Plus d'un an après avoir conquis le public français, Marguerite débarque enfin chez nous. Inspiré par Florence Foster Jenkins, qui a déjà eu droit à son film avec Meryl Streep, ce personnage haut en couleur a valu à Catherine Frot le César de la meilleure actrice.

La toute première fois que Catherine Frot a écouté un véritable enregistrement de Florence Foster Jenkins, elle a eu, un peu comme tout le monde, du mal à y croire. Quelle histoire quand même que celle de cette mauvaise chanteuse d'opéra qui, au début du XXsiècle, a investi sa fortune reçue en héritage dans l'entretien de sa carrière. Se produisant uniquement dans des concerts de salon où elle choisissait elle-même ses invités, la cantatrice a ainsi pu entretenir pendant des années ses illusions de grande artiste.

En écrivant Marguerite, dont la conception remonte à bien avant celle du drame biographique qu'a réalisé Stephen Frears avec Meryl Streep (sorti plus tôt cette année), le cinéaste Xavier Giannoli (Quand j'étais chanteur, À l'origine) s'est inspiré de l'histoire de la chanteuse à la voix de crécelle, mais il en a fait un personnage français. Qui sévit dans le Paris des années folles.

«Au moment où l'on m'a fait parvenir le script, je ne connaissais pas du tout l'histoire de cette cantatrice, confie Catherine Frot au cours d'un entretien téléphonique accordé récemment à La Presse. À part peut-être les cercles musicaux, qui en ont fait une référence, Florence Foster Jenkins restait jusqu'alors très peu connue du grand public. À la lecture du scénario de Marguerite, j'ai été bouleversée par ce personnage, vraiment touchée. J'ai tout de suite voulu écouter son interprétation de La reine de la nuit de Mozart. C'est... comment dire?»

Le «comment faire»

Au-delà du «comment dire», il y a aussi le «comment faire». Comment traduire à la fois le ridicule dans lequel se vautre une cantatrice incapable d'atteindre la moindre note juste, mais aussi l'aspect attachant d'une femme qui se donne de tout son être à un art qu'elle croit maîtriser? Comment, aussi, faire écho à l'aspect tragique d'un personnage qui ne peut susciter que moqueries et étonnement? Et, de façon plus pratique, comment attaquer de façon crédible les (vrais) airs d'opéra, chantés de façon parfaitement épouvantable?

«Sur le plan technique, il y a eu un travail très important, explique l'actrice. Sur le plateau, je chantais. Je connaissais bien sûr les airs qui jouaient en playback et je les reproduisais le plus parfaitement possible. N'étant pas moi-même chanteuse, je ne pouvais cependant pas me rendre jusqu'aux grands aigus. Une partie de ma voix a donc été doublée. Celle qui complète la voix de Marguerite, une non-professionnelle, a d'ailleurs été choisie grâce à un important casting. Il a fallu procéder ainsi, car les chanteuses professionnelles proposaient des interprétations trop caricaturales. Comme si elles se forçaient trop à chanter faux. Ça ne passait pas. Il fallait trouver quelque chose de sympathique quand même un peu, de poétique presque. Marguerite a beau nous casser les oreilles, elle devait quand même avoir sa bonne voix!»

Un projet concurrent

Sorti au mois de septembre 2015 en France, Marguerite a attiré plus de 1 million de spectateurs dans les salles. Florence Foster Jenkins, qui a pris l'affiche l'été dernier là-bas, a obtenu beaucoup moins de succès. Il est notoire qu'en de telles situations (deux projets similaires produits en même temps), celui des deux qui parviendra à gagner les écrans le plus rapidement risque d'avoir plus d'impact auprès des spectateurs. Marguerite, le film, subira-t-il le même sort chez nous que Florence Foster Jenkins en France? Souhaitons que non. Si le film de Stephen Frears s'est démarqué principalement grâce aux performances des acteurs (Meryl Streep et Hugh Grant, notamment), il reste que, de façon générale, celui de Xavier Giannoli se démarque quand même davantage grâce à la profondeur de son récit et à l'aspect plus dramatique du personnage.

«Il a fallu trois ans avant que nous puissions aller en production, car le montage financier a été difficile à faire, explique Catherine Frot. Je n'ai pratiquement rien tourné durant cette période, car je tenais à me consacrer entièrement au rôle», indique l'actrice.

«Ce n'est qu'au moment où le tournage a commencé que nous avons appris l'existence du projet avec Meryl Streep. Ça faisait un peu étrange, mais nous avons tous choisi de ne pas en être déstabilisés. On savait que le film de Stephen Frears ne sortirait qu'un an plus tard de toute façon. Comme il est resté très peu de temps à l'affiche en France, je n'ai d'ailleurs pas encore eu l'occasion de le voir.»

Cité 11 fois à la cérémonie des Césars du cinéma français, tenue l'hiver dernier, lauréat de 4 trophées, Marguerite constitue pour l'actrice un rôle charnière.

«Ce genre de rencontres entre une actrice et un personnage fait quand même partie de ces raretés du métier. Marguerite m'a portée. Ce film a été aimé et il m'a valu cette accolade.»

Actualité théâtrale

Depuis Marguerite, Catherine Frot n'a tourné qu'un seul film. Réalisé par Martin Provost (Séraphine, Violette), Sage femme est un drame dans lequel elle incarne, comme le titre l'indique, une spécialiste de la naissance qui voit revenir dans sa vie la femme qui l'a pratiquement élevée, interprétée par Catherine Deneuve.

Cela dit, l'actualité de l'actrice a aussi été théâtrale au cours des dernières années. Venue au Québec l'an dernier pour jouer Oh les beaux jours de Beckett au Théâtre du Nouveau Monde, à Montréal, et à La Bordée, à Québec, l'actrice a depuis remonté sur les planches à Paris avec son partenaire de Marguerite, Michel Fau (remarquable dans le rôle de son professeur de chant). Elle s'apprête maintenant à partir en tournée en France avec Fleur de cactus, une pièce de Pierre Barillet et de Jean-Pierre Grédy.

«Ma fille est maintenant grande, alors je peux me permettre de partir en tournée. J'adore cet esprit de saltimbanque!»

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Marguerite prendra l'affiche le 28 octobre.