Après des années de flottement, pendant lesquelles sont passés quelques scénaristes et réalisateurs, American Gangster s'apprête enfin à gagner les écrans. Sous la direction de Ridley Scott, Denzel Washington et Russell Crowe plongent dans le Harlem des années 70.

Denzel Washington et Russell Crowe ne s'étaient pas croisés sur un plateau de cinéma depuis une douzaine d'années. «Virtuosity était d'ailleurs un film remarquable!», lance, pince-sans-rire, celui qui a déjà prêté ses traits à Malcolm X. «C'était l'époque où nous étions jeunes et innocents!» réplique le célèbre interprète du Gladiateur. «Ouais, peut-être. Quoique nous ne l'étions plus après ce film-là!» ajoute Washington pour conclure l'échange.

À cette époque, Russell Crowe n'avait pas encore tourné L.A. Confidential, le film qui devait établir sa réputation à Hollywood. Bien qu'il était déjà une vedette de premier plan - et lauréat d'un Oscar (Glory) - , Denzel Washington enchaînait de son côté les tournages de façon un peu boulimique. Avec un bonheur plus ou moins inégal.

Aujourd'hui, les deux acteurs trônent au sommet de leur profession. Leur réunion dans American Gangster (Gangster américain en version française) donne au film un caractère événementiel. D'autant plus que Ridley Scott (Gladiator) a repris la barre de ce drame biographique ambitieux après que d'autres s'y soient cassé les dents.

L'histoire de Frank Lucas est pourtant digne d'un film hollywoodien. Certains s'étonnent d'ailleurs qu'un film racontant l'ascension de ce dernier dans le milieu interlope new-yorkais ne voit le jour qu'aujourd'hui. À vrai dire, il aura fallu que le journaliste Mark Jacobson écrive un article sur Lucas dans le New York Magazine en l'an 2000 pour que son histoire - déjà bien connue des habitants de Harlem - soit révélée au monde.

«Encore aujourd'hui, Frank Lucas n'exprime aucun regret par rapport à ses actes, commentait Ridley Scott au cours d'une rencontre de presse tenue à New York samedi dernier. Dans son esprit, la faute repose entièrement sur les épaules des consommateurs. Il n'a d'ailleurs jamais lui-même bu, ni fumé. Il n'a jamais touché à la drogue qu'il vendait non plus!»

Un trafic inédit

Dans les années 70, alors que la guerre du Vietnam faisait rage, Lucas a pourtant détrôné la mafia italienne dans le marché de la drogue en important de l'héroïne pure directement de fournisseurs asiatiques. Sans intermédiaires, le caïd a ainsi pu bâtir un empire de plus de 250 millions de dollars en rendant accessible aux junkies de la ville un «meilleur» produit, à un tarif bon marché.

Digne héritier d'Ellsworth «Bumpy» Johnson (le parrain noir qui a notamment inspiré le film Shaft), Lucas s'est ainsi démarqué en utilisant les services de complices au sein de l'armée américaine pour opérer son trafic. La précieuse substance illicite était en effet cachée dans les cercueils contenant les cadavres de soldats morts au Vietnam.

«À une époque où les forces de l'ordre étaient très corrompues, il aura fallu l'intervention d'un policier un peu plus honnête que les autres pour que les autorités prêtent finalement attention aux activités de Lucas», explique Scott.

Le cinéaste dit en outre avoir voulu tracer en parallèle le portrait de deux hommes aux profils diamétralement opposés, qui se rejoignent pourtant dans leur humanité.

«L'image de Frank dans la société était celle de quelqu'un d'impitoyable, prêt à faire lui-même subir des sévices atroces à ses détracteurs afin d'exercer son autorité et son pouvoir. Sa vie personnelle et familiale était pourtant honorable. De son côté, Richie présente à la société l'image d'un policier intègre et droit alors que sa vie personnelle, marquée par le mensonge et les infidélités conjugales, est un désastre. Ce contraste me semblait intéressant.»

Le scénario, écrit par Steve Zaillian (Schindler's List, Gangs of New York), suit ainsi séparément les parcours respectifs des deux hommes. Qui ne se rencontrent que pendant le tout dernier acte.

«Des trois scénarios qui m'ont été soumis, celui de Steve me semblait le plus intéressant sur le plan de la construction, reconnaît Scott. Je pouvais ainsi explorer les personnalités des deux protagonistes de manière égale.»

En plus de Steve Zaillian, Terry George et Richard Price ont aussi écrit différentes versions alors qu'Antoine Fuqua devait se charger de la réalisation. Peu avant le tournage d'une première version, prévu en 2004, le studio Universal a décidé de renoncer au projet.

«Parce que nous n'avions pas le bon réalisateur pour bien mener ce film à terme, explique le producteur Brian Grazer. Ridley a pu assembler toutes les pièces du puzzle et rendre justice à cette histoire.»

De bons choix

Denzel Washington, qui a traversé toutes les turbulences liées à ce projet, dit être ravi par les choix qui ont été faits. «Un bon script, de bons partenaires de jeu, un bon cinéaste. À partir du moment où tous ces éléments son réunis, il n'y a plus de questions à se poser.»

Pour Russell Crowe, qui fut recruté le jour où Ridley Scott, avec qui il a déjà tourné Gladiator et A Good Year, le fut aussi, l'intérêt d'American Gangster réside surtout dans le portrait d'époque, dépeint à travers les itinéraires de deux personnages complexes.

«Leur moralité n'est pas claire. Il y a des zones d'ombre de part et d'autre. Voilà ce qui nous nourrit en tant qu'acteurs. Comme, personnellement, je possède une personnalité un peu étrange, je me sens privilégié de pouvoir vivre à travers le cinéma des choses que je ne pourrais jamais vivre autrement.»

Quant au risque de faire de Frank Lucas un héros pour les nouvelles générations, Denzel Washington estime que le script fait quand même écho à l'aspect très sombre du personnage.

«Plusieurs des aspects de sa vie étaient spectaculaires, c'est vrai, reconnaît-il. Cela dit, Frank Lucas est quand même reconnu comme étant le plus grand gangster de Harlem. Il était aussi le produit de sa société. Même si cela n'excuse en rien les crimes qu'il a commis, il faut se rappeler que les occasions pour les Noirs d'accéder au rêve américain n'étaient pas très nombreuses à l'époque. Il est clair que si Frank avait fait des études, il aurait pu exercer ses qualités de leader de façon beaucoup plus positive.»

American Gangster (Gangster américain en version française) prend l'affiche vendredi.