Il était une fois une entreprise qui disait vouloir le bien de l’humanité. Une entreprise agricole dont l’objectif est d’«aider les paysans du monde à produire des aliments plus sains». Vraiment?

Marie-Monique Robin, réalisatrice du film et auteure du livre Le monde selon Monsanto (Stanké), a passé trois années de sa vie à enquêter sur la multinationale américaine qui est devenue le premier semencier de la planète. Semencier OGM, dont le portrait est laid à faire peur. Rapports mensongers, études bâclées, tentatives de corruption, empoisonnement au BPC : le géant qui envahit nos prés, et donc nos assiettes, n’est pas digne de confiance quand il dit que les aliments transgéniques sont sans danger.

«Je ne suis pas la Michael Moore de la France. Je ne suis pas une polémiste. Mon travail est factuel, et je le revendique. J’ai fait un travail d’enquête, j’ai lu les pour et les contre, j’ai consulté toutes les études disponibles. Et les faits sont accablants», soutient Mme Robin, rencontrée à Québec cette semaine.

Pour ceux qui douteraient encore de la crédibilité de la dame, ses documentaires lui ont valu une vingtaine de prix internationaux, notamment le prix Albert-Londres, le Pulitzer des Français. Son livre sur Monsanto est déjà un best-seller vendu à 80 000 exemplaires en France et en cours de traduction en neuf langues.

Paranoïaque

Monsanto, tel que l’enquête le démontre, a l’habitude de faire taire ses détracteurs. Les scientifiques dont les travaux semaient le doute sur l’inocuité des OGM ont été congédiés ou traînés dans la boue. Cette fois, l’entreprise réagit peu. Peut-être avec l’espoir qu’une fois la vague du livre passée, on oubliera.

«À la veille de dévoiler mon enquête, j’étais devenue paranoïaque. Je me demandais ce qui allait m’arriver. J’ai pensé qu’ils feraient du marketing viral pour me diffamer. Chaque ligne a été revue par des avocats, vous l’imaginez bien. Mais comme dit mon avocat, comment Monsanto pourrait attaquer Mariansky et Glickman?»

Dan Glickman était secrétaire d’État à l’Agriculture sous Bill Clinton. Il a osé dire à Mme Robin que plus de tests auraient dû être faits avant d’autoriser les cultures transgéniques. Il a même osé dire avoir subi des pressions pour ne pas être trop exigeant. James Maryanski, lui, était responsable des biotechnologies à la FDA (Food and Drug Administration) et il avoue à la journaliste que la décision de ne pas soumettre les OGM à un régime d’évaluation particulier n’était pas fondée sur des données scientifiques. C’était une décision politique. Sous influence, pourrait-on ajouter…

Tentative de corruption

Car en assemblant toutes les pièces du casse-tête, Marie-Monique Robin démontre comment Monsanto a infiltré les milieux politiques et la FDA. (Chez nous, trois scientifiques de Santé Canada qui ont dénoncé une tentative de corruption de Monsanto pour faire approuver l’hormone de croissance bovine ont été congédiés.)

«On sait tous que le lobbying existe, mais là, c’est à un degré supérieur! On finit par se poser de sérieuses questions sur les agences de réglementation censées se préoccuper de la santé des gens. Avant mon enquête, une autorisation de la FDA était pour moi une garantie de sérieux. Là, ça ne l’est plus du tout. Depuis Reagan, la FDA est au service des entreprises», note-t-elle.

Même si les sondages démontrent qu’une majorité de Canadiens souhaite l’étiquetage des produits transgéniques, le gouvernement refuse toujours de le rendre obligatoire.

«Pourquoi vous refuse-t-on ce droit de savoir et de choisir? Je vais vous le dire : si les produits OGM était étiquetés, ce serait fini pour Monsanto. Car qui ferait le choix d’acheter du soja arrosé de Round-up toxique? Vous êtes devant un déni de démocratie!» s’indigne Mme Robin.

En regardant son film et en parcourant son livre — extrêmement bien documentés — le spectateur ou lecteur est vite confronté à un sentiment d’impuissance devant le géant tentaculaire. Marie-Monique Robin aurait pu y succomber elle aussi. Mais elle croit très fort que les consommateurs ont du pouvoir.

«Mangez bio au maximum, c’est un geste politique (et santé). Et pour l’étiquetage des produits OGM, les consommateurs ne devraient pas lâcher.»