Dans Le successeur, Marc-André Grondin crève l’écran dans un film anxiogène et surprenant qui mélange les genres. La Presse a rencontré l’acteur de Doute raisonnable, pour discuter du long métrage de Xavier Legrand dans lequel il se surpasse.

Marc-André Grondin, qui aura 40 ans en mars prochain, a déjà une impressionnante feuille de route : une trentaine de films et une quinzaine de séries. En vedette dans le deuxième long métrage de Xavier Legrand (Jusqu’à la garde), le comédien explore des zones obscures et limites. « J’ai toujours essayé d’arriver là où l’on ne m’attendait pas », dit l’acteur, en ajoutant qu’il carbure surtout au coup de cœur.

Dans Le successeur (une coproduction Québec, France et Belgique), il incarne Ellias, le directeur artistique d’une célèbre maison de haute couture parisienne. En pleine ascension dans le milieu de la mode, Ellias apprend que son père, qu’il ne voit plus depuis plusieurs années, vient de mourir d’une crise cardiaque. Il se rend au Québec pour régler la succession, en croyant rester deux ou trois jours. Mais Ellias va découvrir qu’il a hérité de bien pire que du cœur fragile de son père…

C’est une vraie proposition cinématographique. Le film malmène avec plaisir le public. C’est un film hybride qui déjoue les codes.

Marc-André Grondin, comédien

En effet, Le successeur mélange les genres : film noir, suspense, parabole tragique, thriller anxiogène, nouveau cinéma d’épouvante… D’une scène à l’autre, le public ne sait pas où le récit va le transporter.

État d’abandon

Le comédien a plongé dans « un état d’abandon total » durant le tournage. « J’ai fait complètement confiance à Xavier [Legrand], à sa vision de son œuvre. Xavier est d’abord un acteur et il nous dirige très bien. Le cinéaste sait précisément ce qu’il veut. Parfois, ça prend deux prises, d’autres fois, 18… avant d’y arriver. Mais lorsqu’il a sa [bonne] prise, c’est exactement ce qu’il avait en tête. »

FOURNIE PAR ENTRACT FILMS

Yves Jacques et Marc-André Grondin dans Le successeur, le nouveau film de Xavier Legrand

Marc-André Grondin joue dans pratiquement les trois quarts du film. Il crève l’écran dans plusieurs scènes où il est seul. La distribution comprend aussi Anne-Élisabeth Bossé, Vincent Leclerc, Louis Champagne et Yves Jacques. Ce dernier joue pour la première fois avec Grondin.

« Ce que je trouve formidable, c’est qu’on joue tous avec notre accent québécois ! Ce qui est audacieux pour une coproduction avec la France et la Belgique », remarque Yves Jacques, qui a habité à Paris et, comme Grondin, a souvent travaillé outre-Atlantique.

« Je connais Xavier depuis une quinzaine d’années. Il m’a vu jouer au théâtre et au cinéma en France, poursuit le vétéran acteur. Durant la pandémie, il m’a texté pour me dire qu’il écrivait un rôle pour moi. J’étais heureux quand j’ai vu qu’il m’offrait un rôle de bon père de famille, d’un gars gentil. Car en général, on me fait jouer des personnages torturés, alors que dans la vie, je suis tout le contraire de ça. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Xavier Legrand, réalisateur du film Le successeur

Tournage exigeant

Pour son scénario, co-écrit avec la dramaturge québécoise Dominick Parenteau-Lebeuf, Xavier Legrand s’est inspiré des classiques de la tragédie grecque, tels qu’Euripide, Sophocle et Eschyle ; ainsi que des drames historiques de Shakespeare. Des auteurs qui puisaient dans la mythologie pour écrire leurs récits. « À la minute où le film commence, il n’y a pas de retour en arrière. Ellias se fait aspirer et il va descendre jusqu’au fond. C’est fatal », résume Grondin.

On lui demande pourquoi son personnage réagit avec autant d’aveuglement, pour utiliser un euphémisme :

J’ai accepté le récit sans le questionner. On est dans une tragédie grecque. Tu ne lis pas Œdipe en pensant à ce que tu aurais fait à sa place ou si tu aurais appelé la police… Au bout du compte, le résultat est le même.

Marc-André Grondin, comédien

Le réalisateur aussi associe le personnage d’Ellias à une figure tragique, comme Œdipe ou Oreste. Un Œdipe moderne qui revient dans son Repentigny natal et s’enfonce dans une spirale infernale. Sa tentative pour réparer le legs de ce père qu’il n’a jamais aimé le conduit au désastre. Le poids du patriarcat est très écrasant dans Le successeur.

Grondin ajoute que le tournage du film a été « plaisant… mais exigeant ». « On a tourné de nuit dans une maison exiguë de Repentigny, dans la grisaille de la fin de l’hiver. »

La gentillesse en héritage

Ellias essaie de sauver sa carrière, sa réputation et cette vie glamour qu’il s’est faite en Europe. Mais son héritage familial le rattrapera.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Marc-André Grondin

Il y a cinq semaines, Grondin a eu une petite fille avec la comédienne Sarah-Jeanne Labrosse, un troisième enfant pour l’acteur de C. R. A. Z. Y. Or, le film lui fait aussi penser au legs de son propre père, le regretté animateur Denis Grondin. « Mon père aimait rendre les gens heureux. Depuis sa mort [en 2017], je constate à quel point il était apprécié de tous. Des gens qui l’ont connu viennent me parler de lui, et je vois dans leur regard qu’ils l’appréciaient beaucoup. »

« J’essaie aussi de reproduire, dans ma vie et au travail, cette gentillesse-là, poursuit-il. D’entretenir de bons rapports avec les équipes sur les tournages. Au-delà du succès d’un film ou pas, mon plaisir à faire ce métier passe par la transmission des valeurs de mon père. »

Et de ne pas tomber dans la fatalité de la tragédie humaine.

En salle le 2 février