Du court métrage de Louis Lumière, Entretien de Napoléon et du pape, réalisé en 1897, à la fresque épique Napoléon de Ridley Scott, quelque 180 films ont été consacrés à celui qui a tour à tour été surnommé le petit caporal, le grand général, l’ange noir de Corse, le tyran, le despote, le boucher.

Jusqu’à maintenant, aucun de ces films n’a surpassé le Napoléon d’Abel Gance, chef-d’œuvre novateur et audacieux sorti en 1927, dont une version restaurée de sept heures devrait voir le jour en 2024. Pas même celui qu’on annonçait comme l’évènement cinématographique de 2023, lequel relate les hauts faits d’armes et les amours tourmentées du premier empereur français, de l’exécution de la dernière reine de France jusqu’à sa mort dans l’île volcanique de Sainte-Hélène, après avoir été vaincu par les Anglais à Waterloo.

De fait, malgré ses indéniables qualités esthétiques, artistiques et techniques, le Napoléon de Ridley Scott, rompu aux films à grand déploiement tels Gladiator, Le royaume des cieux et Le dernier duel, apparaît comme un fastidieux cours d’histoire où les grands personnages font trois petits tours et puis s’en vont, tels Barras (Tahar Rahim) et Wellington (Rupert Everett). Pis encore, un cours d’histoire auquel on aurait voulu ajouter une touche d’humour et au cours duquel on aurait omis plusieurs pages, voire des chapitres entiers, afin de se concentrer sur les deux passions, pour ne pas dire obsessions, de Napoléon : la guerre et Joséphine.

La faute à qui ? Au scénariste David Scarpa (Tout l’argent du monde) ou à Joaquin Phoenix, qui aurait fait modifier le scénario ? Une chose est sûre, ni l’un ni l’autre n’a autant d’esprit que Sacha Guitry, dont le théâtral Napoléon (1955) était raconté du point de vue de Talleyrand – joué chez Scott par Paul Rhys.

Peut-être faudra-t-il voir la version de quatre heures et demie, laquelle sera offerte sur Apple TV+ l’an prochain, pour mieux apprécier la démarche de Ridley Scott (qui avait si magnifiquement visité l’époque napoléonienne dans son premier long métrage, Les duellistes, en 1977). Et avant de déclarer que le cinéaste aurait dû s’abstenir, comme Stanley Kubrick à la fin des années 1960, de se coller à ce Corse d’origine modeste assoiffé de conquêtes territoriales et féminines.

Il serait toutefois fort déconseillé de ne pas d’abord voir Napoléon sur grand écran. Ne serait-ce que pour les scènes de bataille, dont celle d’Austerlitz, qui s’avère un véritable moment d’anthologie avec ses prises de vue sous-marines. Dans la lignée de Guerre et paix (1956), de King Vidor, de Waterloo (1970), de Sergueï Bondartchouk, où l’on retrouvait 20 000 figurants, et du Colonel Chabert, d’Yves Angelo, où l’on recréait la bataille d’Eylau, la somptueuse fresque historique de Scott ne se contente pas de mettre en lumière le génie stratégique de l’empereur. Époustouflantes, épiques, incomparables, les scènes de bataille révèlent avec puissance toute l’horreur des guerres napoléoniennes. Et l’ambition aveugle de l’opiniâtre général.

Incarné par Joaquin Phoenix, qui marmonne comme Marlon Brando dans Désirée (1954), d’Henry Koster, et cabotine comme Rod Steiger dans Waterloo, Napoléon fait figure de brute épaisse, libidineuse et pleurnicharde au centre de toute cette opulence. Pis encore, aux côtés de Vanessa Kirby, rose anglaise de 35 ans jouant avec grâce l’infidèle et intrigante Joséphine de Beauharnais, l’acteur de 49 ans peine à faire croire qu’il est de 6 ans son cadet.

Alors que les soulèvements du peuple et les campagnes militaires tiennent en haleine et en mettent plein la vue, les scènes d’intimité du couple impérial se révèlent d’embarrassants et ennuyants intermèdes. À ce compte-là, mieux vaut revoir l’ambitieuse minisérie Napoléon (2002), d’Yves Simoneau, avec Christian Clavier et Isabelle Rossellini.

En salle

Napoléon (V. O. Napoleon)

Drame biographique

Napoléon (V. O. Napoleon)

Ridley Scott

Joaquin Phoenix, Vanessa Kirby, Tahar Rahim

2 h 30

6/10