Disons-le d'entrée de jeu: le nouveau film de Christophe Honoré ne suscite pas de réactions tièdes. Ceux qui adorent le film n'ont ensuite qu'une seule envie: le revoir au plus vite. En revanche, Les chansons d'amour peut aussi susciter un rejet sans appel. C'est d'ailleurs un peu ce qui est survenu l'an dernier au Festival de Cannes. Présenté en compétition officielle, ce drame sentimental ponctué de chansons a été très soutenu par la presse française, mais presque unanimement décrié par la presse internationale. À cheval sur ses allégeances, la presse québécoise était divisée: certains ont défendu le film, d'autres n'y ont pas du tout souscrit. À La Presse, ces Chansons d'amour sont même loin de faire unanimité.

Mettant en vedette Louis Garrel, Ludivine Sagnier, Clotilde Hesme et Chiara Mastroianni, ce film a pourtant obtenu un écho inattendu dans l'Hexagone, particulièrement auprès du public adolescent. Qui s'est notamment identifié au personnage incarné par Grégoire Leprince-Ringuet, un adolescent emporté par les élans d'un premier amour. La bande originale du film, composée des chansons originales d'Alex Beaupain, tout autant que de plus vielles chansons de l'auteur-compositeur (réarrangées pour l'occasion), a par ailleurs aussi connu beaucoup de succès.

Scindé en trois parties (le départ, l'absence, le retour), exactement de la même façon que Les parapluies de Cherbourg, le récit s'attarde à décrire le parcours d'un jeune homme dont la vie est bousculée à la suite d'un événement tragique. Les chansons d'amour, précisons-le, est un drame à caractère sentimental au romantisme exacerbé dans lequel les personnages se mettent parfois à chanter. Les acteurs, qui interprètent eux-mêmes leurs chansons, ont pu enregistrer tous les titres en studio un bon mois avant le tournage du film. La mise en scène a ensuite pu être réglée.

Au-delà de la forme, il y a aussi dans ce projet - très ancré dans son époque - une dynamique qui ramène à nos esprits les premiers émois de la Nouvelle Vague. Comme une façon d'imposer d'emblée des idées qui vont à l'encontre du conservatisme ambiant, sur le plan social, moral et sexuel. D'où, probablement, cette identification de la nouvelle génération de spectateurs. Christophe Honoré, dont les films précédents ne laissaient pas deviner un tel amour de la comédie musicale, assume par ailleurs parfaitement ses influences.

«Je les assume d'autant mieux que je ne suis pas un enfant de la Nouvelle Vague moi-même, déclarait-il l'an dernier au Festival de Cannes. Je ne porte pas sur mes épaules l'héritage de ce mouvement de la même manière que les cinéastes issus des générations précédentes, particulièrement ceux qui ont émergé pendant les années 80. Je peux me permettre d'aborder les références de façon plus directe.»

Des similitudes

Honoré voit même des similitudes contextuelles entre les deux époques, notamment dans la façon dont un film peut se fabriquer en marge du système. De l'étape de l'écriture jusqu'à la présentation à Cannes, il n'aura en effet fallu que six mois pour que Les chansons d'amour existent.

«De la même manière que les cinéastes de la Nouvelle Vague étaient en réaction contre le cinéma des années 40 et 50, nous luttons aujourd'hui contre le retour d'un certain académisme, contre l'imposition d'un système de production de plus en plus lourd. Le meilleur moyen de prendre ce système de court est de tourner très vite avec peu de moyens. Et avec des gens qu'on aime.»

«Les références avec la Nouvelle Vague ne relèvent ainsi pas seulement d'un ordre esthétique, poursuit le cinéaste. Elles sont aussi d'ordre économique. Je ne crois pas du tout à cette idée que la patience est la vertu cardinale d'un cinéaste. Au contraire. Le cinéma est aussi fait d'impatiences. La vraie leçon de la Nouvelle Vague, elle est là: accorder ses désirs à ses moyens.»

Parmi ces «gens qu'il aime», il y a bien entendu les interprètes. Louis Garrel, d'abord. Qui tourne sous la direction d'Honoré pour la troisième fois. «J'ai bien essayé de trouver un autre acteur car nous sortions tout juste de Dans Paris, explique le cinéaste. Et je ne savais même pas que Louis pouvait chanter. Quand je l'ai finalement entendu, il était devenu évident que le rôle d'Ismaël lui revenait. J'étais alors d'autant plus soulagé que tout le film a d'abord été construit sur le versant féminin. Chiara, Ludivine et Clotilde étaient déjà de l'aventure. Quant à Grégoire Leprince-Ringuet, je me souvenais surtout de sa voix dans Les égarés de Téchiné, un aspect auquel je suis toujours très sensible.»

Quel sort attend Les chansons d'amour au Québec? Pour l'instant, le distributeur joue de prudence en proposant le film dans une seule salle à Montréal. Cela dit, le drame «en chanté» de Christophe Honoré pourrait gagner quelques écrans supplémentaires au cours des prochaines semaines.