Après plusieurs mois de flottement, Cassandra's Dream, le film que Woody Allen a tourné avant Vicky Cristina Barcelona, prend enfin l'affiche à Montréal. Entretien avec Ewan McGregor, covedette avec Colin Farrell de ce drame fraternel.

Lorsque Cassandra's Dream a pris l'affiche en Europe, il y a maintenant plus d'un an, Woody Allen a confié aux journalistes qu'il n'avait strictement vu aucun des films dans lesquels avait joué Ewan McGregor. Le vétéran cinéaste aurait en effet choisi l'acteur écossais après l'avoir vu sur scène à Londres, dans Guys and Dolls. À la sortie du théâtre, Allen était apparemment si convaincu d'avoir trouvé l'un des deux interprètes de son nouveau film qu'il a décidé de solliciter McGregor pour un entretien quelques jours plus tard.

«Cela a duré 45 secondes en tout et pour tout! s'amusait à raconter l'acteur au cours d'une rencontre de presse - à peine un peu plus longue - tenue au Festival de Toronto l'an dernier. Je me suis présenté; Woody m'a remercié pour m'être déplacé, et il m'a dit qu'on se reverrait sur le plateau. Il voulait simplement voir de quoi j'avais l'air en personne!»

La méthode est un peu étrange, c'est vrai. Mais McGregor n'aurait cédé sa place à aucun prix. Comme à peu près tous les acteurs du monde, McGregor entretenait le fantasme de travailler un jour sous la direction du célèbre auteur cinéaste américain.

«Très franchement, je ne croyais jamais que j'aurais pu un jour tenir un rôle dans l'une de ses productions. Même s'il a parfois embauché des acteurs britanniques dans ses films américains, il reste qu'il y a quand même une question d'accent.»

Or, il se trouve que les histoires de certains des plus récents films de Woody Allen sont campées à Londres. Cassandra's Dream était d'ailleurs le troisième film consécutif que l'auteur de Manhattan tournait dans la capitale britannique.

«Étant écossais, et Colin étant irlandais, nous avons quand même dû travailler très fort sur les accents», reconnaît l'acteur. Qui dit en outre avoir été ravi de donner la réplique à Colin Farrell, un collègue avec qui il n'avait encore jamais eu l'occasion de travailler.

Les deux acteurs, qui incarnent deux frères, se retrouvent ainsi plongés dans un drame où leurs personnages, des jeunes hommes qui n'ont jamais eu maille à partir avec la justice, sont amenés à commettre l'irréparable par appât du gain. Le titre du film - aussi le nom d'un bateau dont les deux frères font l'acquisition - se réfère à un mythe grec auquel Allen affirme avoir toujours voulu s'attaquer. Cassandre, fille du roi de Troie, reçoit d'Apollon le don de prophétie mais ce dernier décrète, après avoir été éconduit par la belle, que les prédictions de cette dernière ne seront jamais prises au sérieux.

«Woody Allen ne craint pas les histoires extraordinaires, commente McGregor. Quand je pense à des films comme Zelig, The Purple Rose of Cairo ou Crimes and Misdemeanors, qui sont probablement les films que je préfère, je suis toujours estomaqué de constater à quel point son approche est originale.»
Fausses légendes

Même s'il était fébrile et très enthousiasmé à l'idée de travailler sous la direction d'un cinéaste qu'il vénère, Ewan McGregor ne cache pas avoir été pris de quelques vertiges - appelons cela des appréhensions - avant de gagner le plateau.

«Il y a bien entendu plein de légendes qui circulent à propos de Woody, notamment sur le fait qu'il ne parle pas aux acteurs, explique McGregor. Or, je me suis très vite aperçu que c'est faux. Woody est très timide mais on peut l'approcher très facilement. J'ai eu de très bons rapports avec lui, de très belles conversations aussi. Il considère que l'acteur est le mieux placé pour savoir ce qu'il doit faire. Cela nous donne une entière liberté mais aussi une grande responsabilité. Il travaille tellement vite que les acteurs ont intérêt à être prêts!»

Le tournage de Cassandra's Dream n'a en effet duré que six semaines. Allen allait même jusqu'à mettre en boîte quatre ou cinq scènes quotidiennement, ce qui est très peu habituel comme rythme.
«Cette façon de travailler était complètement inédite à mes yeux, commente l'acteur. Et pour le moins fascinante. Une grande authenticité émane du fait que tous les artisans concentrent leurs énergies pour le tournage d'une scène dont on sait d'avance qu'elle ne nécessitera pas plus de trois ou quatre prises.»
Lors d'une conférence de presse organisée dans le cadre du Festival de Toronto, Woody Allen corroborait à cet égard les propos d'Ewan McGregor en déclarant ceci:
«Je suis paresseux de nature. J'arrive même souvent en retard sur mes plateaux. Je veux prendre le temps de vivre, d'aller voir des parties de basket. Je n'ai pas la patience de multiplier les prises de vues. J'aime tourner et ensuite retourner chez moi. Alors que la plupart des réalisateurs tournent 25 fois la même scène, je tente de faire en deux heures ce qu'ils font en deux jours. Je préfère aussi m'en remettre à l'instinct des acteurs. En outre, je leur permets d'improviser car leur inspiration peut parfois être meilleure que la mienne. Ce sont eux qui habitent les personnages, qui les inventent. Ils peuvent le faire dans leurs mots ou dans les miens, peu importe. Du moment qu'il se passe quelque chose!»

Cassandra's Dream prend l'affiche en version originale avec sous-titres français le 5 décembre au Cinéma du Parc.