Vedette de Chien blanc, film d’Anaïs Barbeau-Lavalette dans lequel il tient le rôle de Romain Gary, Denis Ménochet est aussi la tête d’affiche de trois autres longs métrages sélectionnés au festival Cinemania de Montréal. Lui qui affirme « dormir » avec le doute est pourtant l’un des acteurs les plus sollicités du moment. Rencontre.

Quand son agent lui a fait part du projet d’adaptation cinématographique de Chien blanc, Denis Ménochet était particulièrement incrédule. « Pourquoi moi ? Je n’ai pourtant rien de Romain Gary ! », s’est-il exclamé. Il a pourtant suffi d’une rencontre sur Zoom avec Anaïs Barbeau-Lavalette pour le convaincre.

« Dès que je l’ai vue, que je lui ai parlé, j’ai su que j’allais dire oui », explique l’acteur au cours d’un entretien accordé à La Presse un peu plus tôt cette semaine, à la faveur de son passage à Montréal. « Au-delà du contexte politique, il y a avant tout cette histoire d’amour entre Jean Seberg et Romain Gary, un peu comme si ce chien raciste devenait aussi le symbole d’un amour à raviver et à sauver. »

La cinéaste québécoise, particulièrement impressionnée par la performance de Denis Ménochet dans Jusqu’à la garde (Xavier Legrand), a très vite pensé au comédien pour incarner Romain Gary. À ses yeux, son charisme et sa personnalité très à fleur de peau correspondaient parfaitement au personnage. « Denis est très poreux au reste de l’humanité, souligne Anaïs Barbeau-Lavalette. Dès le départ, il m’a dit être vraiment impressionné par le personnage et que, n’étant pas lui-même un grand intellectuel, il se sentait imposteur. Il se trouve que Romain Gary a répété toute sa vie se sentir imposteur lui aussi. Je trouvais ça beau qu’ils se rejoignent dans ce sentiment ! »

Comme un sphinx

Pourtant, rien ne fut simple. Non seulement à cause de la complexité du rôle, mais aussi parce que les règles sanitaires très strictes instaurées pendant la pandémie ont compliqué les choses. En arrivant au Canada en amont du tournage, Denis Ménochet a dû s’isoler complètement pendant 16 jours, développant alors une véritable obsession sur son rôle.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Denis Ménochet

Je suis devenu complètement taré. Il y avait des photos de Romain Gary partout dans l’appartement. J’écoutais des interviews du matin au soir. En fait, ce personnage reste pour moi un mystère, encore aujourd’hui.

Denis Ménochet, acteur

« Il avait tellement de visages différents, différentes façons de se comporter et d’écrire aussi, qu’il me donnait l’impression d’être un sphinx, ajoute-t-il. Il avait une personnalité publique très forte, mais on ne savait pas vraiment qui il était dans l’intimité. Tout était mis en scène, contrôlé. Et puis, Anaïs avait loué l’appartement juste à côté pour qu’on puisse au moins se parler d’un balcon à l’autre et répéter ! »

Une enfance au soleil

Cette faculté qu’a Denis Ménochet d’être « poreux à l’humanité » (pour reprendre l’expression de la cinéaste), cette ouverture à l’autre, n’étonne guère de la part d’un homme ayant vécu son enfance dans différents pays, à la faveur des déplacements d’un père ingénieur.

« C’est une vraie richesse », estime celui qui a dû apprendre très vite à s’adapter à différentes situations avant de rentrer définitivement en France à l’âge de 12 ans. « J’ai grandi principalement à Charjah, en banlieue de Dubaï. C’est là que sont pour moi toutes les odeurs de l’enfance. J’ai encore aujourd’hui vraiment l’impression qu’on m’a arraché de cette tranche de vie, qu’on m’a arraché du soleil. Nous y étions à la fin des années 1970, au début des années 1980. Aujourd’hui, c’est devenu Las Vegas, tout a disparu. »

L’envie de jouer s’est accentuée le jour où il a eu l’occasion d’aller faire un stage dans une école de théâtre britannique. Au fil des rencontres, tout s’est enchaîné tranquillement, des performances dans des courts métrages jusqu’aux auditions ratées pour des productions plus ambitieuses, Da Vinci Code notamment. Il se trouve pourtant que, plutôt que de le décourager, les ratés ont nourri sa conviction. Quand il s’est présenté devant Quentin Tarantino pour le rôle du fermier dans Inglourious Basterds, Denis Ménochet s’est juré de ne pas se laisser envahir par cette peur qui, quelques années auparavant, l’avait fait vaciller devant Ron Howard tellement il tremblait du genou...

Comme j’adore le cinéma de Tarantino, je me suis alors dit que j’aborderais cet essai dans le plaisir, sans trembler de la patte, peu importe ce qui allait arriver ensuite. Et c’est Quentin lui-même qui m’a donné la réplique en tenant le rôle du soldat nazi qu’a joué Christoph Waltz.

Denis Ménochet, acteur

« Trois semaines plus tard, j’étais embauché ! Comme quoi, tous les ratés sont une leçon qui vous amène vers autre chose », ajoute-t-il.

Un moment charnière

Cette scène au début d’Inglourious Basterds fut si marquante qu’elle a bien entendu changé la donne. Parmi toutes les autres propositions survenues ensuite, dont plusieurs personnages de fermier (« J’aurais pu en faire un festival ! », dit-il), l’acteur a choisi celles venues de cinéastes ayant su voir au-delà de l’évidence.

« J’ai l’impression d’être de plus en plus libre entre “Action !” et “Coupez !”, d’exister réellement, confie-t-il. L’instinct du moment, cette espèce de muscle qui se développe, grâce au fait que je me suis trompé, relevé, fait de la merde, pour finalement arriver à ces moments de liberté où je ne me sens pas jugé. Encore aujourd’hui, je ne suis sûr de rien, mais je sais que le moment où je me sens le plus vivant, c’est en jouant. »

Lauréat du prix du meilleur acteur au Festival international du film de Tokyo grâce à sa performance dans As bestas (Rodrigo Sorogoyen), attribué lundi dernier, Denis Ménochet a tourné dans Disappointment Blvd., nouveau long métrage – très attendu – d’Ari Aster (Hereditary, Midsommar), dont les têtes d’affiche sont Joaquin Phoenix et Patti LuPone. « Je suis tenu au secret, mais je peux vous dire que ce sera cocasse ! », indique l’acteur.

Pour se permettre une visite à Montréal, Denis Ménochet a par ailleurs dû quitter le plateau de Mister Spade, une série de Scott Frank inspirée des romans de Dashiell Hammett, dont le tournage a lieu actuellement dans le sud de la France. Très sollicité, il se remet néanmoins en question en permanence.

« Le doute m’habite toujours. Il me terrifie, mais il est aussi un moteur. Le doute dort avec moi et me regarde en riant. On en est là ! »

Chien blanc prendra l’affiche le 9 novembre.

Le festival de films francophones Cinemania se tient du 2 au 13 novembre 2022. Le film Chien blanc, d’Anaïs Barbeau-Lavalette, a été présenté en ouverture de la 28e édition.

Consultez le site du Festival Cinemania

Les autres films de Denis Ménochet à Cinemania

As bestas

Ce thriller psychologique puissant, lancé au Festival de Cannes dans la section Cannes Première, vient d’obtenir au Festival international du film de Tokyo les prix du meilleur film, de la meilleure réalisation et du meilleur acteur. « Rodrigo Sorogoyen est un virtuose absolu, dit Denis Ménochet. Déjà, à la lecture, j’ai trouvé le scénario génial, d’autant qu’il est inspiré d’un véritable fait divers, qui a évidemment été remanié à des fins dramatiques. Je ne parle pas espagnol, mais j’ai appris. Rodrigo m’a convaincu que je pouvais le faire. J’aime qu’il n’y ait rien de blanc ou noir dans cette histoire. J’en suis très fier. »

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Peter von Kant

Grand admirateur de Rainer Werner Fassbinder, François Ozon propose une nouvelle vision de la pièce Les larmes amères de Petra von Kant en inversant les genres. Dans ce long métrage qui a ouvert le festival de Berlin l’hiver dernier, Denis Ménochet incarne le personnage-titre. « C’est la troisième fois que je tourne avec François, dit-il. Ce fut un bonheur de tourner ce film en huis clos. C’était un beau terrain de jeu. Il y avait dans ce rôle de Peter von Kant toutes les notes à jouer. C’est génial de pouvoir se lâcher complètement comme ça ! »

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Les survivants

PHOTO PIERRE MAILLIS LAVAL, FOURNIE PAR AD VITAM

Denis Ménochet et Zar Amir Ebrahimi dans Les survivants, film de Guillaume Renusson

Dans ce premier long métrage de Guillaume Renusson, Denis Ménochet incarne un homme qui, en s’isolant dans son chalet au cœur des Alpes italiennes, découvre une réfugiée afghane souhaitant gagner la France, incarnée par l’actrice franco-iranienne Zar Amir Ebrahimi. « Je suis très fier de ce premier film parce qu’il mélange les genres sans être linéaire, dit-il. Je le trouve très puissant. Au festival d’Angoulême, les gens sortaient complètement bouleversés de la projection. Ce qu’on montre de brutalité à la frontière est même en deçà de la réalité. Le traitement qu’on réserve aux réfugiés est hallucinant et honteux. »

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