En incarnant au grand écran le protagoniste solitaire de Sur les chemins noirs, une adaptation du récit à caractère autobiographique de l’écrivain Sylvain Tesson, Jean Dujardin a vu l’occasion de faire aussi le point sur sa vie d’acteur. Et d’homme. Entretien.

Ayant un peu de temps à combler dans le programme de sa journée, Jean Dujardin s’est un jour rendu dans une librairie pour se procurer un petit livre qu’il pourrait lire en deux ou trois heures.

Ayant déjà apprécié les romans de Sylvain Tesson, particulièrement Berezina et Dans les forêts de Sibérie, il a choisi Sur les chemins noirs. Dans ce récit autobiographique, l’écrivain raconte comment, après avoir fait une chute de plusieurs étages un soir d’ivresse l’ayant plongé dans le coma, il s’est promis de traverser la France à pied, comme une renaissance de soi.

« J’ai lu ce livre, je l’ai aimé et j’ai fait part de ma lecture sur Instagram, ce que je fais assez rarement, raconte l’acteur au cours d’un entretien accordé à La Presse. Deux semaines plus tard, le metteur en scène [Denis Imbert] m’a appelé en me disant qu’il avait acheté les droits du récit et qu’il venait de l’adapter avec Diastème [le coscénariste]. Il m’a demandé si je souhaitais lire son scénario. Oui, évidemment. J’avais très envie de partir comme ça, sur les chemins… »

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Joséphine Japy et Jean Dujardin dans Sur les chemins noirs, un film réalisé par Denis Imbert

Une démarche particulière

Jean Dujardin espérait tomber sur ce genre d’histoire depuis un moment. Cela dit, la vision cinématographique d’un tel récit ne lui est pas apparue d’évidence à la lecture, d’autant qu’il s’agit ici d’une aventure essentiellement intérieure, même si elle se déroule dans des cadres naturels spectaculaires.

« Ce qui m’intéressait surtout était de voir comment on peut se réparer par sa solitude en empruntant ses propres chemins noirs, précise celui qui a en outre personnifié le célèbre agent OSS 117 trois fois au cinéma. Passer par des chemins cachés, pour reconstruire une âme détruite, avec ce besoin de faire le point sans être vu. Comment fait-on un film comme ça ? On ne sait pas, en fait. »

Pour tourner Sur les chemins noirs, une petite équipe, composée d’une dizaine de personnes, a sillonné la France du sud au nord en composant avec les décors, les reliefs, les différentes lumières naturelles, le vague à l’âme ressenti. Chacun était là au service du long métrage, mais plusieurs ont profité de ce moment pour faire aussi un bilan de vie.

« Je n’avais pas vraiment l’impression de tourner ni d’être un personnage, confie Jean Dujardin. J’incarnais à la fois l’auteur du bouquin et un peu moi, à la manière d’un homme qui décide de faire le point à 50 ans. Ça aurait pu être sur les mers, là, c’est sur les chemins. »

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Jean Dujardin est la tête d’affiche de Sur les chemins noirs, un film réalisé par Denis Imbert.

Un grand succès populaire

L’équipe a ainsi traversé la France entière, du Mercantour au Cotentin, en s’arrêtant et en tournant dans tous les endroits mentionnés dans le récit, jamais plus d’une journée. L’acteur fait remarquer que chacun des membres de l’équipe avançait dans l’aventure un peu dans sa propre solitude, sans que cette démarche soit vraiment prévue. L’expérience a ainsi revêtu un caractère intime pour tout le monde.

« Denis Imbert s’est mis à l’écart et c’est ce que j’ai dû faire aussi, fait remarquer l’acteur. J’ai traversé ce bouquin seul et j’ai traversé ce film de la même façon. Je me suis dit que l’homme que j’avais à jouer s’est écrasé sur le sol après avoir fait une chute de 10 mètres et qu’il devait se réparer grâce à ce même sol. »

J’avais envie de retrouver toutes les sensations que j’avais ressenties en lisant le livre.

Jean Dujardin

Cette proposition particulière a visiblement eu une grande résonance auprès du public. Sur les chemins noirs a en effet attiré plus de 1 million de spectateurs dans les salles françaises. Comment Jean Dujardin explique-t-il cet engouement ?

« Je crois qu’une espèce d’alignement s’est effectuée. Il y a eu de grosses manifestations en France, beaucoup d’actualités anxiogènes, ça ne sentait pas très bon, et je crois que les gens ont eu envie de prendre l’air, d’oublier un peu tout ça et de se faire du bien. Sur les chemins noirs est tombé au bon moment, a donné de l’air dans une période où il n’y en avait pas beaucoup. Cela dit, on ne saura jamais pourquoi un film marche. Ça tient toujours du miracle. »

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En 2011, sa performance dans The Artist (Michel Hazanavicius) a valu à Jean Dujardin tous les honneurs, parmi lesquels un prix d’interprétation au Festival de Cannes ainsi que l’Oscar du meilleur acteur à Hollywood.

Non, un Oscar ne change pas le monde

Impossible de parler à Jean Dujardin sans lui rappeler l’année exceptionnelle que lui a fait vivre The Artist (Michel Hazanavicius) au début de la dernière décennie. Entre le prix d’interprétation du Festival de Cannes et l’Oscar du meilleur acteur l’année suivante, le comédien a obtenu à peu près toutes les récompenses possibles et imaginables un peu partout dans le monde. Or, Jean Dujardin n’a jamais vraiment mis à profit les honneurs reçus.

Le meilleur moyen de ne pas se casser la gueule en tombant d’un piédestal est de ne jamais y monter.

Jean Dujardin

« J’ai toujours refusé de croire à ce qu’on pouvait dire de moi à partir des prix que j’ai pu recevoir. Je n’ai fait qu’un film qui, à un moment, a suscité un très grand engouement. J’en étais l’acteur principal, j’en ai bénéficié, j’ai eu des retours formidables, mais j’ai toujours dit que pour moi, ce n’était absolument pas un Graal, pas une fin en soi. »

Conscient d’être un peu « suspect » aux yeux de ceux qui se demandent pourquoi il n’a pas profité de l’occasion pour s’installer aux États-Unis ou, à tout le moins, capitaliser sur sa notoriété internationale, l’acteur ne prend pas de détours.

« Je ne suis pas américain, je n’aime pas parler anglais, ce n’est pas ma langue, et mes plus beaux rôles sont ici [en France]. Pourquoi irais-je me prendre pour un autre, perdre du temps, alors qu’en fait, j’ai tout à gagner chez moi ? Je n’ai jamais pris l’eau, jamais perdu pied, j’ai toujours maîtrisé exactement ce que j’étais, qui j’étais, et comment je voulais exercer ce métier. Si vous voulez péter les plombs et devenir un con à cause d’un prix qu’on vous attribue, c’est très possible. Mais je m’y suis refusé. J’ai une famille, des proches, et loin de moi l’idée de devenir infréquentable et insupportable à leurs yeux. »

Jean Dujardin y va même d’une dernière confidence à ce propos.

« Au cours de mes 20 premières années de vie, je n’étais pas un bon élève. Pendant tout ce temps, on m’a dit que j’étais un cancre, un débile. Or quand on vous dit ça dans votre jeunesse et qu’à 35 ou 40 ans, on vous dit qu’au contraire, vous êtes merveilleux, je ne vois pas pourquoi je le croirais autant. Je n’ai jamais cru que j’étais un débile, mais je n’ai jamais cru que j’étais merveilleux non plus. Je me suis toujours dit que la seule personne qui pouvait être juste dans son appréciation et son désir de faire de belles choses, c’est moi. Qu’on me récompense, tant mieux, sinon, tant pis, mais ça n’entre pas dans mon jugement de valeur. »

Sur les chemins noirs prendra l’affiche le 30 juin.

Qui est Jean Dujardin ?

L’acteur est d’abord devenu une vedette populaire grâce à l’adaptation française d’Un gars, une fille, la série québécoise créée par Guy A. Lepage et Sylvie Léonard.

Jean Dujardin s’est imposé au cinéma grâce d’abord à des comédies. Son personnage de surfer dans Brice de Nice (2005) de même que celui d’Hubert Bonisseur de la Bath, alias OSS 117, qu’on découvre en 2006, ont marqué les esprits.

The Artist, film en noir et blanc sans paroles (Michel Hazanavicius), lui apporte la consécration en 2011. En plus du prix d’interprétation du Festival de Cannes et de l’Oscar du meilleur acteur, sa performance dans le rôle d’une star déchue du cinéma muet lui vaut le prix de la Guilde des acteurs et un trophée Golden Globe à Hollywood, ainsi qu’un trophée BAFTA à Londres.