Le REM accueille (enfin) ses premiers passagers ce week-end. En favorisant la construction résidentielle et la densification autour de ses stations, ce nouveau métro léger a déjà influencé le développement du Grand Montréal. Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville, propose quatre sources pour voir comment les transports collectifs peuvent améliorer les villes, ici comme ailleurs.

Une étude de cas : la preuve… par Laval

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Un chantier de construction tout près de la station de métro Montmorency, à Laval, en 2021. Le prolongement de la ligne orange a stimulé l’émergence de quartiers à usage mixte à proximité des stations dans l’île Jésus.

Le transport a toujours eu un impact fondamental sur les villes. Montréal a vu le jour puis a grandi dans l’archipel d’Hochelaga parce que les rapides de Lachine ont longtemps été infranchissables. L’arrivée du train, des tramways, puis des autoroutes a ensuite eu de fortes influences sur la construction du centre-ville, le peuplement de quartiers comme Rosemont ou le Plateau Mont-Royal et l’étalement urbain, rappelle Christian Savard. N’empêche, tous n’ont pas toujours été convaincus que l’ajout de transports en commun pouvait avoir d’importants effets transformateurs. Or, l’arrivée du métro à Laval a permis d’en faire la preuve. Dans leur article « Build it and they will come : How does a new public transit station influence building construction ? », publié en 2022 dans Journal of Transport Geography, Marie-Pier Champagne, Jean Dubé et Philippe Barla font en effet la démonstration que la construction résidentielle et commerciale a été stimulée autour des stations du métro à Laval. Ce qui a favorisé la croissance de quartiers à usage mixte. Un constat, validé par des pairs, qui réjouit Christian Savard. « Le métro à Laval est un succès ! dit le directeur général de l’organisme voué au développement de collectivités viables. La recette est en train de prendre, aussi parce qu’on dit non aujourd’hui à l’étalement et que le mode de vie urbain a en partie regagné ses lettres de noblesse. »

Consultez l’étude de Marie-Pier Champagne, Jean Dubé et Philippe Barla (en anglais)
Lisez un article en français de Marie-Pier Champagne, Jean Dubé et Philippe Barla (voir page 35)

Une série documentaire : des conditions gagnantes

PHOTO TIRÉE DU SITE DE WATERFRONT TORONTO

Le quartier de West Don Lands, à Toronto, est desservi par une nouvelle ligne de tramway.

Suffit-il vraiment d’augmenter l’offre de transports en commun pour dynamiser une ville et, du même coup, favoriser la densification, diminuer la congestion automobile et protéger les derniers espaces verts contre l’étalement urbain ? Ce serait trop beau. Il faut que certaines conditions soient remplies pour que ça fonctionne, prévient Christian Savard. Ainsi, ce transport doit être fréquent, avec des départs « toutes les 15 minutes ou moins », fiable et offert en tout temps, ou presque. Le « train de l’Est », la ligne de train de banlieue qui relie la gare Centrale à Mascouche, est un exemple des choses à ne pas faire quand on vise une « mobilité durable ». Inaugurée en 2014, après des investissements publics de 750 millions, elle est aujourd’hui moribonde. Notamment parce qu’elle a été détournée pour la construction du REM, mais aussi parce qu’elle n’offre que huit départs quotidiens en semaine. Avec sa série documentaire Point tournant, l’organisme Accès transports viables présente « un bon topo du b.a.-ba de l’effet structurant » d’une mobilité bien conçue, juge Christian Savard. Dans l’épisode « Adapter nos villes grâce à la mobilité durable », la série s’attarde notamment aux TOD (Transit-Oriented Development), ces quartiers denses construits autour d’un moyen de transport collectif. Il y est question de projets inspirants à Portland, aux États-Unis, mais aussi à West Don Lands, à Toronto, ou à la Pointe-aux-Lièvres, à Québec.

Voyez l’épisode « Adapter nos villes grâce à la mobilité durable » de la série Point tournant

Une capsule vidéo : le modèle de Washington

IMAGE TIRÉE DU SITE DU COMTÉ D’ARLINGTON

Les responsables du comté d’Arlington, en Virginie, ont choisi de concentrer la construction immobilière à quelques minutes de marche des cinq stations de métro qui mènent au centre-ville de Washington D.C. Un concept baptisé « Bull’s Eye ».

Des villes denses où les gens marchent ou font du vélo plutôt que de passer de longues heures au volant pour aller au travail ou faire des courses, on en trouve bien sûr en Europe. À Copenhague, au Danemark, par exemple, les urbanistes favorisent depuis longtemps la densification autour des lignes de train, ce qui a notamment protégé des espaces naturels. Mais… ce qui s’est passé dans les environs de la capitale américaine depuis les années 1990 ressemble peut-être davantage à ce qu’on devrait voir avec le REM, croit Christian Savard. « On a amené une branche du métro de Washington dans une banlieue, Arlington, qui peut faire penser à Brossard ou à Pierrefonds, explique-t-il. De banlieue pavillonnaire, elle est devenue beaucoup plus mixte, avec des commerces de proximité et des options de transport, de l’auto et du vélopartage. Une belle incarnation du cercle vertueux de la mobilité durable dans une ville américaine classique, à une certaine distance du centre-ville. » Dans une capsule vidéo, l’organisme Vivre en Ville raconte l’histoire du succès du Rosslyn-Ballston Corridor, que beaucoup veulent reproduire. Bien sûr, le développement de « mini centres-villes » autour des gares fait parfois face à de la résistance, comme on a pu le voir à Pointe-Claire. Un blocage qui nuit au rendement de l’investissement massif dans le REM, se désole M. Savard.

Voyez la capsule « Retisser la ville » de Vivre en Ville

Une entrevue : viser la ville du quart d’heure

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA VILLE DE PARIS

Dans la ville du quart d’heure, toutes les activités quotidiennes sont accessibles en 15 minutes à pied. Les transports collectifs permettent de relier ces quartiers les uns aux autres.

« L’objectif ultime de la mobilité durable, c’est de faire en sorte que les gens puissent faire la majorité de leurs activités sans voiture », explique Christian Savard. Pour y arriver, poursuit-il, il faut miser sur la ville de proximité, où tout – aller à l’école, faire son épicerie, visiter la bibliothèque, etc. – peut se faire à pied en 15 minutes. Le concept a le vent en poupe depuis que la maire de Paris, Anne Hidalgo, en a fait l’un de ses objectifs en 2020. Pour mieux découvrir ce modèle, Christian Savard propose une entrevue accordée par l’urbaniste Jean-Philippe Meloche au 15-18, d’ICI Première. Or, la « ville du quart d’heure » doit pouvoir compter sur un mode de transport comme le REM (ou le métro) pour permettre à ses habitants de quitter le pôle de leurs activités quotidiennes sans avoir besoin d’une voiture. « Il ne peut pas y avoir de grandes salles de spectacle dans tous les quartiers », dit-il. À l’heure actuelle, à Montréal, c’est l’est de l’île qui a le plus besoin d’un nouveau réseau structurant, estime celui qui a récemment proposé la création d’un « REM rose » dans l’axe centre-ville – Montréal-Nord (comme la ligne rose mise de l’avant par Projet Montréal en 2017). Si le mode de transport exact et son tracé font encore l’objet de débats, convient M. Savard, une chose est certaine, il faut agir sans tarder.

Écoutez l’entrevue accordée par Jean-Philippe Meloche au 15-18 Consultez un dossier de la Ville de Paris consacré à la ville du quart d’heure

Qui est Christian Savard ?

  • Titulaire d’une maîtrise en aménagement du territoire et développement régional, Christian Savard est directeur général de Vivre en Ville depuis 2006.
  • Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages sur la mobilité durable et l’urbanisme.
  • Son expertise lui vaut d’être souvent consulté par des instances publiques ou privées pour l’élaboration de politiques en transport et en aménagement urbain, notamment. Il a récemment proposé la création d’un « REM rose » pour doter l’est de la métropole d’un réseau de transport structurant.