Peter Berg et ses troupes de Lone Survivor n'ont pas fait ce film pour justifier, dénoncer, expliquer, interpréter, commenter. Ils invitent les spectateurs à découvrir ce qu'est la guerre, aujourd'hui, au-delà des statistiques et des jugements. Percutant.

Il y a cette scène, au début de Titanic, où un «scientifique» fait la démonstration du naufrage à la vieille dame qu'est devenue Kate Winslet. La survivante observe. Ce sont les faits. Mais ce n'est pas ce qu'elle a vécu.

On se fait la même réflexion après le visionnement de Lone Survivor de Peter Berg. Il y a les comptes rendus cliniques - tant de soldats tués, où et quand - qu'on lit avant de passer au pointage d'un match ou aux prévisions météorologiques. Et il y a ce que ces hommes ont vécu sur le terrain. Ces hommes entraînés à infliger la mort, mais aussi à la défier. Ils ne succombent pas sans avoir lutté. Longtemps.

C'était le 28 juin 2005. Le nom de code de la mission des quatre membres de la SEAL Team 10: l'opération Redwing. Le lieu: les montagnes de la province de Kumar, en Afghanistan. L'objectif: vérifier la présence, dans cet endroit isolé, du leader taliban Ahmad Shah.

À la base, le capitaine de corvette Erik Erikson (Eric Bana). Sur le terrain, le premier maître Marcus Luttrell (Mark Wahlberg), le second maître Matthew Axelson (Ben Foster), le canonnier de 2e classe Danny Dietz (Emile Hirsch) et le lieutenant Michael Murphy (Taylor Kitsch)1.

Une équipe autonome. Le premier a une formation médicale. Le deuxième s'occupe des communications. Le troisième est un spécialiste en armes et en armement. Le quatrième coordonne les efforts du groupe.

Et soudain, le dérapage. Trois bergers, deux enfants et un vieillard, les voient. Que faire? Les ligoter et les bâillonner? Les tuer? Les laisser partir, sachant qu'ils vont sonner l'alarme? C'est la décision qu'ils ont prise. À chaud. Ignorant que le village abritait non seulement Ahmad Shah, mais aussi des dizaines de talibans armés.

Marcus Luttrell a été le seul survivant de ce combat inégal. Assisté de l'écrivain Patrick Robinson, il a relaté les événements dans Lone Survivor: The Eyewitness Account of Operation Redwing and the Lost Heroes of SEAL Team 10. Un document que Peter Berg a adapté pour le grand écran.

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L'intention n'était pas de juger, de dénoncer, d'expliquer, d'interpréter, de commenter, mais de montrer. Point. «Ç'a été une expérience unique, a dit le réalisateur en entrevue avec une poignée de journalistes. J'avais l'impression de faire un documentaire tant il était important pour moi, surtout après avoir rencontré Marcus, vu les tombes de ses "frères" et parlé à leurs familles, de présenter les choses telles qu'elles sont arrivées.»

Le tournage, mené en grande partie au sommet de pistes «double diamant noir» dans les montagnes du Nouveau-Mexique, a été physiquement et moralement éprouvant. Pour les acteurs comme pour l'équipe technique. Pas d'endroits stables pour placer les caméras. Mauvaise visibilité. Et ces falaises, partout, dangereuses. Mais nécessaires. Les quatre militaires se sont en effet trouvés face à un dilemme: se laisser capturer ou sauter. Ils ont sauté. Des images douloureusement spectaculaires. «Nous n'avons utilisé aucun harnais, aucun écran vert, aucun mannequin. Ce que vous voyez à l'écran est le travail des cascadeurs», indique Peter Berg.

Ils ne sautaient «que» de cinq ou six mètres, mais ils sautaient vraiment. Rebondissaient sur les paliers de roche. Heurtaient les troncs d'arbres. «Nous avons eu des côtes brisées, des épaules déboîtées, même un poumon perforé. À un certain point, nous avons dû les retenir», souligne le réalisateur, qui a senti, de la part de tous les participants à cette aventure, «un investissement total et un désir de rendre hommage à ces gars».

Le résultat est à ce point brutal et cru qu'il admet avoir eu beaucoup de réflexion à faire dans la salle de montage, où il a eu à peser le trop et le pas assez. «L'histoire est assez intense et dramatique, pas besoin d'en rajouter. Mais je me demandais tout le temps comment le public allait réagir. Je ne voulais pas qu'il sorte parce que c'était trop à prendre, et en même temps, je ne voulais pas qu'il s'ennuie. Mon but, c'était qu'il soit transporté au coeur du combat.» Il l'est.

1. Les grades de la marine américaine n'ont pas de véritable traduction française. On parle donc, originellement, du lieutenant commander Erik Erikson, du leading petty officer Marcus Luttrell, du sonar technician (surface) second class petty officer Matthew Axelson, du gunner's mate second class Danny Dietz et du lieutenant Michael Murphy.

Lone Survivor (Le seul survivant) prend l'affiche le 10 janvier. Les frais de voyage ont été payés par Les Films Séville.

Le survivant et son interprète

Le survivant de Lone Survivor, c'est Marcus Luttrell. Une montagne de chair, de muscles. Et de métal. Une «cage» de titane entoure sa colonne vertébrale. L'un des résultats des blessures subies lors de l'opération Redwing. À ses côtés, Mark Wahlberg, qui l'interprète dans le long métrage de Peter Berg, dont il est l'un des producteurs, semble (presque) frêle. Et là où le regard de l'acteur se promène dans la pièce, celui du militaire de 38 ans, maintenant à la retraite, nous cloue à notre siège lorsqu'il s'adresse à nous. Sans cligner. Extrêmement troublant.

Ce regard, lorsqu'il était sur le terrain, ne lâchait jamais sa cible. «Mon arme, c'est exactement comme le crayon que vous tenez dans votre main, Ma'am. C'est l'extension de mon bras. Je n'ai pas besoin de penser à la façon de la tenir, je n'ai pas besoin de la regarder pour la recharger. Mes yeux sont sur la cible qui tente de me tuer.» Et il ne la rate pas, sa cible.

Une précision meurtrière dont on est témoin au début de Lone Survivor, alors que l'équipe n'a pas été hypothéquée par les blessures. Après, c'est une autre paire de manches. «Dans les films, on voit tout le temps ces types qui tirent et ne ratent jamais leur coup. La réalité, c'est autre chose. Dans notre cas, après que nous sommes tombés des falaises, avec les blessures, on ne pouvait plus être aussi précis.»

Blessés, ses frères (de sang) et lui vont l'être. Encore et encore. Mais ces gars - les 2500 SEAL menant «ces opérations souvent très secrètes et très ciblées, comme la traque qui a mené à la mort d'Oussama ben Laden», souligne Peter Berg - sont, à leur façon, des forces de la nature. «Parfois, des athlètes nous arrivent et ils pensent que ça va être facile pour eux de devenir un des nôtres. Mais notre entraînement n'a qu'un but: trouver notre faiblesse.» Au pire, apprendre à la surmonter. Au mieux, l'éliminer. Pour s'endurcir.

Pas de prédisposition génétique, alors? Rires. «On a déjà parlé de ça avec les gars, et le seul point commun qu'on s'est trouvé, c'est qu'on avait tous eu une mère sévère, Ma'am

Une complicité évidente

Il rit de nouveau, en compagnie de Mark Wahlberg. S'il n'a pas «choisi» son interprète - «Je laisse ça aux professionnels» -, Marcus Luttrell a été ravi de ce choix. «Sur le front, quand on ne se bat pas, qu'on ne dort pas et qu'on ne mange pas, on regarde des films. En tant que tireur d'élite, j'ai dû voir Shooter au moins 60 fois.» «Dis-le donc que ton préféré, c'est Ted!», blague l'acteur, en faisant référence au film où il partage sa vie avec un ours en peluche irrévérencieux.

La complicité entre les deux hommes est indéniable. Présent dans les montagnes du Nouveau-Mexique pendant le tournage, et faisant la tournée médiatique du film, Marcus Luttrell plaisante à ce sujet: «Maintenant, Mark parle SEAL, je parle Hollywood.»

Quant à l'acteur, il secoue la tête lorsqu'on évoque l'intensité de l'entraînement auquel il s'est livré et les conditions difficiles du tournage. «On peut trouver ça dur par moments et avoir la tentation de se plaindre. Puis on regarde ce gars et on trouve toute l'inspiration et la motivation dont on a besoin», dit-il en montrant Marcus Luttrell.

Comme ses compagnons à l'écran, il a passé du temps en compagnie des SEAL, de leur famille. Pour apprendre à «faire vrai». C'est le but ultime de Lone Survivor. Le réalisme. «Et nous avons fait le maximum en ce sens. Mais c'était avec de fausses balles et du faux sang.» Coup d'oeil sur l'ex-militaire. Qui, lui, a réellement traversé les événements. Vraies balles. Vrai sang.

«Mais ils ont capté l'essentiel. La camaraderie quand on est à la base puis, une fois qu'on saute de l'hélico, le commutateur se met à on et la mission commence. Bien sûr, ils ont fait des ajustements pour le public. Axe, par exemple, a vraiment reçu une balle dans la tête. Mais dans le film, sa blessure est à l'arrière du crâne. En vérité, il n'avait plus de visage.» Il raconte cela avec précision. Froideur. Les faits, comme un bouclier à l'émotion. Marcus Luttrell a enterré 85 de ses «frères». C'est devant leur tombe qu'il baisse la garde.

Photo Lucas Jackson, Reuters

Marcus Luttrel a une cage de métal autour de la colonne vertébrale, résultat des blessures subies en Afghanistan.