Watchmen, la bande dessinée d'Alan Moore et de Dave Gibbons, était réputée inadaptable au cinéma. À cause de sa complexité, de sa longueur (12 tomes), du nombre de ses personnages principaux, de sa violence. Autant de raisons pour convaincre une bande de fous... oups, de fans, de s'y colleter. Avec amour et passion. Histoire de l'épopée derrière l'épopée.

Une fois qu'il a eu bouclé les scénarios de X-Men et de X-Men 2 avec le succès que l'on sait, David Hayter s'est fait demander ce qu'il souhaitait écrire. Réponse instantanée: «Je veux adapter Watchmen», a-t-il raconté lors de rencontres de presse tenues à Los Angeles.

Il savait que Terry Gilliam avait tiré un scénario de l'oeuvre. Il savait que le réalisateur de Brazil avait laissé tomber le projet et, pendant qu'il écrivait sa propre version de l'oeuvre-culte, les réalisateurs Paul Greengrass et Darren Aronofsky ont été contactés. Lui, écrivait. A trouvé l'exercice étonnamment facile: «J'ai entré tout le texte de la bande dessinée dans mon ordinateur, puis j'ai remanié.» Et a présenté le résultat au studio.

Les problèmes ont alors commencé. «On m'a demandé si je pouvais faire passer de six à... un le nombre de personnages principaux, et si je pouvais couper les flash-back, se souvient le scénariste. J'aurais pu, mais ça n'aurait plus été Watchmen.» Il a baissé les bras. Ne demandant qu'une chose aux producteurs: «Peu importe à qui vous confiez le dossier, assurez-vous que ce soit à des fans de Watchmen.» Sont ainsi entrés dans la danse le scénariste Alex Tse et le réalisateur Zack Snyder.

«Je suis surpris de la liberté qu'on m'a laissée», note celui qui venait de mener à bien l'aventure 300 et avait donc la confiance du studio. Celle des fans, par contre, n'était pas acquise. «On a commencé à nous étriper sur l'internet avant qu'on commence à tourner», rigole l'acteur Jeffrey Dean Morgan.

L'inquiétude venait entre autres du fait que 300 était en grande partie tourné sur écran vert donc, dans des décors virtuels. Ce qui était impensable pour Watchmen, qui se déroule dans une réalité alternative mais très «concrète». «Il y a quelque chose de très réaliste dans cette histoire et il fallait que l'on sente cela à l'écran», fait le réalisateur, qui a squatté plusieurs studios de Vancouver pour y faire construire les décors dans lesquels évolueraient les personnages.

Lesquels devaient, pour lui, demeurer au premier plan. D'où le choix d'une distribution composée d'acteurs qui ne sont pas (encore) des stars. «Nous ne voulions pas que ça devienne le nouveau film de Brad Pitt ou de Tom Cruise», fait le producteur Lloyd Levin, qui est associé au projet depuis ses tout débuts et a survécu avec lui aux guerres intestines.

Des guerres, il y en a eu deux principales. D'abord une entre les studios Fox et Warner. Qui s'est conclue par une entente à quelques semaines de la sortie du long métrage et dit que si Warner est propriétaire des droits de l'oeuvre, Fox possède ceux de toute suite qui pourrait voir le jour. Oui, les fans peuvent se poser des questions là-dessus: la finale de Watchmen a un petit quelque chose de «hamletien». Là se pointe l'autre écueil rencontré par la production: le désaveu du film par l'auteur de l'oeuvre originale, Alan Moore.

Échaudé par ses expériences hollywoodiennes précédentes (From Hell, V for Vendetta, The League of Extraordinary Gentlemen), le très coloré Britannique a déclaré au Los Angeles Times que «Hollywood ne fait que régurgiter des vers» et qu'à ses yeux, «le film Watchmen a l'air d'un peu plus de vers régurgités». Ce, sans avoir rien vu. «Mais Alan est un homme de principes», note son partenaire dans l'aventure, l'illustrateur Dave Gibbons qui, lui, endosse l'adaptation. «Son nom n'apparaît nulle part sur les papiers, dans le générique ni les livres tirés du film et il a signé des papiers refusant tous les droits, tous les revenus provenant du long métrage.»

Et l'illustrateur de reconnaître que, dans la même situation, il aurait quand même demandé une mention, «où cas où le produit aurait un certain succès et rapporterait quelque chose», disait-il, en souriant, lors d'une entrevue accordé à La Presse. D'autant plus que lui a apprécié ce qu'il a vu. De la première image à la dernière.

Bien que, si le long métrage colle de surprenante manière à la bande dessinée en péripéties, en esprit du temps et des gens un important changement intervienne en fin de parcours. Mais il est justifié: «Suivre le plan du livre aurait demandé beaucoup de temps à l'écran, au détriment de l'installation des personnages», avance Zack Snyder. Avec Alex Tse, il a donc concocté un dernier rebondissement qui mène au même endroit mais de manière plus directe.

Un enjeu de taille: «La grande demande du studio ne concernait pas la violence, la sexualité ni la nudité, fait le producteur Laurence Gordon, mais a toujours été que le film soit plus court.» Là encore, Zack Snyder et sa bande ont tenu bon: Watchmen dure 2h45 ce qui est beaucoup pour une superproduction. On peut s'en réjouir.

RORSCHACH / WALTER KOVACS

Il défie le Keene Act et continue à traquer «la vermine». Son masque est «maculé» de taches rappelant celles du test de psychologie dont il a adopté le nom. «Jouer en portant une cagoule est une épée à double tranchant. Le fait de l'enfiler m'a aidé à installer les personnages mais en même temps, tout devait passer par ma voix», croit Jackie Earle Haley pour qui Rorschach «est le pur produit d'une enfance qui n'a pas été rose. Pour le comprendre, j'ai tenté d'analyser la société à travers son filtre. Je n'ai pas aimé ce que j'ai trouvé.»

-----------------------THE COMEDIAN / EDWARD BLAKE

Pour cette machine à tuer au service du gouvernement, les actes de brutalité comme d'héroïsme font peu de différence. «Si ce n'est qu'il est nihiliste, psychotique et n'a aucun don pour communiquer, ce type me ressemble», pouffe Jeffrey Dean Morgan, persuadé que «s'il n'avait pas trouvé cet exutoire sous le masque, Edward Blake serait mort ou en prison depuis longtemps. Que Rorschach et The Comedian soient les personnages préférés des gens en dit d'ailleurs long sur la nature humaine et explique un peu l'état du monde.»

NITE OWL II / DAN DREIBERG

Ce bricoleur de talent s'est engagé dans la lutte contre le mal à cause de sa vision romantique du super-héros et de ses valeurs «vieux jeu». «Pour Dan, Nite Owl est lui en mieux. Être dans le costume fait de lui quelqu'un de mieux et de plus sûr de lui sur tous les plans», fait Patrick Wilson qui, pour incarner le personnage dans tout ce qu'il a de défaitiste, a pris quelques kilos. «Les illustrations de la bande dessinée m'ont aussi beaucoup aidé à visualiser la mollesse, le découragement et le désabusement du personnage.»

SILK SPECTRE II / LAURIE JUSPECZYK

Elle est la fille de Sally Jupiter, alias Silk Spectre. Sa mère l'a élevée dans l'idée d'en faire, comme elle, une justicière masquée. «Nous avons tous une personnalité avec nos proches et une autre quand nous sommes dans notre milieu professionnel. C'est la même chose avec Laurie, explique Malin Akerman: une femme qui a tendance à s'ouvrir peut-être trop aux émotions des autres, dont le choix de carrière est d'aller combattre le mal. Elle donne un coup de pied à sa vulnérabilité quand vient le temps d'aller en donner aux méchants.»

DR. MANHATTAN / JON OSTERMAN

Il est devenu un être tout-puissant après un accident où son corps a été désintégré. Il en a réassemblé les particules et est ainsi le seul Watchman à posséder des pouvoirs. «Je n'en revenais pas de trouver une chose qui corresponde ainsi à mes goûts dans un genre aussi inattendu, reconnaît Billy Crudup qui ne connaissait pas Watchmen avant d'enfiler la peau de ce Dr. Manhattan «qui a des trucs plus importants que l'humanité en tête: nous avons besoin de manger, de chaleur humaine. Pas lui. Sa vision du monde n'est pas la nôtre.»

OZYMANDIAS / ADRIAN VEIDT

Richissime et considéré comme l'homme le plus intelligent du monde, il a pour modèles Alexandre le Grand et Ramsès II. Il s'est retiré des Watchmen avant l'adoption du Keene Act. «Un peu comme Dr. Manhattan, à cause de son intelligence supérieure, Adrian est détaché de l'humanité qu'il juge de haut mais, en même temps, chérit. En fait, il souffre d'un complexe de Dieu, avance Matthew Goode. À ses yeux, l'humanité est en faute, brisée. Il faut trouver le moyen de la réparer et il n'y a pas de prix trop élevé pour parvenir à cela.»
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Watchmen
(Les gardiens en version française) prend l'affiche le 6 mars.

Les frais de voyage de ce reportage ont été payés par Warner Brothers