Dans Une révision, Nour Belkhiria et Patrice Robitaille campent des personnages qui se retrouvent – presque malgré eux – au centre d’une histoire dont les enjeux ne pourraient être plus pertinents dans les discussions ayant cours au Québec. Par pure coïncidence, le premier long métrage de Catherine Therrien s’inscrit parfaitement dans les grands débats de société.

Nacira est une cégépienne qui, dans le cadre d’un travail scolaire, cite un passage poétique du Coran, même si l’utilisation de textes religieux, peu importe leur provenance, est proscrite. Étienne est un professeur de philosophie ouvert d’esprit, qui se voit pourtant dans l’obligation d’attribuer une plus mauvaise note à son élève à cause de cette entorse aux règles établies. Même si la discussion reste ouverte et qu’aucun des deux protagonistes ne cherche l’affrontement, tout bascule le jour où Nacira, qui trouve que sa dissertation a été injustement évaluée par Étienne, demande une révision de sa note. Et que l’établissement s’en mêle…

Portant à l’écran un scénario écrit par Louis Godbout (Mont Foster) et le romancier Normand Corbeil, deux anciens professeurs de philosophie, la réalisatrice Catherine Therrien, qui signe ici son premier long métrage, aborde des thèmes difficiles. Les questions identitaires et du vivre ensemble y figurent, bien sûr, mais aussi la notion de « réussite garantie », prônée par les établissements scolaires, ainsi que celle de l’inclusion à tout prix avec, au passage, une instrumentalisation du discours politiquement correct.

« Ce n’est pas pour rien qu’on voit sur l’affiche une pomme en forme de bombe ! fait remarquer Patrice Robitaille au cours d’un entretien accordé à La Presse. Quand j’ai lu la première version du scénario, j’y ai trouvé plein d’affaires que j’aimais, mais aussi d’autres, moins habiles. Le scénario a beaucoup évolué car nous avons beaucoup discuté en amont. Catherine était bien consciente d’aborder des sujets sensibles et elle l’a fait avec finesse et intelligence, en évitant plein de pièges. On s’est vus je ne sais plus combien de fois, elle et moi, dans un café et je lui remettais des notes qu’elle transmettait ensuite avec les scénaristes. Elle a vraiment travaillé les nuances. »

La raison en opposition à la croyance

Lors d’une conférence de presse tenue après une projection d’Une révision organisée pour les médias, le coscénariste Louis Godbout a expliqué qu’à la base, l’idée était d’explorer des concepts philosophiques opposant la raison à la croyance. De son côté, la réalisatrice a fait remarquer qu’il existe un carcan dans lequel les personnages sont enfermés, mais que celui-ci n’a finalement rien à voir avec l’islam.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Ce carcan, c’est l’institution, le clientélisme, la volonté d’inclusion à tout prix. Même si elle est parfaitement intégrée, Nacira se fait infantiliser, instrumentaliser par des gens quand même bien intentionnés.

Catherine Therrien, réalisatrice

Après l’affaire Lieutenant-Duval à l’Université d’Ottawa, et au lendemain de l’annonce par le gouvernement québécois de la refonte du cours Éthique et culture religieuse, Une révision ne pourrait tomber plus à point. Le projet est pourtant en cogitation depuis plus de trois ans, soit depuis le jour où Denys Arcand, crédité au générique à titre de consultant au scénario, a fait lire une première version du scénario à la productrice Denise Robert pour mesurer l’intérêt de cette dernière, ce qu’il ne fait habituellement jamais.

« C’est un film important. Je n’en avais encore jamais vu un comme celui-là », lance Nour Belkhiria. L’actrice, lauréate l’an dernier du prix Écran canadien de la meilleure interprétation féminine dans un rôle de soutien grâce à sa performance dans Antigone (Sophie Deraspe), a d’ailleurs été mise à contribution afin que son personnage soit dépeint de la façon la plus juste possible.

« Le scénario étant écrit par deux hommes blancs, et Catherine n’étant pas de confession musulmane, Douaa Kachache [une enseignante embauchée comme consultante – parfois surnommée la fille de TikTok], Rabah Aït Ouyahia [l’interprète du père de Nacira] et moi avons été invités à expliquer, à apporter certaines nuances, et à faire en sorte que tout soit le plus réaliste possible pour éviter les clichés et la caricature. Nous avons eu tout l’espace nécessaire. Il était important de bien faire les choses et nous avions envie d’aborder ces sujets de la manière la plus douce possible », assure-t-elle.

Un différend respectueux

Patrice Robitaille apprécie particulièrement la qualité des échanges entre deux personnages qui se livrent une joute verbale, toujours dans le respect de l’autre, et qui, malgré leur différend, ne tombent jamais dans l’affrontement, l’agressivité ou l’attaque personnelle. Pour l’acteur, le principal défi aura été de rendre son personnage d’intellectuel engageant.

IMAGE FOURNIE PAR LES FILMS SÉVILLE

Patrice Robitaille a voulu rendre le plus engageant possible le personnage de professeur de philosophie qu’il interprète.

« Je trouvais important que rien ne soit trop aride ou trop hermétique, dit-il. J’avais de bons monologues à livrer devant une classe et j’ai voulu les rendre intelligibles et intéressants. On voit Étienne lire du Spinoza à voix haute au début, mais je connaissais la courbe du personnage. Je tenais justement à ce que ce prof n’ait pas l’air étroit d’esprit et je voulais que le spectateur ait envie de suivre sa classe. Après tout, c’est un film. Il faut que ça reste divertissant ! »

Aux yeux de Nour Belkhiria, le point de départ d’Une révision, qui met également en vedette Rose-Marie Perreault, Anne-Élisabeth Bossé, Rabah Aït Ouyahia, Édith Cochrane et Pierre Curzi, constitue un défi en lui-même. Interpréter un personnage de confession musulmane qui doute de sa foi aussi.

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Rose-Marie Perreault, Nour Belkhiria, la réalisatrice Catherine Therrien, Patrice Robitaille et Anne-Élisabeth Bossé

« Quand j’ai lu le scénario, je me suis dit que ce film pourrait sans doute faire quelques mécontents, mais mon principal objectif dans mon interprétation a été de n’offusquer personne. Il fallait que Nacira reste vraie, authentique, car sa quête identitaire est avant tout humaine. À aucun moment on ne la juge à propos des questions qu’elle se pose. »

Dans une société de plus en plus clivée, il n’est pas dit que le propos d’Une révision aura la même résonance auprès de tous, mais il y a fort à parier que ce long métrage suscitera socialement une réflexion, notamment envers le système d’éducation.

« Je crois qu’il est impossible de sortir de ce film sans en discuter et se demander ce qu’on aurait fait à la place de ces personnages, ajoute Nour Belkhiria. On n’a pas à prendre parti non plus. Les arguments d’Étienne et de Nacira sont de force égale. »

Une révision ouvrira le 27Festival Cinemania le 2 novembre. Il prendra l’affiche en salle le 4 novembre.