À la lecture du roman Deux jours à tuer, de François D’Epenoux, il y a quelques années, alors qu’il séjournait en Écosse, Jean Becker s’est tout de suite pris d’une admiration pour le personnage principal d’Antoine. Le vétéran réalisateur a éprouvé une attirance pour le comportement de cet homme, bien sous tous rapports, qui décide de tout envoyer promener pour une raison que lui seul connaît.

«Son comportement, rendu à son âge, est d’un grand courage. Je me demande si j’aurais eu la même force face à l’adversité», se demande le cinéaste de 70 ans, de passage à Québec cette semaine pour présenter son film en avant-première au public de Québec.

Le roman d’Epenoux l’a d’autant plus séduit que Becker lui-même avait vécu, à un degré moindre cependant, la fameuse scène où le personnage d’Antoine décide de dire tout ce qu’il pense à une poignée d’invités.

«Ce jour-là, raconte Becker, ça parlait seulement de choses banales, de bateaux, de piscines, d’argent. Je leur ai dit que j’en avais assez, qu’ils m’emmerdaient, qu’ils avaient un comportement indigne et décroché de tout ce qui se passe dans le monde, avec ce fossé qui ne cesse de s’élargir entre les riches et les pauvres.» Et vlan !

La vie, la vie

Par sa soudaine envie de s’approcher au plus près de la vie dans ce qu’elle peut avoir de plus précieux, le personnage d’Antoine a troublé le cinéaste. «C’est l’histoire du crash d’un homme en colère, qui se demande si la vie se résume à avoir seulement de l’argent et plein de machins. Il croit que c’est minable, que la vie ce n’est pas ça, que la vie, ça ne peut pas être seulement ça. Que la vie ne peut pas se résumer à vivre dans un château dont on n’aurait vu que les chiottes…»

Avec «son regard d’oiseau de proie», Albert Dupontel s’est imposé à Becker comme étant le meilleur acteur pour rendre toute son intériorité troublée. «C’est un acteur très inquiétant physiquement. On ne sait jamais ce qu’il pense.»

Si l’indignation n’est jamais très loin chez Becker, la nécessité de susciter la réflexion est encore plus près. Dialogue avec mon jardinier et Les enfants du marais témoignaient de ce désir de faire renouer les gens avec les vraies valeurs, que ce soit le partage, l’entraide et les vertus d’une vraie communication, face à l’autre, plutôt que par ordinateur interposé.

Enfant du siècle passé…

La nostalgie d’une vie plus simple, plus calme, qu’il trouve à la campagne ou à sa résidence de l’île de Ré, habite Jean Becker. «Plus je vieillis, plus je m’aperçois que j’ai horreur du bruit. Je deviens agoraphobe. Je ne me sens plus dans le coup, je n’y suis plus. Quelque part, je me sens moins dans la vie de ce siècle que dans celle du siècle précédent.

«Les nouvelles façons de communiquer éloignent les gens les uns des autres, au lieu de les rapprocher, poursuit-il. On communique peut-être davantage, mais d’une façon moins charnelle. On ne sait plus avoir une conversation normale, face à face, les yeux dans les yeux.»

Le fils du grand Jacques Becker (Casque d’or, 1951) croit que cela vaut aussi pour le cinéma. «Le cinéma à effets spéciaux est un cinéma très spécialisé qui correspond à la société actuelle. Mais je crois que c’est appelé à changer. Mon père me disait que pour bien suivre une histoire, le spectateur dans une salle doit oublier que c’est un film. La mise en scène ne doit pas gêner l’histoire qu’on veut raconter.

«Lorsque les gens auront digéré tout cela, les effets spéciaux et tout, on va revenir à de vraies histoires, et abandonner les films édulcorés et volontairement ésotériques.»