En faisant le tour de buanderies au hasard un jeudi, nous avons eu la chance de rencontrer des propriétaires qui agrémentent et embellissent un service essentiel de plus en plus rare et quelques-uns de leurs clients satisfaits.

La « découverte de l’année »

Plantes, coin jeux et lecture, proximité d’une boulangerie et emplacement de choix dans la Petite Italie. « Ma découverte de l’année », peut-on lire dans une note parfaite attribuée sur Google. « Staff super sympathique. » « Endroit charmant. »

Parle-t-on d’un hôtel ? D’un restaurant ?

Eh non. On parle plutôt d’un endroit où on va laver son linge sale.

Située rue Beaubien, Ma buanderie est fort appréciée de ceux qui viennent régulièrement y faire des brassées.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Ma buanderie, rue Beaubien

Lors de notre visite, la propriétaire n’était pas dans le charmant bureau vitré séparant les appareils de l’entrée. Son amie Laurence y travaillait paisiblement.

C’est un super beau service à la communauté. Et c’est un beau moment pour moi quand je suis ici. Il y a une bonne vibeIl y a même des gens qui laissent des mots pour dire qu’ils aiment venir ici.

Laurence, amie de la propriétaire de Ma buanderie

On ne se le cachera pas : certaines buanderies sont des lieux de haute déprime sans âme. Mais quand on a un commerce de quartier comme Ma buanderie à quelques pas de chez soi, ce n’est pas une corvée de sortir faire son lavage.

Un court métrage y a même été tourné par Rin Eadie, habituée de Ma buanderie et photographe de métier. Quand cette dernière a vu un couple danser comme si elle n’existait pas, elle a eu l’idée d’un film qui témoigne « de la beauté du quotidien ». Pour elle, Ma buanderie est « un trésor du quartier ». « Je m’y sens à la maison », dit-elle.

Regardez Lost & Found, de Rin Eadie

Cela fait 25 ans que Guy Létourneau fréquente la buanderie qui existe au 81, rue Beaubien Est. « Ça a changé de propriétaires deux fois. C’est devenu une belle place. »

Est-ce que l’homme a déjà songé à se procurer une laveuse ? « J’ai un trois et demie et je n’ai pas d’espace », lance-t-il.

Il aime la routine de sortir de chez lui pour une brassée. « Je suis habitué. »

Alors que M. Létourneau sort de Ma buanderie, Marie-Hélène – une Rosemontoise qui préfère taire son nom de famille vu son caractère réservé – est en train de plier des serviettes. « Je fais le détour pour venir ici, car il y a du lavage à chargement frontal et c’est plus doux pour les vêtements qui durent plus longtemps et qui ne boulochent pas. »

« En plus, c’est beau ici avec toutes les plantes ! Il y a de l’atmosphère. »

C’est pendant la pandémie que Marie-Hélène a découvert Ma buanderie. « Celle où j’allais près de chez moi a fermé pendant le confinement. Disons que ce n’était pas drôle. »

Elle ne fait son lavage que toutes les trois semaines. « Je prends plusieurs laveuses en même temps, donc ça va vite. J’ai tellement de vêtements », lance-t-elle.

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Chalace Slipp, cliente fidèle de Ma buanderie

Pendant ce temps, une autre habituée de Ma buanderie fait son entrée avec un pain de la boulangerie De Froment et de Sève sous le bras.

Ici ? « It’s chill and amazing », lance en anglais la jeune femme originaire de la Nouvelle-Écosse, qui fait une maîtrise à l’Université Concordia.

« J’habite au coin de la rue, indique Chalace Slipp. C’est relax ici avec les plantes et c’est aussi pas cher. En plus, on me laisse emmener mon chien. »

Prendre un café et faire ses devoirs sous le bruit rotatif des laveuses et des sécheuses, Chalace peut même dire qu’elle aime ça.

C’est exactement ce que voulait Karine Fontaine, la propriétaire depuis 2019, qui habite le quartier depuis longtemps. « Je ne pensais jamais avoir une buanderie », signale la courtière en immobilier de métier. Quand elle a acquis l’immeuble, il était en vente depuis trois ans. « J’habite à deux rues d’ici, et je cherchais un endroit avec un garage et du stationnement. »

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Karine Fontaine, propriétaire de Ma buanderie

Karine Fontaine a rapidement pris goût à la vie dans la buanderie, qui est à l’image de la façon dont elle aime travailler en immobilier, soit à échelle humaine. « J’ai vu qu’il y avait un grand besoin et j’ai voulu garder un commerce accessible pour les gens du quartier. »

Pendant la pandémie, des enfants venaient y jouer alors que des gens venaient y changer d’air. « Mon objectif était que ce soit accueillant et confortable. »

C’est mission accomplie.

De mère en fils

À la suggestion de Marie-Hélène, nous nous dirigeons ensuite dans un autre lieu au nom tout à fait charmant : Buanderie La pince à linge mère & fils.

À l’intérieur, l’atmosphère est aussi très conviviale. Ici, il y a un piano à donner. Là, il y a des livres, des mots écrits au mur et un lavabo qui nous fait sentir comme à la maison.

« Cela fait 50 ans que c’est une buanderie ici », nous indique la nouvelle maîtresse des lieux, Karine Doucet, enchantée de l’accueil qu’elle a dans le quartier.

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Karine Doucet, propriétaire de Buanderie La pince à linge mère & fils

Pendant longtemps, les propriétaires étaient membres de la famille Légaré. Le nom est encore imprégné sur la marquise.

C’est par des parents de l’école de son fils que Karine Doucet a appris que la buanderie située à l’angle des rues D’Iberville et Bélanger était à vendre.

J’aime travailler avec le public. Mes garçons m’aident quand ils le peuvent et j’aimerais que ce soit eux qui prennent la relève.

Karine Doucet, propriétaire de Buanderie La pince à linge mère & fils

Karine Doucet a des fils de 13 et 15 ans. Elle espère que son plus vieux pourra faire des livraisons de vêtements propres à bord de son scooter l’été prochain, notamment pour les personnes âgées qui peinent à se déplacer ou qui sont réticentes à se trouver dans un lieu public.

Karine Doucet offre des services de lavage et pliage personnalisés avec un prix à la livre de vêtements. « Je réponds aux demandes spéciales et je fais de bons prix », assure-t-elle.

« Je suis ici chaque jour, poursuit-elle. Je me déplace aussi si j’ai des commandes auprès des petits commerces autour, comme des salons de coiffure et d’esthétique… »

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Un client travaille à son ordinateur pendant une brassée.

La Buanderie La pince à linge mère & fils accumule de nombreux avis favorables sur Google. On vante l’air climatisé et le WiFi, son atmosphère vintage, ainsi que la propreté des lieux et la gentillesse de sa propriétaire.

« J’y mets mon cœur », dit la principale intéressée.

Et c’est du donnant-donnant. « Je pourrais écrire un livre tellement j’entends des histoires ici. Des histoires qui peuvent faire pleurer. Les gens ouvrent leur cœur », dit celle qui était bien timide à l’idée d’être en vedette de notre reportage.

« Ce n’est pas une bijouterie », blague-t-elle.

Or, Karine Doucet est bien fière de gérer une entreprise familiale qu’elle pourra un jour léguer à ses fils.

Un café-buanderie incontournable

Un peu plus au sud, aussi rue Beaubien Est, on trouve La Brassée, qui s’appelait auparavant le Mousse Café.

C’est peut-être la première buanderie réinventée de Montréal, ou du moins la plus connue.

Cédric Amram a acheté le lave-bistro il y a quatre ans. « C’est ici que j’ai bu mon premier café à Montréal en arrivant de France », raconte-t-il.

Il travaillait dans l’ancienne épicerie voisine quand, en fumant une clope dans la ruelle, l’ancien propriétaire lui a parlé de céder le flambeau. Cédric a alors sauté sur l’occasion.

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Les laveuses et les sécheuses se retrouvent derrière la porte.

Un mur sépare la section des laveuses et des sécheuses de la partie restaurant. « J’aime la vie de quartier et avoir un commerce utile pour le quartier », dit Cédric Amram.

La hausse des loyers des édifices commerciaux a récemment fait chuter le nombre de buanderies. « Deux buanderies ont fermé autour de nous en moins de trois ans. Ce n’est pas un commerce d’avenir », lance celui qui attendait la venue d’un technicien depuis près de deux mois pour réparer quelques appareils.

Modestes, les revenus de la buanderie ne sont que « de l’argent de poche ». Or, Cédric Amram est venu vivre au Québec en mode « décroissance », après le rythme professionnel effréné qu’il menait en France. « J’ai divisé par cinq. Je suis venu changer de vie », résume-t-il.

La pandémie a été difficile, mais la buanderie lui a permis de rester ouvert et d’offrir des cafés et de la nourriture pour emporter. « Ça m’a sauvé. En fait, c’est le quartier qui m’a sauvé, car les gens ont été très solidaires. »

Alors que la plupart des clients de La Brassée sont des habitués (certains viennent y chercher leur panier des Fermes Lufa), une jeune femme entre et demande à Cédric comment procéder pour un lavage.

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Cédric Amram et une cliente qui vient pour la première fois faire son lavage, Yasmeen Qureshi

Yasmeen Qureshi a une laveuse, mais elle est venue faire une brassée de draps.

Première étape : elle a besoin de monnaie.

Puis de savon.

« C’était imprévu », lance-t-elle alors qu’on lui demande de la prendre en photo.

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Cédric Amram montre à une cliente comment procéder pour son lavage.

Voir son lavage en rose

À notre arrivée chez Pinkita, située juste en face de la boulangerie Fairmount Bagel, des touristes sortent de la buanderie, appareil photo au cou.

Même la marque montréalaise de souliers L’Intervalle a choisi le décor de Chez Pinkita pour une campagne publicitaire, nous indique celui qui signe le design des lieux, Ibraheem Youssef. Il y a aussi eu une collaboration avec Citizen Vintage.

Chez Pinkita est sans aucun doute la buanderie la plus « instagrammable » de Montréal.

« Mon père voulait faire un musée rose », indique tout en pliant des vêtements Priscilla, fille du propriétaire, Rocky Mt. Lo (qui se trouvait à Hong Kong lors de notre visite).

On n’ose pas le dire à Priscilla, mais les nombreux sacs de vêtements qui s’alignent dans l’entrée seraient pour nous une grande source de découragement.

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La fille du propriétaire, Priscilla Lo, avait du pain sur la planche.

Si beaucoup de gens viennent faire leur lavage chez Pinkita en « libre-service », d’autres préfèrent la formule clés en main (et récupérer leurs bas parfaitement pliés en boule).

Priscilla souligne que les grands froids du week-end précédent (le premier de février) ont causé un gel des tuyaux, d’où un retard accumulé de deux jours. « Il a fallu déplacer des machines », indique-t-elle.

Chez Pinkita, non seulement l’espace du local est restreint, il y a aussi toutes sortes d’objets exposés et à vendre, sans compter les nombreuses friandises qui garnissent tout espace pouvant servir de comptoir.

On trouve même une œuvre murale faite par l’artiste Kayla Buium (Milkbox), sans compter qu’on peut commander un bubble tea rose. « Mon père voulait que les gens connectent avec l’environnement », dit Priscilla.

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Ibraheem Youssef a participé au design de Chez Pinkita.

Rocky Mt. Lo a acheté la buanderie il y a plusieurs années. C’est pendant la pandémie qu’Ibraheem Youssef, qui venait y faire son lavage, l’a aidé à aménager les lieux tout en rose.

« Je suis fier du lieu communautaire que c’est devenu. C’est une expérience de venir ici », dit celui qui est spécialisé en branding.

Un client habitué de Chez Pinkita nous confirme à quel point c’est un lieu hors du commun qui met de bonne humeur. La preuve : il a une laveuse dans son immeuble et il vient quand même y faire son lavage.

Consultez le compte Instagram de Chez Pinkita