Asif Kapadia savait que réaliser un documentaire sur l'un des pilotes automobiles les plus talentueux de l'histoire pouvait s'avérer un exercice périlleux, pour ne pas dire complètement casse-gueule. Le réalisateur et scénariste britannique ne s'est pas démonté. Sorti en Europe et en Asie - presque - sous les acclamations, son film Senna est diffusé en première à Montréal.

Lorsque les producteurs James Gay-Rees et Eric Fellner l'ont approché pour réaliser un documentaire sur Ayrton Senna, Asif Kapadia possédait déjà suffisamment de connaissances sur le personnage et sur la course automobile pour accepter. La Formule 1 des années 80 et 90, il l'a suivie. Il accepte. Même s'il a conscience que le sport est un sujet très difficile. «Parce que cela paraît souvent faux, truqué», dit-il.

Qu'à cela ne tienne. En amont, la proposition de ses producteurs a remporté l'adhésion de la famille du pilote brésilien décédé. Il n'a fallu que 14 minutes d'exposé auprès de la soeur de Senna.

Nous sommes alors en 2006, et il faudra deux ans pour accoucher du projet et convaincre Bernie Ecclestone, grand manitou de la F1. «Nous avons été les premiers à avoir accès aux archives de Bernie Ecclestone. S'il avait dit non, nous n'aurions jamais fait ce film», explique Asif Kapadia. Pour la plupart inédites, les images sont parfois exceptionnelles. Pour les spécialistes comme pour les néophytes.

Témoins

Kapadia et son équipe ont parcouru le monde pendant presque trois ans à la recherche de témoins de cette décennie de Senna en F1. Celui qui a réalisé Far North et The Warrior a privilégié une narration de ces acteurs en dehors du champ de la caméra. Les voix de chacun suivent parfaitement les images d'archives. Kapadia boude les entrevues devant la caméra. «Le but était d'être tout au long du film dans l'instant présent», dit-il. Objectif atteint, au point où l'on a parfois l'impression que c'est Ayrton Senna lui-même qui raconte son histoire.

Parce qu'il aurait été facile d'aborder l'histoire du triple champion du monde en commençant par sa mort accidentelle en 1994, Asif Kapadia a plutôt choisi de mettre en exergue la terrible rivalité existante entre le pilote brésilien et son coéquipier français Alain Prost. Le jour où Senna réalise son premier exploit en F1, en décrochant une deuxième place à Monaco dans des conditions dantesques, Prost remporte le Grand Prix. À partir de ce moment-là, ils ne se lâcheront plus. Et la bagarre prendra des proportions étonnantes.

De ce traitement de l'image et de l'histoire, Alain Prost ressort très sérieusement écorché.

«Je ne veux pas les confronter, se défend Asif Kapadia. Après avoir vu énormément d'images, je peux vous dire que nous montrons Prost tel qu'il était à cette époque. Prost et Senna n'ont malheureusement pas eu assez de temps pour devenir amis. Je rappelle que Prost était là à l'enterrement de Senna, il était là pour porter le cercueil. Avec le temps, ils seraient devenus amis.»

Jeu de coulisses

En soulignant dans son film le caractère politique de ce sport et les jeux de coulisses, le réalisateur reconnaît que le président de la Fédération internationale du sport automobile de l'époque, Jean-Marie Balestre, en prend pour son grade. Et que c'est plutôt lui et la formidable machine médiatique et commerciale qu'il conduisait, qu'il vise.

Ce documentaire est à la fois un drame qui «célèbre la vie de Senna» et un thriller. «Un album-photos pour les fans», ajoute Asif Kapadia. Une découverte spectaculaire pour les non-initiés. Avec un brin de nostalgie? Peut-être. La Formule 1 a énormément changé depuis le début des années 90. Technologiquement et humainement.

Primé à Sundance (meilleur documentaire), le film a été très bien reçu en Grande-Bretagne, au Japon et au Brésil. Si l'on en croit son réalisateur, la famille d'Ayrton Senna en a été très émue. Son ancien directeur de l'écurie McLaren, Ron Dennis, a beaucoup pleuré et Bernie Ecclestone a adoré. Alain Prost? Il n'a pas répondu à l'invitation à venir voir le film.

Ayrton Senna est à ce jour le dernier pilote mort sur un circuit de Formule 1.

Senna sera diffusé en première au cinéma Quartier Latin à Montréal le 10 août. Sa sortie en salle n'est pas encore déterminée.