Fidèle à une thématique qui lui est chère, l’immigration et l’intégration à une nouvelle société, la cinéaste québéco-libanaise Maryanne Zéhil a tourné trois films dramatiques sur le sujet. Avec La face cachée du baklava, elle emprunte cette fois le chemin de la comédie. Rencontre.

La cinéaste Maryanne Zéhil avait envie d’un peu d’air frais et de légèreté dans son écriture. Elle s’est visiblement lancée à fond en scénarisant La face cachée du baklava, comédie où elle surligne tant les travers d’une famille libanaise aux tendances envahissantes que ceux de Québécois engoncés dans leur confort.

Une comédie qui nous fait voir que, peu importe d’où on vient et qui on est, on n’est pas à l’abri de la tentation de mettre un peu trop son nez dans les affaires des autres. Certains envahissent votre territoire sans vergogne alors que d’autres peuvent exploiter toutes vos ressources.

Tel est le sort qui attend Houwayda (Claudia Ferri), personnage central du film.

Libanaise installée au Québec depuis longtemps, mariée à Pierre (Jean-Nicolas Verreault), universitaire chevronné sur le point de prendre une année sabbatique pour enseigner en France, Houwayda reste à la maison et s’occupe uniquement du bien-être de son amoureux. Cela malgré le fait qu’elle aussi possède un doctorat.

Or, le jour où Émilie (Geneviève Brouillette), directrice du département où Pierre enseigne, lui propose un poste de professeure, Houwayda a soudainement un désir très prononcé d’émancipation. Mais c’est sans compter la résistance de Pierre et de sa sœur Joëlle (Raïa Haïdar), qui veulent faire déraper ses projets. Et quand les deux familles s’en mêlent en plus, tout… s’emmêle !

« J’ai écrit le scénario alors que nous étions dans une période sombre, peu après les attentats du Bataclan », indique Maryanne Zéhil, qui a dans le passé signé les films De ma fenêtre, sans maison…, La vallée des larmes et L’autre côté de novembre.

J’ai eu envie d’alléger mon approche et de parler de ce côté des Libanais qui peuvent être très drôles. Cet aspect de gens drôles, envahissants, on le connaît moins.

Maryanne Zéhil, réalisatrice

Mais elle nous met, deux fois plutôt qu’une, en garde contre toute forme de généralisation.

« Si vous connaissez des Libanais, vous n’allez peut-être pas nécessairement reconnaître cette exubérance, dit-elle. Mon film est une satire et les personnages sont un peu dessinés à gros traits. C’est exagéré. Mais j’avais envie de rigoler et de faire rire les gens. »

Oppositions

Le scénario du film est construit sur des oppositions. D’abord, celle entre Houwayda et Joëlle. Si la première s’est beaucoup occidentalisée, la seconde est cramponnée à ses traditions culturelles et familiales… tout en se permettant beaucoup de libertés quand ça fait son affaire.

Opposition aussi entre la gentille Émilie, féministe toujours prête à mettre le trouble, et Pierre, indécrottable bobo qui se croit de gauche mais qui aime bien être dorloté par sa femme à la maison.

« Le scénario m’a charmée. J’ai trouvé cela rafraîchissant et ça ne ressemblait à rien de ce que j’avais vu avant », dit Geneviève Brouillette.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La comédienne Geneviève Brouillette incarne Émilie, dont la vision féministe du monde incitera Houwayda (Claudia Ferri) à vouloir s’émanciper.

Que je sois le personnage féministe dans l’histoire est vraiment tripant. Je trouve ça beau, ce choc des cultures dans l’histoire. Et j’aime mon personnage parce qu’il n’est pas abordé de front ou de manière vindicative.

Geneviève Brouillette

La comédienne fait remarquer que le fossé culturel entre les deux communautés est moins prononcé qu’on le croit.

« Je ne connaissais pas du tout la communauté libanaise montréalaise, mais je trouvais qu’il y avait des ressemblances avec les grandes familles québécoises d’antan avec les mononcles, les matantes qui débarquent chez vous, dit-elle. C’était un peu comme ça dans mon enfance. On n’est pas à la même place dans le cheminement, mais on a déjà été là et ça ne date pas de si longtemps ! »

PHOTO FOURNIE PAR AXIA FILMS

Claudia Ferri dans La face cachée du baklava

Interprète de Pierre, premier rôle masculin, Jean-Nicolas Verreault évoque un enrichissement dans cette rencontre des cultures. « Il est intéressant de montrer les différences entre les cultures et que tout cela peut finir par s’accorder, explique-t-il. Et de voir qu’à travers ces clashs, une curiosité nous amène à vouloir connaître nos différences. Cela nous enrichit. La force du film est qu’on s’attache à ces différences. »

Que son personnage se fasse bousculer dans son confort par le désir d’Houwayda de changer d’air est une bonne chose, lance-t-il. « En couple, il y a comme des contrats qui s’installent sans qu’on s’en rende compte, dit-il. Mais parfois, on se conforte trop là-dedans et le contrat doit changer. »

On comprend, au terme du visionnement du film, que le baklava du titre renvoie au côté parfois trop collant de la famille. « C’est la face de la communauté libanaise qu’on ne voit pas », conclut Maryanne Zéhil, qui mange elle-même très peu de baklavas parce qu’elle trouve ce dessert trop… sucré !

En salle

Gentiment fade

Il y a un choc des cultures assez extravagant dans La face cachée du baklava, plus récent long métrage de Maryanne Zéhil. Malheureusement, celui-ci est tellement poussé à l’extrême que le film, coloré, léger et sympathique, perd nettement en crédibilité. On ne trouve pas ici le zeste, la saveur, le pétillant propres à une bonne comédie, de celles qui restent ancrées dans les mémoires. Les gags sont faciles (Pierre suant à boucler sa valise), les quiproquos tombent à plat. On reconnaîtra à Maryanne Zéhil une tendresse certaine pour les deux familles, du Liban et du Québec, de son film. Mais les personnages des deux groupes sont, à notre avis, trop caricaturés. D’un côté, la famille survoltée d’Houwayda ; de l’autre, la famille de hippies vieillissants dignes de Woodstock de Pierre. Entre les deux, il ne reste pas grand-chose. Le désir d’émancipation et d’indépendance d’Houwayda est tout à fait justifié, mais cette portion de l’histoire, pourtant centrale, est écrasée par tout le reste.

La face cachée du baklava

Comédie

La face cachée du baklava

Maryanne Zéhil

Avec Claudia Ferri, Jean-Nicolas Verreault, Geneviève Brouillette, Raïa Haïdar

1 h 28

2/10