.

En savoir plus
  • 673 703 km⁠2
    superficie de l’aire de répartition du caribou des bois au Québec, dont 37 % sont situés au sud de la limite des forêts attribuables à l’industrie forestière
    source : Bureau du Forestier en chef du Québec