(Rouyn-Noranda) Deux cents ménages ont beau attendre que soit rasée leur maison à l’ombre des cheminées de la Fonderie Horne de Rouyn-Noranda et d’être relocalisés, pour certains, la vie continue, au point d’investir dans la rénovation de leur propriété appelée à être démolie. Même si les autorités réitèrent que le projet ira de l’avant, ce n’est pas demain la veille qu’il se réalisera.

Bien des gens ont été étonnés de voir le 215, 8Rue être levé de terre à l’automne 2023. « C’était une maison qui avait besoin de beaucoup d’amour ! », lance Émilie Leclerc, propriétaire du duplex situé de l’autre côté de la rue où toutes les résidences seront démolies. « Ils ont tout relevé, fait le solage, changé la fenestration, ils ont tout arraché au grand complet. C’est un peu spécial dans le contexte de la zone tampon. »

La mère de deux enfants a pour sa part décidé de mettre sur pause le chantier amorcé dans son sous-sol à la suite d’un refoulement d’égouts. « Il a fallu que je casse le ciment pour installer les clapets anti-refoulement que les assurances exigeaient. On y allait progressivement. Mais j’ai beaucoup de difficulté à installer des matériaux neufs qui vont être démolis dans quelques années », dit-elle, se demandant si ses nouveaux voisins d’en face « savent quelque chose qu’elle ne sait pas ».

PHOTO ÉMILIE PARENT-BOUCHARD, COLLABORATION SPÉCIALE

Début octobre, le 215, 8Rue est soulevé de terre pour des travaux sur la fondation permettant l’aménagement d’un sous-sol.

Il y a plus d’un an, Québec annonçait une entente : Glencore, propriétaire de la fonderie, achètera les 80 bâtiments du quartier Notre-Dame, contaminé depuis des décennies par l’usine, pour les démolir. L’État viendra en aide aux 200 ménages de ce qu’on appelle la « zone tampon » qui les occupent et qui devront déménager, ainsi qu’à la municipalité.

Au bout du fil, la propriétaire du 215, 8Rue, Mélanie Garneau, précise qu’elle suit simplement le plan de match pour lequel elle avait obtenu le financement avant l’entente. Bien que l’acquisition de la propriété ait été officialisée le 1er mai 2023, donc après l’annonce du gouvernement, elle fait valoir qu’elle était déjà liée légalement par une promesse d’achat sur le duplex qui a été inhabité pendant plusieurs mois à la suite de la mort de son ancien propriétaire.

Il faut « réparer les erreurs du passé », dit la Ville

Mélanie Garneau a obtenu de la Ville de Rouyn-Noranda tous les permis nécessaires pour aller de l’avant avec les rénovations et ajoute que les logements, destinés à des gens qui vont et viennent à Rouyn-Noranda pour travailler temporairement, seront prêts à la location dans les prochaines semaines. Mme Garneau estime de toute façon que les premiers déménagements sont encore loin.

Il s’agit d’une opinion partagée par la mairesse de Rouyn-Noranda, qui précise que la Ville n’a pas eu le choix de délivrer les permis demandés puisqu’ils respectaient la réglementation municipale.

Diane Dallaire ajoute qu’on s’est assuré que les investisseurs étaient bien au fait que leur immeuble sera éventuellement détruit pour assurer une saine distance entre la population et les émissions toxiques de la fonderie.

« On ne peut pas empêcher d’entreprendre et ce n’est quand même pas demain que les gens sont relocalisés. Il reste encore des années à vivre dans le secteur. Alors la vie continue », laisse tomber la mairesse, rassurée par l’officialisation récente de l’entente avec le ministère des Affaires municipales qui prévoit le versement à la municipalité de 45 millions de dollars pour la relocalisation.

« Il faut réparer les erreurs du passé. Même si la qualité de l’air demain matin était correcte, il reste que c’est une industrie lourde, il y a du bruit, des camions. On ne verrait plus ça aujourd’hui », poursuit l’élue.

Mme Dallaire espère d’ailleurs profiter de l’aménagement d’un nouveau quartier qu’elle souhaite écoresponsable pour que Rouyn-Noranda devienne le « leader québécois en matière de verdissement et d’aménagement favorable à la santé ».

La réputation de Rouyn-Noranda a été mise à mal. La relocalisation, c’est la priorité 1, mais on va plus loin avec un plan de revalorisation de 300 millions sur cinq ans.

Diane Dallaire, mairesse de Rouyn-Noranda

Des compensations connues avant la fin de la session parlementaire ?

La sous-ministre adjointe à la coordination des actions gouvernementales dans le cadre du dossier de la Fonderie Horne, Guylaine Marcoux, a récemment passé quelques jours à Rouyn-Noranda afin de démarrer les travaux pour la définition des programmes de compensation avec les propriétaires et les locataires concernés. Doit-on, dans un cas comme celui du 215, 8Rue, offrir une compensation à la succession du vendeur ou au nouvel acheteur ?

On se penchera sur les compensations de départ, le remboursement des dépenses liées au déménagement, le niveau d’imposition d’éventuels gains en capital ou encore la durée des aides au paiement du loyer.

Mme Marcoux espère pouvoir présenter ce programme aux élus début juin, en vue d’une adoption avant la fin de la session parlementaire « pour permettre aux citoyens de pouvoir prendre les meilleures décisions dans les semaines qui suivront ». La ministre des Affaires municipales se dit « très confiante » de respecter cet échéancier. « Oui, il faut patienter, mais le gouvernement est vraiment à l’écoute. L’important est de sécuriser les résidants et que ceux-ci soient très bien logés », souligne Andrée Laforest.

On ne veut pas s’enrichir ou s’appauvrir, on veut simplement ravoir ce qu’on perd.

Émilie Leclerc

Quant à Glencore, après avoir semé l’émoi à la mi-février en laissant entendre que le projet de modernisation de la Fonderie Horne était en péril en raison d’une augmentation des coûts de l’ordre de 50 % – de 500 millions à 750 millions –, on a confirmé la semaine dernière que le projet passait à la phase de faisabilité. Restera à obtenir une « approbation interne finale » de l’étude de faisabilité, une étape qui devrait être terminée avant la fin de 2024.

On assure qu’entre-temps, le processus d’acquisition des résidences de la zone tampon, une opération pour laquelle l’entreprise a réservé une enveloppe de 30 millions, suit son cours.

« Environ 25 % des propriétés situées dans cette zone ont été acquises par la Fonderie Horne », écrit la surintendante aux communications et relations avec le milieu, Cindy Caouette.

Rectificatif : Une modification a été apportée à ce texte après sa publication. La citation « on ne veut pas s’enrichir ou s’appauvrir, on veut simplement ravoir ce qu’on perd », avait initialement été attribuée à la mauvaise intervenante. Nos excuses.