Entre Les salauds, un drame violent, et High Life, un film qui se déroule dans l'espace, Claire Denis a tourné cette comédie dramatique écrite sur mesure pour Juliette Binoche. Avec l'aide de l'écrivaine et polémiste Christine Angot, la cinéaste propose une exploration de l'amour, du point de vue d'une femme plus mûre. Lancé à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes l'an dernier, Un beau soleil intérieur a maintenant pris l'affiche au Québec. Nous avons joint la réalisatrice à Paris.

Un beau soleil intérieur relate l'histoire d'Isabelle, une femme divorcée, mère d'un enfant, qui recherche toujours l'amour sans jamais baisser les bras, malgré les nombreuses déceptions affectives qu'elle a vécues. D'où est venue cette idée?

L'idée découle d'abord de celle d'un producteur. Au départ, il voulait mettre en marche un film construit autour des Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes, réalisé par plusieurs cinéastes. Quand il m'a proposé de faire partie d'une aventure collective, j'avoue, j'ai eu un peu peur. Et puis, j'estimais que ce genre de sujet méritait qu'on s'y consacre entièrement, sur le cours d'un film entier. J'avais aussi envie de travailler de nouveau avec Christine Angot, avec qui j'ai fait Voilà l'enchaînement, un court métrage sur l'histoire d'un couple qui se défait, élaboré à partir d'un de ses textes. Nous avons alors décidé de mettre Roland Barthes de côté et d'écrire nos propres Fragments, en quelque sorte!

Comment s'est déroulée l'étape de l'écriture avec elle?

Merveilleusement bien. J'aime ce qu'écrit Christine et j'aime aussi la femme qu'elle est. Elle était fort emballée de faire cet exercice, car il s'agit d'un scénario complètement original et non d'une adaptation de l'un de ses romans.

Dans votre film, on passe d'une rencontre à l'autre, sans notion du temps. Le ton n'est jamais dramatique, mais on a quand même l'impression que les relations amoureuses sont maintenant plus compliquées à établir, à une époque où, pourtant, les occasions de rencontres sont plus faciles, du moins, en principe.

Cela tient surtout à la difficulté qu'ont les gens de vivre leur quotidien. La vie étant plus dure, plus angoissante, les gens, forcément, sont plus anxieux. Du côté de la vie amoureuse, on vise toujours le mieux, ce qui fait qu'on est exigeant. Remarquez que ça a été de tout temps comme ça. L'exploration du désir amoureux est un thème inépuisable. C'est toujours intéressant. Et inquiétant aussi, parfois.

Le dernier acte d'Un beau soleil intérieur est constitué d'une longue et fascinante scène entre Juliette Binoche et Gérard Depardieu, dont une partie se déroule même pendant que défile le générique de fin, ce qui est assez inhabituel.

En fait, Gérard a été génial. Et Juliette le fut tout autant. La scène était très écrite, mais tournée en deux plans-séquences, en une seule journée. Le monteur m'a annoncé qu'elle durait 17 minutes! Nous l'avons un peu raccourcie, pas beaucoup, peut-être d'une minute ou deux, car je tenais à la garder entière. Nous avons alors décidé de faire défiler le générique pendant les dernières minutes. Ça indique aussi, d'une certaine façon, que l'histoire qu'on a racontée n'a pas de fin!

Chocolat, votre premier long métrage, est sorti il y a 30 ans. Cela vous inspire une réflexion?

Ça m'indique surtout qu'après 30 ans, je suis toujours aussi peu sûre de moi ! Chaque fois que je commence un film, j'ai l'impression de repartir complètement à zéro. J'ai toujours le sentiment d'être tellement marginale que ça me laisse une impression bizarre. Je ne sais pas vraiment d'où ça vient... Quelque chose qui est en moi, comme une inquiétude existentielle. Je suis ravie que mes films soient vus et appréciés à l'étranger, mais j'avoue que ça me dépasse un peu.

Vous mettez ces jours-ci la dernière touche à High Life, une coproduction entre l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, que vous avez tournée en Allemagne avec Robert Pattinson et, de nouveau, Juliette Binoche. On dit qu'il s'agit d'un film de science-fiction. Vraiment?

Parce que l'histoire se passe dans un vaisseau spatial, les gens l'associent tout de suite à de la science-fiction. Mais l'approche est très intimiste et l'histoire est principalement axée sur les rapports entre les individus.

Est-il vrai que Robert Pattinson a beaucoup insisté pour travailler avec vous?

En fait, j'ai su que Robert a demandé à son agent de me faire savoir son intérêt. Or, à mes yeux, il était beaucoup trop jeune pour le rôle, et je comptais à l'époque le tourner avec un autre acteur, qui, entre-temps, est mort [Philip Seymour Hoffman]. D'ailleurs, sa mort m'a anéantie, à tel point que j'ai été complètement bloquée dans mon élan. Plus tard, quand j'ai repris, le producteur anglais m'a de nouveau parlé de Robert. J'étais bien entendu ravie de le rencontrer, mais je croyais toujours qu'il était impossible de lui donner le rôle, parce qu'encore trop jeune. Or, je l'ai trouvé merveilleux lors de cette rencontre. Vraiment. J'ai aussi vu chez lui autre chose, qui n'a rien à voir avec l'âge. Comme une sorte de lucidité dans sa vie, dans son travail. C'est une grande chance de pouvoir travailler avec un acteur comme lui. Et qu'importe l'âge, au fond. La vie m'a fait un énorme cadeau. Aussi beau que celui de retrouver Juliette.

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Un beau soleil intérieur est actuellement à l'affiche. High Life devrait être lancé dans l'un des grands festivals de cinéma de l'automne.

Photo fournie par Métropole Films

Juliette Binoche dans Un beau soleil intérieur