Fidèles collaborateurs de Ridley Scott, Janty Yates et David Crossman ont eu la colossale tâche d’habiller les 150 acteurs et 4000 figurants de Napoléon, fresque historique où Joaquin Phoenix et Vanessa Kirby incarnent l’ambitieux Corse et la femme de sa vie.

Avec son chapeau dont les cornes étaient portées sur les côtés plutôt que devant et derrière, ses uniformes militaires cintrés et sa main glissée sous le gilet, Napoléon Bonaparte est certainement l’une des figures historiques les plus reconnaissables encore de nos jours. Quant à sa première femme, Joséphine de Beauharnais, souvent représentée en robe blanche aux lignes pures et à la taille très haute, elle demeure l’incarnation par excellence du style Empire.

« Les uniformes de Napoléon étaient absolument magnifiques et moulants, ce qui l’amenait à se tenir très droit. Je peux très bien imaginer qu’il exerçait une influence sur la mode et que les Parisiens désiraient avoir cette fière allure. Personne n’aimait porter le corset, avec ce style révolutionnaire qu’a été le style Empire, il n’y avait plus besoin de porter de sous-vêtements. Les gens ont adopté ce style si rapidement que je ne saurais dire s’il a inspiré Joséphine, qui était à la fine pointe de la mode, ou si c’est elle qui l’a inspiré », explique Janty Yates, lauréate d’un Oscar pour les costumes de Gladiator, de Ridley Scott.

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L’emblématique bicorne de Napoléon

Ridley Scott souhaitant que son Napoléon soit le plus fidèle possible à la réalité, Janty Yates, dont c’était la quinzième collaboration avec le réalisateur de House of Gucci, et David Crossman, spécialiste des costumes militaires s’étant notamment illustré avec Saving Private Ryan, de Steven Spielberg, et 1917, de Sam Mendes, ont dû faire leurs devoirs. Ils ont ainsi visité plusieurs musées, dont celui du château de Malmaison, dernière demeure de Joséphine, passé en revue tous les portraits existants du couple Bonaparte, épluché des catalogues d’expositions.

« J’ai eu accès à ce qui restait des uniformes de Napoléon à Paris et, bien sûr, à ses chapeaux et à sa fameuse redingote, dont il restait une version en bleu à Fontainebleau, raconte celui qui signe pour la quatrième fois des costumes pour Ridley Scott. Un ami collectionneur possède une redingote originale et j’ai donc pu la copier et l’adapter à la façon de Napoléon. Au musée de Paris, on a les mesures du chapeau, donc tous ceux que nous avons faits pour le film sont exactement de la même taille que ceux de Napoléon. »

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Joaquin Phoenix

L’emblématique bicorne de Napoléon a cependant posé quelques problèmes à David Crossman : « Joaquin Phoenix étant végane, nous ne pouvions pas faire les chapeaux en feutre, parce que c’est un textile fabriqué avec de la laine. Nous les avons donc faits avec l’écorce d’un arbre qui pousse en Ouganda. Au départ, je craignais que l’écorce d’arbre ne réagisse pas aux éléments comme le feutre. Finalement, c’était une idée brillante, puisqu’à l’écran, on remarque que cela donne au chapeau de belles textures dans sa manière de capter la lumière. »

Et les fameuses bottes, alors ? « Heureusement pour nous, les bottiers de Rome, qui avaient travaillé avec Joaquin sur Mary Magdalene, lui ont fait des bottes en faux cuir. J’avais déjà travaillé avec Joaquin, donc je suis habituée à ses demandes. Pour ce film, j’ai créé son costume pour le sacre de Napoléon et quelques vêtements d’intérieur, dont le costume de velours noir. Comme j’étais chargée des costumes civils, Joaquin était le bébé de David », révèle Janty Yates.

Une armée qui a du panache

Croyant que cela était bon pour le moral des troupes, Napoléon aimait que son armée arbore des couleurs voyantes, des boutons rutilants, des broderies dorées et de hautes plumes pimpantes ; son influence se fera sentir jusqu’à la Première Guerre mondiale. David Crossman raconte qu’après la Révolution française et jusqu’aux premiers jours de l’Empire, les hommes, qui n’avaient plus que des haillons pour se vêtir, trouvaient chaleur et confort en portant l’uniforme napoléonien.

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Vanessa Kirby et Joaquin Phoenix

« Napoléon s’habillait sobrement, ajoute celui qui a supervisé la confection de 4000 uniformes. Quand il est devenu empereur, son style s’est même simplifié ; il portait des vêtements aux couleurs neutres. Sur les champs de bataille, il portait un long manteau gris. Je crois qu’il affectionnait un style sobre pour rappeler ses modestes origines corses et s’éloigner de l’extravagance de la monarchie française. »

Selon certains historiens, Napoléon lançait des tendances vestimentaires chaque fois qu’il revenait du champ de bataille. De plus, il n’aurait pas supporté l’idée qu’une femme puisse porter deux fois la même robe en sa présence. Cela expliquerait sans doute pourquoi Joséphine a été une fashionista possédant autour de 650 robes et presque autant de paires de chaussures.

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L’équipe a utilisé du blanc cassé, de l’or pâle et de l’argent pâle pour les costumes de Joséphine (Vanessa Kirby).

« Elle l’était bien avant de rencontrer Napoléon, pense David Crossman. C’était une façon de trouver du réconfort, d’apaiser ses angoisses. En lisant des biographies sur elle, on apprend que Joséphine a eu une vie vraiment difficile et souvent triste, tant avec son premier mari qu’avec Napoléon, qui ont été durs avec elle. »

« Pour le film, on a seulement dû faire 30 robes ; chacune d’elles a été fabriquée à la maison, ce qui prenait environ quatre semaines, explique Janty Yates. Pour le couronnement, la robe est identique à celle du tableau du Sacre de Napoléon de David. Les robes créées pour le film sont semblables à celles de Joséphine, mais les broderies et les dorures sont différentes. D’après ce que j’ai lu, les robes étaient légères, faites de soie somptueuse, parfois même de coton, auxquelles on ajoutait des broderies. »

Joséphine portait souvent du blanc parce que c’était la couleur préférée de Napoléon ; or, le blanc est une couleur à éviter à la caméra. « Nous avons utilisé beaucoup de blanc cassé, d’or pâle, d’argent pâle… et du rouge écarlate. Ridley est un grand artiste qui fait de magnifiques storyboards et en principe, il est très collaboratif. Or, il a dessiné Joséphine portant une robe rouge dans une pièce rouge. “Tu la veux en robe rouge ?”, que je lui ai demandé ; il a répondu “oui !”. J’ai donc fait cette robe », conclut Janty Yates en riant.

En salle

Qui sont Janty Yates et David Crossman ?

Le fait d’avoir coulé ses cours d’histoire n’a pas empêché la costumière Janty Yates de se transporter plusieurs fois dans l’Antiquité (Gladiator, Exodus : Gods and Kings) et au Moyen Âge (Kingdom of Heaven, Robin Hood, The Last Dual) grâce à Ridley Scott.

Le spécialiste des uniformes militaires David Crossman a quitté l’école à 16 ans et a décroché un emploi dans le département militaire d’un costumier. Une douzaine d’années plus tard, il signait les costumes de Saving Private Ryan, de Steven Spielberg.