Il est très émouvant de se faire raconter la création de la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF) par la gardienne de but Ann-Renée Desbiens, surnommée « La grande muraille de Charlevoix ». Elle est considérée comme la meilleure goaleuse du monde en ce moment et est auréolée de médailles, dont une d’or aux Jeux olympiques de Pékin en 2022.

J’ai beau m’estimer féministe, je n’ai pas vraiment suivi le hockey féminin dans ma vie, mais j’aurais dû, et j’ai bien l’intention de me rattraper.

Ayant grandi dans une famille qui avait le CH tatoué sur le cœur, j’ai la fièvre du hockey quand le Canadien fait les séries, mais j’ai si souvent été déçue par les décisions de cette équipe, en plus d’attendre une Coupe Stanley qui n’arrive pas depuis plus de 30 ans, que ça me donne envie de transposer ma passion de fan de salon sur la LPHF. Surtout après les scandales à Hockey Canada, qui ont failli me faire perdre à jamais mon respect pour ce sport.

Mais après avoir pris un café avec Ann-René Desbiens, je sens un gros retour de flamme.

Nous vivons dans un pays de hockey, une province de hockey, une ville de hockey. Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour qu’une équipe professionnelle féminine existe chez nous ?

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Ann-Renée Desbiens

Je pense que le hockey est un sport très conservateur et masculin. On doit changer les mentalités et accepter ce sport pour ce qu’il est. On ne compare pas le tennis féminin au tennis masculin, alors qu’au hockey, on se fait toujours comparer. C’est encore une bataille que nous avons à mener.

Ann-Renée Desbiens

Bien sûr, elle a entendu pendant toute sa carrière des commentaires sexistes, des gens surpris que les hockeyeuses soient bonnes sur la glace (!), mais le succès réel de la LPHF, tel qu’il est rapporté avec enthousiasme par mes collègues des Sports, est en train de tout changer. Il est impossible de mettre la main sur des billets à l’Auditorium de Verdun ou à la Place Bell. Le public est diversifié et compte autant de petits garçons que de petites filles. Alors que la première saison de la LPHF vient à peine de commencer, on a battu un record d’assistance le 16 février dernier lors de l’affrontement Montréal-Toronto au Scotiabank Arena : une salle comble de près de 20 000 spectateurs. Si ça continue sur cette lancée, elles vont bien finir par remplir le Centre Bell et, n’en doutez pas, c’est dans les ambitions des joueuses de l’équipe montréalaise.

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Ann-Renée Desbiens fait un arrêt contre l’équipe de New York le 16 janvier dernier à la Place Bell de Laval.

Un chemin rempli d’obstacles

Quand Ann-Renée Desbiens m’explique les obstacles qui ont toujours miné le parcours des hockeyeuses au pays, je ne peux m’empêcher de penser à Maurice Richard, qui avait une job le jour et jouait au hockey le soir.

Une petite fille mordue de hockey qui rêvait de gagner sa vie avec ce sport n’avait, jusqu’en 2024, aucun avenir professionnel à part les Jeux olympiques et des championnats mondiaux. « Les Jeux olympiques étaient la seule fenêtre, je dirais, où on pouvait observer les femmes jouer au hockey », note Ann-Renée Desbiens, qui a grandi dans Charlevoix dans une famille passionnée par la rondelle.

« Ce n’était assurément pas un choix traditionnel pour une fille, je me suis fait dire à de nombreuses reprises que je devais changer de sport, que je n’avais pas d’avenir dans ce domaine, de passer à autre chose, dit celle qui a bien failli abandonner sa carrière pour se lancer dans la comptabilité. C’est le fun de dire qu’à 29 ans, bientôt 30 ans, c’est comme ça que je gagne ma vie, que c’est mon travail. Que finalement, c’était possible ! »

Bien sûr, les joueuses de la LPHF ne font pas les salaires des joueurs de la LNH. Mais elles peuvent enfin se consacrer au hockey à temps plein, elles n’ont plus à gérer des horaires de glace impossibles en marge d’un boulot pour payer les factures, elles peuvent enfin construire un public, qui a déjà l’air impatient de participer à l’écriture d’un nouveau chapitre de notre sport national.

Et vous savez pourquoi c’est en train d’arriver ? Parce qu’elles ont fait preuve de solidarité et tenu fermement leur bout du bâton, alors que le sport féminin est en train d’attirer de plus en plus les investisseurs, qui y voient maintenant un marché, plutôt qu’une charité.

« On a travaillé fort pour avoir cette ligue, rappelle Ann-Renée Desbiens. Pendant plusieurs années, on a refusé de jouer parce qu’on voulait avoir de bonnes conditions. Il y avait des ligues qui existaient, mais les conditions n’étaient pas idéales. On a dit : on ne joue plus, on va s’asseoir, établir nos conditions, on va faire un plan d’affaires, on s’est entourées d’avocats, on a mis nos choses en place et c’est comme ça qu’on a trouvé notre investisseur. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Ann-Renée Desbiens

C’était important pour nous d’arrêter d’être satisfaites de ce qu’on nous donnait. Comme femmes, on se fait souvent dire d’être contentes de ce qu’on a, qu’on est chanceuses de pouvoir jouer. Nous sommes arrivées à un moment où on a mis notre pied à terre : OK, on n’est pas chanceuses, on l’a mérité.

Ann-Renée Desbiens

Bref, elles voulaient être enfin prises au sérieux, et pour cela, elles ont dû résister aux tentations d’offres alléchantes, mais pas toujours à la hauteur de leurs exigences. « Je ne mentirai pas là-dessus, pour beaucoup de joueuses, on a perdu de bonnes années de nos carrières, mais on était prêtes à sacrifier ces années pour les prochaines générations. On s’est tenues ensemble. C’est la première fois dans le milieu qu’une ligue commence avec une convention collective. C’était important pour nous de protéger les droits des joueuses et les employés de la ligue, d’avoir des assurances maladie, des congés de maternité, des conditions de travail, des repas fournis à l’aréna... »

L’investisseur principal, l’homme d’affaires Mark Walter, a d’ailleurs été surpris de se faire demander des repas fournis, ce qui pour lui relevait de l’évidence, mais les hockeyeuses n’avaient jamais eu droit à ça !

C’est vraiment la concrétisation d’un rêve pour les hockeyeuses et Ann-Renée Desbiens a bien sûr une pensée pour toutes les pionnières qui l’ont précédée : Manon Rhéaume, Danielle Goyette, Kim St-Pierre...

« Sans elles, on ne serait pas là où on est aujourd’hui et on sera toujours reconnaissantes, souligne-t-elle. C’est maintenant un rêve pour toutes les joueuses de hockey dans le monde, ce n’est plus seulement l’exclusivité de l’équipe nationale. Ça va rendre le hockey féminin accessible à plus de joueuses et leur permettre de jouer plus longtemps. En grandissant, tu vois les gars gagner la Coupe Stanley, tu t’imagines à la partie 7 lever cette coupe-là, mais ce n’était pas des occasions qu’on avait au hockey féminin. Maintenant, ça va ouvrir plus de portes, apporter plus de visibilité et plus de chances aux filles d’avoir des souvenirs extraordinaires. »

Ann-Renée Desbiens m’apprend au détour que les filles ont créé un club de lecture au sein de l’équipe, ce qui me ravit alors que j’étais déjà conquise. Mais au fait, ça ressemble à quoi, un vestiaire de hockeyeuses ?

« Je suis choyée, j’ai la chance de travailler avec mes meilleures amies, on passe beaucoup de temps ensemble. On se connaît toutes très bien tant sur le plan professionnel que personnel, et on a beaucoup de plaisir. C’est une ambiance exceptionnelle, inclusive. Nous sommes fières de la culture que nous avons construite dans les équipes où on a eu à jouer et dans nos vestiaires, je pense que nos valeurs sont différentes. On n’a pas grandi avec l’idée que ça nous était donné, il a fallu travailler fort pour avoir ça, et on veut avoir un impact positif sur les communautés. »

C’est déjà commencé, et même si l’équipe n’a pas encore de nom et de logo, ce qui ne saurait tarder, j’ai vraiment hâte d’acheter mon premier chandail du club féminin de Montréal.

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : C’est de l’amour pur. J’aime la routine du café, j’adore l’odeur, le fait de prendre le temps de me lever le matin. Avec mes coéquipières, on essaie les différents cafés de Verdun, ça nous permet de jaser.

Trois joueuses ou joueurs que tu aimerais réunir autour d’une table : J’aimerais voir les différences entre les années. J’irais avec des Québécois : Maurice Richard, Danielle Goyette et Marie-Philip Poulin.

Le don que tu aimerais posséder : Guérir le cancer.

La dernière fois que tu as pleuré : Mon Dieu, ça ne doit pas faire longtemps. Je suis vraiment mauvaise perdante, et des fois quand je perds, je deviens émotive. C’était probablement une défaite. Ou un film. J’ai commencé à regarder en retard District 31 et la mort de Nadine Legrand m’a beaucoup touchée dernièrement ! [Rires]

Qui est Ann-Renée Desbiens ?

  • Née le 10 avril 1994 à Clermont (Charlevoix-Est).
  • En 2016, elle a été repêchée par la Ligue nationale de hockey féminin américaine.
  • En 2017, elle a reçu le trophée Patty-Kazmaier qui récompense la meilleure joueuse du championnat universitaire de la NCAA.
  • Elle a remporté une médaille d’argent aux Jeux de PyeongChang en 2018 et une médaille d’or aux Jeux de Pékin en 2022.
  • En 2023, elle fait partie, avec Marie-Philip Poulin et Laura Stacey, des trois premières joueuses officielles de l’équipe de Montréal au sein de la LPHF.
Qu’en pensez-vous ? Exprimez votre opinion