Nommez une chanteuse québécoise populaire, âgée de 35 à 45 ans, qui vient de sortir un album ou qui fait de la tournée.

Bonne chance.

Il en reste très peu. Les deux seules femmes de cette tranche d’âge qui ont percé le palmarès des 20 interprètes québécois les plus écoutés, l’an dernier, sont Marie-Annick Lépine, des Cowboys Fringants, et la pianiste Alexandra Stréliski – qui ne chante pas.

Où sont passées les autres ?

Plusieurs ont pris une pause de la musique. Ou ajouté d’autres cordes à leur arc. Marie-Mai, Annie Villeneuve et Marie-Ève Janvier sont animatrices. Stéphanie Lapointe est auteure jeunesse. D’autres ont tout simplement quitté le métier.

Sally Folk est l’une des rares résistantes. Depuis 10 ans, elle a sorti quatre albums et un mini-album. Vingt de ses chansons jouent régulièrement à la radio.

Elle vient également de terminer une tournée, en pleine pandémie, tout en s’occupant de deux jeunes enfants. Un CV impressionnant.

Nous nous retrouvons en milieu d’après-midi au restaurant L’Avenue, à Laval. Son look est soigné, comme celui de son personnage de scène, inspiré des chanteuses des Supremes. Je l’ai invitée pour comprendre sa longévité, dans cette industrie où les 15 minutes de gloire durent justement rarement plus d’un quart d’heure.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Sally Folk

Son passé d’entrepreneure l’aide. À 20 ans, elle s’est retrouvée copropriétaire d’un bar populaire de Montréal, le Sofa. L’argent coulait à flots. « C’était super cool. Je pensais tout connaître du monde des affaires. Sauf que j’étais trop jeune. J’ai fait des erreurs. Je me suis endettée de dizaines de milliers de dollars. »

Cette expérience l’a marquée. Sally Folk y a appris la valeur du travail, l’importance du marketing et celle d’économiser. Trois conditions essentielles, selon elle, pour réussir une longue carrière dans l’industrie de la musique.

« Pour durer dans ce métier, il faut bien s’entourer, et travailler vraiment fort », explique-t-elle. Depuis 10 ans, les ventes d’albums se sont effondrées. Pour vivre de leur art, les chanteurs doivent faire plus de spectacles. S’éloigner plus souvent de leurs proches. Consacrer plus de temps à leur mise en marché.

« Avant, raconte-t-elle, la compagnie de disques investissait 20 000 $ pour faire ta promotion. Elle s’occupait de la publicité et de la campagne de promotion. Maintenant, c’est différent. Quand tu sors une chanson, tu dois toi-même produire du contenu pour TikTok. Il y a des compagnies qui gèrent les réseaux sociaux de leurs artistes, mais le client [préfère] qu’il y ait un côté authentique. »

Sally Folk a toujours eu un talent pour le marketing. Elle se prête donc au jeu. Pour promouvoir la sortie de son dernier album, elle a écrit des capsules humoristiques, dans lesquelles elle partage la vedette avec Laurent Paquin. Il y a des dizaines d’heures de travail derrière ce projet. Or, ce ne sont pas tous les artistes de sa génération qui apprécient ces tâches afférentes.

« Il y en a qui lâchent à cause de ça. Ils ne sont juste pas intéressés par les réseaux sociaux. C’est difficile de se vendre, alors que souviens-toi, à l’époque, il y avait même des artistes qui refusaient de faire des tournées ! »

Aujourd’hui ?

« L’argent, on le fait avec les tournées. »

La tournée, dit-elle, « c’est la partie amusante du travail. Le bonbon ». Mais c’est également épuisant, notamment pour les jeunes parents.

« La conciliation travail-famille, c’est tough. En fait, c’est inconciliable avec mon métier. Une chance, j’ai un conjoint super flexible. Nos mères sont jeunes et pimpantes. Elles peuvent garder les petites. »

Tu veux être là pour tes enfants, mais tu ne veux pas abandonner tes rêves non plus. J’ai fait tout un bloc de thérapie là-dessus…

Sally Folk

Il y a quelques années, après avoir perdu sa petite Élizabeth, au sixième mois de sa grossesse, elle a voulu quitter la musique. « Je pensais que ma carrière avait provoqué mon deuil périnatal. Je ne pense pas que c’était tout à fait faux. J’étais surmenée. Lors de ma grossesse suivante, je n’ai rien fait. Je n’ai même pas ouvert mon ordinateur.

— Qu’est-ce qui t’a raccrochée à la musique ?

— La thérapie. Je vivais trop de frustrations à essayer d’être enceinte et de mener ma carrière en même temps. Je pensais tout laisser. Ma thérapeute m’a dit : “Que veux-tu que tes filles voient, plus tard ? Une [femme] qui a abandonné ses rêves pour être une mère, ou celle qui a rushé comme une folle pour compléter sa liste de souhaits ?” »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Sally Folk

Sally Folk est revenue sur scène. Elle connaît toutefois plusieurs chanteuses qui ont choisi de mettre leur carrière de côté. « Encore ce matin, j’ai parlé avec une chanteuse qui a abandonné sa carrière, parce qu’elle a eu des enfants. Moi, j’ai pris la décision [de repartir en tournée] de plein gré. J’adore la scène. Nothing beats it. Mais si je rate le premier biberon de ma fille, ça vient me chercher. Je ne me sens pas coupable envers elle. Je suis fâchée envers moi, de rater ce moment. »

Est-ce un métier plus difficile pour les femmes que pour les hommes ?

« Absolument. Je ne dis pas ça pour jeter les hommes sous l’autobus. On s’attend juste plus à ce que la mère soit là. C’est correct. C’est notre rôle aussi. Un homme et une femme qui s’absentent pour une tournée, ce sont deux choses complètement différentes. Un père qui n’est pas là, on ne lui demandera pas pourquoi il s’absente pour le travail. Une mère ? On va lui dire : hey, ça doit être important… »

Pendant longtemps, Sally Folk a souhaité mener une carrière internationale. « Je rêve encore très grand. Mais quand mes filles sont arrivées dans ma vie, j’ai eu une claque. Je me suis demandé : ai-je vraiment besoin de tout ça ? Ça reste un rêve, mais je ne dépends plus de la réalisation de ce rêve. »

Ces temps-ci, elle s’intéresse aux parcours des interprètes qui mènent de longues carrières. Elle leur a tous trouvé un point en commun. « Personne ne fait que de la musique. C’est impossible. Tous ces artistes, un jour, ont mis la musique en veilleuse pour faire autre chose. Pour découvrir un autre univers. Même Madonna a écrit des livres pour enfants ! »

Si je ne fais que de la musique, ça ne me nourrit pas. Si je ne vis rien, j’ai toujours l’impression de réécrire la même chanson. Je dois rencontrer du nouveau monde. C’est ce qui permettra d’écrire un nouvel album.

Sally Folk

D’où ses capsules humoristiques. D’où son intérêt pour la mode. D’où ses visites dans les écoles primaires et secondaires, pour initier les enfants à la musique québécoise. « J’aimerais aussi faire de la radio. Je comprends les chanteuses qui en font. Il y en a même qui animent de leur maison. C’est super. Ça te permet d’aller à la rencontre de ton public, tout en restant près des tiens. »

Et la place de la musique, dans tout ça ?

« La musique fera toujours partie de ma vie. Mais est-ce que ça restera mon gagne-pain principal toute ma carrière ? Je ne sais pas. »

Questionnaire sans filtre

  1. Le café et moi : « Je suis accro. J’ouvre les yeux, je pars la cafetière. Café filtre, deux laits ou de la crème. J’essaie de me limiter à deux par jour. »
  2. J’aimerais prendre un café avec… : « Tina Turner. La façon dont elle a traversé les époques m’impressionne. »
  3. J’aimerais faire un duo avec… : « Les Trois Accords. Ça fait longtemps que je leur cours après. Ils ont un côté humoristique, j’ai un côté théâtral. »
  4. Une œuvre que j’aurais aimé créer : « J’aime les cinéastes capables de colorier un environnement, ou de créer un univers, comme Tim Burton et Quentin Tarantino. »

Sally Folk en bref

  • Née en 1982, à Montréal.
  • Son premier album en français (2013), qui comprend les chansons Heureux infidèles et C’est vrai, est vendu à plus de 40 000 exemplaires. Il lui vaut aussi des citations à l’ADISQ dans les catégories révélation de l’année et album pop de l’année.
  • Depuis, elle a sorti trois autres albums : Deuxième acte, Troisième acte et Ô Psychologue.