Pour la deuxième fois, Michelle Pfeiffer a dit oui sans hésiter à Stephens Frears: 20 ans après Dangerous Liaisons, adaptation du roman épistolaire de Choderlos de Laclos où elle incarnait la fragile Mme de Tourvel, elle allait se retrouver dans la peau de Léa de Lonval, courtisane dans le Paris de la Belle Époque que Colette a imaginée et glissée entre les pages de Cheri comme entre des draps de soie.

"Elle a été très courageuse d'accepter le rôle, parce que je la montre telle qu'elle est, sans artifice, sans tenter de camoufler son âge", a indiqué le réalisateur de The Queen et My Beautiful Laundrette, joint au téléphone à New York où il était de passage plus tôt cette semaine.

Car la dame de... très proche compagnie que joue l'actrice de 51 ans - au demeurant toujours sublime - est en "fin de carrière". Mais elle termine en beauté, entre les bras du très jeune Fred Peloux, surnommé Chéri (Rupert Friend) et fils d'une autre courtisane, moins racée que Léa, Mme Peloux (Kathy Bates).

Une liaison pas dangereuse, sereine. Qui dure depuis six ans quand Chéri annonce son mariage avec la belle Edmée, bientôt 18 ans et bien dotée. Léa et lui découvriront alors, à leur plus grande surprise, que leur jeu de séduction était peut-être plus qu'un simple jeu et que leurs ébats sur le matelas étaient peut-être amoureux.

Une histoire qui pourrait être inspirée de la relation que Colette a eue avec son tout jeune beau-fils, Bertrand de Jouvenel. Et qui a fasciné le scénariste Christopher Hampton (Atone-ment), avec lequel Stephen Frears avait déjà fait équipe pour Dangerous Liaisons.

Bref, si on résume, deux romans français, deux histoires "d'amour", deux incursions dans l'histoire, avec Christopher Hampton au scénario, Stephen Frears à la réalisation et Michelle Pfeiffer en costume devant la caméra. "Les comparaisons étaient inévitables mais elles ne sont pas pertinentes", assure Stephen Frears qui, visiblement, n'en a rien à cirer: il n'allait pas se priver du plaisir de retravailler avec cet ami de longue date "qui aime ces livres français, qu'il lit d'ailleurs en français, et à partir desquels il écrit des scénarios formidables".

Il a d'ailleurs été question que le film soit réalisé en français... mais Stephen Frears n'aurait alors pu être de la partie: "Je ne le parle pas ni ne le comprends." Par contre, il aurait bien aimé avoir Juliette Binoche dans le rôle de Léa, "mais elle est trop jeune". Michelle Pfeiffer, elle, était parfaite. En beauté, en âge. "Et je savais qu'elle pouvait incarner une Européenne, elle l'a fait dans Les liaisons dangereuses."

Or, cette qualité de... transfuge continental n'est pas donnée à tous. Il s'en est rendu compte quand est venu le temps de trouver son Chéri: "J'ai vu des dizaines de jeunes acteurs américains, d'excellents comédiens mais ils ne "comprenaient" pas le personnage. Il est complètement hors de leur expérience et, en audition, ils avaient tendance à l'excuser d'être ce qu'il est, pas à l'assumer. Et cette attitude teintait leur performance." D'une "couleur" qui n'allait pas.

Ce qu'il est, le Chéri de Colette, dont Christopher Hampton a saisi l'essence? Un jeune homme très beau (ça, ça se trouve) mais vivant une enfance perpétuelle dans un monde uniquement axé sur le plaisir. Il est frivole, élégant, dépendant de Léa. Il est, d'une certaine manière, un "courtisan" lui-même. "Puisque je ne le trouvais pas aux États-Unis, je me suis tourné vers l'Angleterre. Il était là en la personne de Rupert Friend."

Ensemble, la femme mûre et le jeune homme ont joué sur le fil somme toute ténu de cette histoire faite "de petites choses très intérieures et pas de grands drames, à l'opposé des Liaisons dangereuses qui, en ce sens, est plus mélodramatique. Chéri est plutôt une histoire dramatique portée par des personnages frivoles".

L'équilibre entre ces deux aspects du récit, la frivolité et le drame, a été le plus grand défi de Stephen Frears. "Mais que voulez-vous, c'était ça, mon travail. Trouver cet équilibre, parce qu'il le fallait." Et quand il faut, lui, il fait.