À mi-chemin entre le documentaire et la fiction, Má Sài Gòn (Mère Saigon) est un film inclassable, ancré dans le réel, mais volontairement impressionniste, une petite curiosité à prendre comme une invitation au voyage, à la rencontre de l’autre et de la diversité. Entretien avec son réalisateur Khoa Lê, au parcours tout aussi éclaté que son œuvre.

« Moi, je suis là où il y a du fun », réagit spontanément notre interlocuteur, rencontré dernièrement au Cinéma Moderne, cinéaste de son état, mais aussi restaurateur (Chez Denise), à qui l’on doit aussi l’entreprise de jouets érotiques My Afterglo.

« Tout ce que je fais s’inscrit dans une quête, explique-t-il plus sérieusement, un questionnement sur mon rapport au monde, à moi-même et à la place que j’occupe. » Le lien entre tous ses projets ? « L’humain, toujours l’humain », répond-il sans hésiter, avec ce débit accéléré qu’ont ces gens passionnés par leur sujet.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Khoa Lê, cinéaste

Le cinéma me permet d’explorer ma relation avec mon identité vietnamienne et mes identités très multiples.

Khoa Lê, cinéaste

Des identités relativement peu représentées dans les médias en général, et au cinéma en particulier, faut-il le signaler.

Dans son film, qui a remporté le Prix spécial du jury de la compétition nationale longs métrages lors de la récente édition des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), Khoa Lê propose justement différents fragments de vie, des portraits intimes et variés, d’une série de personnages vietnamiens, tous installés à Saigon. « À ma manière, j’essaye de porter à l’écran nos histoires. Les histoires qui concernent mes communautés », dit-il.

On devine d’entrée de jeu une certaine tension entre tradition et modernité, ou plutôt marginalité, qui s’exprime à la fois dans l’habillement, la musique ambiante et, bien sûr, les modes de vie. Ici, un couple gai, là, une personne trans, ainsi qu’une personne queer, ou non-binaire. La caméra se promène d’un groupe à l’autre dans des moments souvent banals du quotidien (sur un toit, dans un train, assis par terre), alors que les protagonistes discutent famille, identité, amour, sans suite logique ni tension dramatique. On est ici en mode contemplatif. Ou disons « existence » : « ils existent », résume effectivement Khoa Lê.

« Ce sont des humains qui me touchent, qui m’inspirent, qui me parlent », poursuit le réalisateur, qui a rencontré tous ses personnages en voyage au Viêtnam, il y a quelques années, pour un projet de fiction, lequel s’est métamorphosé en cette exploration qu’est Má Sài Gòn. « Je me suis lié d’amitié avec ces humains et j’ai eu envie de faire un film sur eux. » Une envie qui s’est « imposée » à lui, littéralement, telle une véritable « pulsion », « comme une nécessité », dit-il.

J’ai voulu capter leur beauté, leur lumière, leur résilience.

Khoa Lê, cinéaste

On devine pourquoi : « Chacun pose des questions que moi aussi je me pose sur ma place, ma famille, la tradition, ma quête d’amour, d’amitié, de connexion [...] face à ma mère patrie, la maman, cette ville et ce pays, cette culture oppressante et réconfortante à la fois. »

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS DU 3 MARS

Scène du film Má Sài Gòn (Mère Saigon)

La place de la famille

Il faut entendre les protagonistes poser cette question à répétition : « Tes parents, qu’est-ce qu’ils vont dire ? » D’où, d’ailleurs, cette rare narration, qui revient par trois fois dans le film, en introduction, au milieu, puis en toute fin, récitée tel un poème à une mère : « Si je devais renaître un jour, je voudrais encore être ton fils, si je devais renaître un jour, je voudrais encore que tu sois ma mère. »

« J’aime les mères, reprend Khoa Lê, j’ai fait un film sur les grands-mères [Bà Nôi, grand-maman], je suis très sensible aux mères, ça vient me chercher... »

Il faut comprendre qu’au Viêtnam, la famille occupe une place immense : « Une très, très, très grande place dans la filiation et les traditions. » Conséquence : « être gai, lesbienne, ou trans, ça n’est pas un danger nécessairement, c’est légal. Tu vis plein de discrimination évidemment, mais là où c’est vraiment difficile, c’est dans l’intimité et la relation avec la famille. » En gros : « Tu peux être n’importe quoi, mais... fais des enfants ! »

Si vous vous posez la question, non, Khoa Lê, lui, n’en a pas. « Ce n’est pas un enjeu parce que je vis au Québec ! », souligne le réalisateur, arrivé au pays à 7 ans avec ses parents.

« Mais j’ai voulu réveiller toutes ces existences. Ce n’est pas une quête d’exotisme, dit-il. Ce n’est pas un film qui cherche à éduquer, mais à sensibiliser. À émouvoir. Et, espérons-le, à développer de la bienveillance. »

En salle le 2 février