La jeune cinéaste australienne Kitty Green secoue les murs des studios de productions de cinéma avec son film The Assistant, qui vient de sortir en salle. Une histoire au vitriol qui dénonce le climat de travail toxique d’un milieu dominé par les hommes. Nous l’avons jointe à New York, où elle vit depuis trois ans.

C’est à un drame psychologique post-#metoo, légèrement anxiogène, avec très peu de dialogues, que nous convie la réalisatrice de 35 ans, Kitty Green. 

Son film porté à bout de bras par Julia Garner met en scène une jeune assistante, Jane, qui travaille pour une importante société de production de films.

On la suit durant une journée de travail, tandis qu’elle prépare des salles de réunion, imprime des documents, réserve des vols, etc. La première arrivée, la dernière à partir.

De façon assez insidieuse, elle vit une foule de petites humiliations. 

On se rend compte surtout que son patron, que l’on ne voit jamais, est un bully, manipulateur et prédateur sexuel, même si, comme elle se le fera dire : « Elle n’a pas à s’inquiéter, vu qu’elle n’est pas son genre… »

La Presse :  Ce patron, qu’on ne voit jamais, évoque évidemment le producteur déchu Harvey Weinstein. C’est à lui que vous pensiez en écrivant ce scénario ?

Kitty Green :  En fait, j’avais commencé à écrire le scénario avant que n’éclate le scandale Weinstein, mais c’était plus axé sur la notion de consentement dans les campus, et ce que les directions de collèges font, face aux nombreux cas d’inconduites sexuelles. Quand l’affaire Weinstein a éclaté, et que j’ai commencé à parler à des employés de maisons de production, j’ai changé le scénario.

Qu’est-ce qui vous a motivée à faire ce changement ?

Les témoignages de gens — hommes et femmes — qui travaillaient dans ces maisons de production de films étaient accablants, je me suis dit que je devais en parler. Comment ces boîtes-là maintenaient les hommes au pouvoir et écartaient les femmes des postes importants. J’ai parlé à au moins une centaine de personnes, qui m’ont décrit l’environnement de travail qui favorisait l’émergence d’intimidateurs et de prédateurs sexuels.

La culture d’entreprise finalement, c’est ce qui est devenu le point focal du film, non ?

Exactement. Tous les témoignages menaient à la même conclusion. Je viens du film documentaire, donc ma démarche a été menée un peu de la même manière, en recueillant beaucoup d’informations.

J’ai fait beaucoup de recherches, j’ai parlé à beaucoup de gens, documenté des situations et construit un scénario qui est assez proche de la réalité.

Vous êtes-vous basée sur votre propre expérience également ?

J’ai travaillé comme assistante pour une maison de postproduction en Australie, donc oui, j’ai vécu une expérience similaire, sans que ce soit tout à fait identique. Mais oui, j’ai su ce que c’était que d’être la personne la moins influente d’une boîte, et d’être considérée encore moins que les autres parce que j’étais une femme. Donc, je me suis inspirée de cette période, mais je me suis inspirée aussi de ma vie comme cinéaste…

Croyez-vous être moins considérée que vos collègues cinéastes ?

Absolument ! On ne nous prend pas au sérieux autant que les hommes, malheureusement. Il y a trois ans, j’ai présenté un film à Sundance et je me suis fait demander par un journaliste qui me fournissait mes idées. Scott ou James ? Scott et James qui sont mes deux producteurs [Scott Macaulay et James Schamus]. Donc, c’est sûr que c’est très frustrant quand on laisse entendre qu’on n’est pas la tête créative de ses propres projets…

Qu’est-ce qui vous a le plus choquée dans les entretiens que vous avez eus en préparation du scénario ?

Ce que j’ai trouvé le plus dévastateur, c’est qu’il y a beaucoup de femmes à qui j’ai parlé qui ont quitté le milieu cinématographique ou qui songeaient sérieusement à le quitter parce qu’elles ne voyaient aucune possibilité d’avancement. Alors qu’elles voyaient leurs collègues masculins obtenir des promotions. Donc, c’est frustrant, parce que si on veut régler ce problème, on ne peut pas simplement se débarrasser de Harvey Weinstein, il faut changer les mentalités.

Comment expliquez-vous que cette mentalité-là soit si bien enracinée dans ce milieu ?

C’est le sujet que j’ai voulu aborder avec le film. C’est un problème systémique, mais je voulais donner des exemples concrets, avec des petites choses, de petites humiliations quotidiennes, qui minent tranquillement la confiance des femmes. Ne serait-ce que dans la répartition des tâches : ce sont encore les femmes qui vont chercher le café ou s’occuper d’un enfant qui débarque dans le bureau, pas les assistants masculins. Le film montre cela entre autres.

Votre personnage est prisonnier de ce système. Elle ne vaincra pas. Elle doit ou l’accepter, ou le quitter. C’est décourageant, non ?

Oui, bien sûr. Mais je crois que si cette histoire se passait aujourd’hui, il y aurait un espace pour en parler. Elle pourrait se confier à quelqu’un, se servir des réseaux sociaux. Le film est le reflet d’une période pas si lointaine où le système écrasait les gens tout simplement. Mais les choses ont changé et j’ai bon espoir qu’elles vont continuer à changer. Je pense que l’industrie cinématographique est consciente qu’elle a du travail à faire. C’est sûr que mon film a pu créer un malaise, mais je pense qu’en ce moment, on a besoin de malaises pour avancer.

The Assistant est présentement à l’affiche