Léa Pool a apporté au cinéma québécois une signature toute personnelle, une façon différente d’aborder les rapports humains, et une vision inédite de Montréal. À l’occasion de l’importante rétrospective que lui consacre la Cinémathèque québécoise, nous faisons le point avec une créatrice toujours en mouvance.

Quand elle a mis les pieds au Québec pour la première fois, à l’âge de 25 ans, Léa Pool ne se doutait pas encore que sa vie serait construite autour du cinéma. Bien sûr, elle a fréquenté la Cinémathèque suisse, à Lausanne, pendant les années où elle était enseignante, mais de cinéma, elle n’était pas encore vraiment « mordue ». Ce n’est qu’à la faveur du conseil d’un ami, qui l’a incitée à s’inscrire à un nouveau programme de communications à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), que le monde de la vidéo et du cinéma lui a été révélé.

« Je pensais retourner en Suisse au bout d’un an, se rappelle-t-elle au cours d’un entretien accordé à La Presse. Or, j’ai eu la piqûre. J’ai donc fait le programme entier, dont les deux dernières années en cinéma. Il y a aussi que je suis alors tombée amoureuse du Québec. Je ne l’étais pas de quelqu’un au moment où j’ai choisi de m’établir ici, mais bien du pays, des gens. J’avais beaucoup de difficulté à m’imaginer retourner à Lausanne pour reprendre mon métier d’enseignante, que j’exerçais là-bas un peu pour sortir de la famille, être indépendante. Je me suis vite fait des amis ici. Mais j’entretiens encore un lien très fort avec la Suisse. »

Un sentiment d’accomplissement

Quarante-sept ans après son arrivée au Québec, quarante-deux après la sortie de Strass Café, son tout premier film, réalisé de façon artisanale, Léa Pool a droit à une importante rétrospective que lui consacre la Cinémathèque québécoise, au cours de laquelle seront présentés les 13 longs métrages de fiction que la cinéaste a réalisés jusqu’à maintenant. Dont certains (À corps perdu, La demoiselle sauvage, Mouvements du désir) sont pratiquement introuvables.

« Il y a certainement un sentiment de fierté et d’accomplissement, mais il y a toujours en même temps ce dialogue avec cette petite voix intérieure qui te fait penser que tu n’es peut-être pas tout à fait à la hauteur d’un tel honneur. Les créateurs sont toujours très doués pour le doute, peut-être encore plus les créatrices. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Léa Pool, entourée de Céline Bonnier et de Lysandre Ménard, les deux actrices principales de La passion d’Augustine

Mais quand je regarde l’éventail des films, je me dis qu’il y a vraiment de quoi faire une rétrospective intéressante parce qu’elle couvre beaucoup de choses différentes. Certains films me sont très proches, d’autres témoignent d’une recherche d’autres choses, mais je ne me suis jamais lancée dans un projet que je n’aimais pas, ou que je n’aurais pas pu défendre. Ils ont tous leur raison d’être.

Léa Pool

Dès La femme de l’hôtel, qui lui a valu de nombreux prix ici et ailleurs, Léa Pool a pu compter sur une horde de cinéphiles admirateurs, dont la fidélité ne s’est jamais atténuée au fil des ans. On attend le prochain Pool de la même façon qu’on espère les prochaines offrandes de cinéastes dont on suit le parcours depuis longtemps. Celle à qui La passion d’Augustine a valu le prix de la meilleure réalisation au Gala Québec Cinéma en 2016 en est bien consciente.

« Je remercie vraiment ceux qui aiment mon cinéma ! dit-elle. Sur Facebook, j’ai d’ailleurs écrit un petit message dans lequel je dis avoir hâte de les rencontrer. C’est très sincère. Je serai présente à la Cinémathèque pour pratiquement toutes les projections. »

Au-delà des étiquettes

Son cinéma étant souvent construit autour de personnages féminins, avec, fréquemment, une fluidité au chapitre des orientations sexuelles (cette thématique était plus rarement abordée au cours des années 1980), plusieurs étiquettes ont été accolées à son œuvre. Sans les rejeter, Léa Pool se revendique quand même cinéaste avant tout.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

En 2016, La passion d’Augustine a valu à Léa Pool le prix de la meilleure réalisation au Gala Québec Cinéma.

« Au début, j’ai très vite été associée au féminisme et ça m’énervait, confie-t-elle. Je l’étais, bien sûr – je l’ai toujours été –, mais je déteste tout ce qui est réducteur. Une personnalité est un mélange de choses et une identité est beaucoup plus complexe qu’une étiquette. »

Je me considère cinéaste avant d’être féministe. Je n’ai rien contre le fait qu’on ait aussi associé mes films au cinéma gai et lesbien, parce que ça fait également partie de moi, mais réduire mon cinéma à une seule chose, ça me dérange.

Léa Pool

« Les nouvelles appellations de genre et d’orientations que nous avons maintenant, même si je ne les comprends pas toutes, ont ceci de bien qu’elles ne relèguent pas les gens à une seule catégorie, poursuit-elle. Personnellement, je n’ai jamais ‟fitté” dans une case particulière. Mais à un moment donné, tu lâches prise. La communauté gaie m’identifie comme homosexuelle ? OK, c’est correct. Les féministes m’identifient comme féministe ? Bien parfait. Mais je ne suis pas que ça. »

La nouvelle génération

D’évidence, l’émergence des réalisatrices, qui insufflent une nouvelle dynamique au cinéma québécois depuis quelques années, de Sophie Deraspe à Geneviève Allard en passant par Anaïs Barbeau-Lavalette, Monia Chokri, Sophie Dupuis et bien d’autres, la ravit.

« Ça donne de l’espoir parce que j’ai eu l’impression d’être un peu toute seule pendant longtemps. Il y en avait d’autres avec moi, évidemment, mais elles s’arrêtaient souvent après deux ou trois films. Le plus difficile est de durer, d’autant qu’aucun artiste ne peut rester toujours au sommet. »

J’espère que cette nouvelle génération de femmes cinéastes, que je trouve extrêmement douées, pourra construire une œuvre à long terme, de la même façon que le fait un écrivain ou un cinéaste dont on attend chaque livre, chaque film.

Léa Pool

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Léa Pool et William Hurt lors d’une conférence de presse tenue à l’époque de The Blue Butterfly (Le papillon bleu)

N’ayant rien tourné depuis Et au pire, on se mariera, il y a cinq ans, Léa Pool espère entreprendre bientôt son prochain long métrage. Il s’agit d’une adaptation d’une partie du roman Ör (Hotel Silence), de l’autrice islandaise Auður Ava Ólafsdóttir, laquelle devrait en principe compter Sébastien Ricard dans sa distribution.

« J’y travaille depuis trois ans, précise la cinéaste. Ça se déroule dans un pays en guerre jamais nommé où, après un cessez-le-feu, deux jeunes dans la vingtaine reprennent l’hôtel de leur tante en essayant de reconstruire leur vie alors qu’ils ont tout perdu. Un Québécois vivant un drame personnel se retrouve aussi par hasard dans cet hôtel et doit se reconstruire. C’est très sombre au départ, mais ça se dirige vers la lumière. Ça parle beaucoup des femmes et de la guerre. Et de solidarité. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Céline Bonnier et Laurent Lucas entourent Léa Pool lors du tournage de Maman est chez le coiffeur.

Quand on lui demande si la motivation de faire du cinéma reste pour elle la même qu’il y a 40 ans, Léa Pool évoque un besoin viscéral d’expression.

« Je n’ai jamais aimé l’aspect plus glamour de ce métier. Je n’aime pas beaucoup être à l’avant non plus. Ma vie est bâtie autour de mes films. Je peux plus facilement me rappeler une époque en situant un film que j’ai fait, parce qu’il correspond spécifiquement à une étape de ma vie. »

Léa Pool : figures mouvantes, du 17 au 31 mai à la Cinémathèque québécoise.

Consultez le site de la Cinémathèque québécoise