On n’a jamais autant parlé des aînés que depuis le début de la pandémie. Et si on les écoutait, maintenant ? Dans le cadre de cette série, La Presse prend des nouvelles de personnalités du milieu culturel qui ont plus de 70 ans. Des gens sages et moins sages, qui nous rassurent face à l’avenir. Parce qu’ils ont su vieillir sans devenir vieux.

Dans sa vie comme dans son art, Fernand Dansereau a toujours penché du côté de la bienveillante lumière. Ce n’est pas un vilain virus qui le fera sombrer dans la grande noirceur.

Depuis le début de la pandémie, le réalisateur chevronné est confiné dans sa maison de Saint-Bruno. Ses voisins et ses enfants s’occupent bien de lui et de sa femme. Il peint des toiles, une activité qu’il a reprise depuis quelques années (adolescent, il rêvait de devenir peintre). Il a aussi un projet de film sur le thème de la joie, qu’il espère réaliser… lorsque les choses reviendront à la normale.

L’homme a fêté ses 92 printemps le 5 avril dernier. Il se considère comme chanceux d’être toujours là. Pour mieux apprivoiser sa vieillesse. « Par rapport à l’âge, ma notion d’espérance a changé, dit-il. C’est illusoire de penser qu’on peut vieillir sans souffrir, sans lutter. La vie cherche la vitalité ; elle ne veut pas entendre parler de la mort. »

Alors que l’âgisme fait un retour en force ces temps-ci, Fernand Dansereau, lui, comprend la réaction de certains milléniaux face aux personnes les plus touchées par la COVID : « Avec tout ce qu’ils voient chaque jour dans les médias, c’est comme si on leur montrait ce qui les attend dans le futur. Personne n’aime ça. Derrière l’âgisme, il y a la peur de sa propre mort. En voyant une personne âgée, les plus jeunes veulent, de façon inconsciente, chasser cette mortelle frayeur. »

La vieillesse, Fernand Dansereau la connaît bien, merci. En plus de la vivre, il l’a explorée à l’écran, en réalisant trois films récents sur ce thème. Dans Le vieil âge et l’espérance, le dernier opus de sa trilogie, on voit un homme aux soins palliatifs se confier avec émotion à la caméra. Il parle avec philosophie de l’existence, de la perte, de la mort : « N’ayez pas peur de vieillir, dit-il, alité et frêle dans une chambre d’hôpital. C’est la seule manière de rester en vie ! »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Depuis le début de la pandémie, Fernand Dansereau est confiné dans sa maison de Saint-Bruno.

Les cadeaux de l’âge d’or

Pour M. Dansereau, vieillir est une belle affaire. Il croit même que le vieillissement nous apporte « plein de cadeaux » !

« Avec le temps, le corps flanche, mais la conscience s’élargit, s’aiguise. Je n’ai jamais autant appris que ces dernières années…

– Vous apprenez quoi ?

– Rien d’extraordinaire. Mais il me semble que j’acquiers un précieux savoir. Je comprends tellement mieux ce que j’ai vécu, ce que je vis. Comme si je passais à travers une deuxième adolescence, afin de trouver une espèce de paix intérieure, malgré la souffrance et la finitude. »

Selon lui, il y a deux sortes de personnes âgées : les vieux et les sages. « Car la vieillesse, c’est aussi une occasion pour essayer de devenir une meilleure personne, dit-il. Au fur et à mesure que la génération des boomers va atteindre la vieillesse, je pense qu’on va assister à un changement des valeurs. On va revenir à plus de spiritualité, aux questions profondes sur le sens de la vie. Peut-être que c’est juste la quête de sens, finalement, qui donne du sens à notre existence… »

Vive le progrès !

Il fait bon entendre parler le cinéaste. Son optimisme est une bouffée de fraîcheur face au cynisme, au désespoir.

« J’ai toujours eu un regard positif sur l’évolution de la société. Au Québec comme ailleurs. De mon vivant, j’ai connu d’immenses progrès. Lorsque je compare l’univers dans lequel mon père vivait avec le monde actuel, je vois plein de choses mieux qu’avant. L’espérance de vie, les soins de santé, la science ont progressé. Alors que la malnutrition et les guerres sur la planète ont diminué. Pourtant, on pense toujours que ça va plus mal… Or, je comprends pourquoi. Depuis la préhistoire, l’animal humain est programmé pour guetter le danger, la menace. Alors que rétrospectivement, si on compare, par exemple, la manière dont on gère la COVID-19 avec le traitement de l’épidémie de la grippe espagnole, il y a un siècle, le progrès est évident. »

Le droit à sa juste part

Toutefois, la pandémie du coronavirus nous met face à des tragédies. Que pense-t-il du terrible sort des gens qui meurent dans les résidences privées et les CHSLD ? 

« Ce drame nous force à nous mettre les yeux devant les trous et à nous interroger sur nos valeurs, estime-t-il. Quelle part donne-t-on à l’amour, à la compassion, à la justice dans nos sociétés ? Pour moi, la question fondamentale, c’est le droit à la juste part de ces personnes qui meurent dans des conditions tragiques. »

Ces hommes et ces femmes ont passé leur vie à construire la société d’aujourd’hui. C’est juste normal qu’on réclame, en leur nom, qu’ils soient traités correctement.

Fernand Dansereau

Selon lui, depuis deux semaines, le discours a changé de registre au Québec. « On est passé de la solidarité collective au blaming game ; on cherche des coupables. Je sens beaucoup d’angoisse dans le débat actuel. »

Il y a autre chose. Selon lui, la situation des CHSLD donne une image fausse de la vieillesse. « On oublie que c’est une minorité de la population aînée [17 %] qui vit dans les résidences, tandis que 83 % de personnes âgées habitent ailleurs ou sont autonomes. Je ne veux pas diminuer l’importance de ce drame. La situation dans les CHSLD est terrible, scandaleuse, et on doit la corriger. Mais j’ai aussi de la compassion pour les jeunes couples avec des enfants qui sont sans ressources financières. Il y a plein d’autres gens qui souffrent, qui sont inquiets, en détresse. »

Croit-il que le monde va changer après la crise actuelle, qu’on aura tiré une leçon de cette pandémie ? « Je n’aime pas beaucoup les leçons, répond Fernand Dansereau. J’essaie simplement d’être plus conscient de la richesse de la vie, de l’amour autour de moi, afin de devenir une meilleure personne. En souhaitant que la société en fasse autant. »

>> Regardez sept films de Fernand Dansereau sur le site de l’ONF

>> Voyez les œuvres picturales du cinéaste

Bio

Après avoir été journaliste au Devoir, Fernand Dansereau amorce sa carrière cinématographique à l’Office national du film du Canada (ONF) en 1955. Il y occupera successivement les fonctions d’animateur à l’écran, scénariste, réalisateur, producteur et finalement responsable de l’ensemble de la production française. En 1969, le cinéaste quitte l’ONF pour le secteur privé. Au milieu des années 70, avec l’historien Michel Lessard, il s’engage dans l’inventaire du patrimoine culturel francophone au Canada et réalise la série Un pays, un goût, une manière. Il a produit ou réalisé une cinquantaine de films, en plus d’écrire pour la télévision (Le parc des Braves, Les filles de Caleb, Shehaweh et Caserne 24). M. Dansereau a présidé l’Institut québécois du cinéma et l’Institut national de l’image et du son. Il a reçu les prix Albert-Tessier et Jutra-hommage.