Claire Burger a fait une entrée remarquée dans le cinéma mondial en remportant la Caméra d'or au Festival de Cannes 2014 avec Party Girl. Pour son deuxième long métrage, la réalisatrice française a eu le goût de poser un regard féminin sur la masculinité, au-delà des clichés. C'est ça l'amour met en scène un cinquantenaire qui doit s'occuper de ses deux filles après le départ de sa femme. Entretien.

Après Party Girl, réalisé à trois [avec Marie Amachoukeli et Samuel Theis], vous avez eu le goût de voler en solo pour C'est ça l'amour ?

On savait déjà qu'on ne ferait pas les prochains ensemble. Les gens disaient : « C'est vraiment bizarre que vous travailliez à trois. » Et maintenant qu'on réalise seuls, on nous demande : « Pourquoi vous travaillez seuls ? » [rires] On a chacun nos univers.

Justement, parlez-nous de la genèse de ce film...

On venait de faire un portrait de femme [avec Party Girl], alors j'ai eu assez tôt l'envie de faire un portrait d'homme pour ne pas reproduire les mêmes choses. Après, le personnage principal est un contrepoint à Angélique dans Party Girl, qui était une femme forte, indépendante, etc. Lui est un peu dépendant, fragile, vulnérable... C'est une figure qu'on ne voit pas beaucoup au cinéma. Et ça s'inspire beaucoup de la séparation de mes parents et de la façon dont on l'a vécue, même si c'est une fiction. J'étais moi-même en pleine rupture amoureuse [lors de l'écriture du film] et celle de mes parents a ressurgi.

Comme adulte, j'avais beaucoup plus conscience de la complexité des rapports alors qu'adolescente, je n'avais pas forcément très bien compris la situation et j'avais pris mon père comme coupable.

Il y a tout de même un point commun aux deux longs métrages : l'utilisation d'acteurs amateurs. Est-ce pour une question d'authenticité ou aimez-vous mieux travailler avec des gens qui vont vous donner des choses plus en accord avec ce que vous cherchez ?

À la base, je viens du journalisme. Je filmais les gens et j'avais l'impression qu'ils se mettaient en scène. Ça m'a toujours fascinée. Dès mes courts métrages, j'ai eu le goût de travailler avec des non-pros sur la question de l'autoreprésentation. Là, j'avais envie d'explorer autre chose et de travailler avec un acteur professionnel [Bouli Lanners] sans pour autant renoncer à ce que j'aime beaucoup. C'est très beau de voir quelqu'un jouer pour la première fois, il y a quelque chose de très émouvant. Les non-pros sont aussi de nouveaux visages - au cinéma, on a souvent l'impression de voir les mêmes gens.

C'est Bouli Lanners qui joue ce rôle de dépendant affectif, à la limite du harceleur. C'est un personnage très nuancé. On connaît ses grandes capacités de jeu. Mais est-ce qu'il s'est imposé dès le début ?

Oui, pour plein de raisons. Comme j'allais travailler avec des non-pros, à Lorraine, dans ma ville natale, je suis rapidement allée du côté des acteurs belges, qui ressemblent aux gens de ma région. Après, Bouli avait vraiment les caractéristiques que je cherchais, en commun avec mon père. Malgré son physique viril, il dégage une grande humanité et on sent sa vulnérabilité. [...] Je savais aussi que c'était un film sans péripéties ni dramaturgie compliquée, et donc que ça reposerait beaucoup sur le jeu des acteurs. [...] C'est vrai qu'on peut penser que son personnage a un côté stalker, mais [son ex-femme] est un peu lâche, elle ne lui dit pas les choses. Je ne voulais pas filmer la rupture, mais la déflagration juste après ; ce moment où on est un peu perdu et où on se demande comment on va faire sans l'autre.

Ce qui a un effet de nature différente sur les deux filles. Frida, par exemple, est à la recherche de son identité...

Elle est à la recherche de sa sexualité, en pleine crise d'adolescence et sa mère qui part... Même si je trouve héroïque que mon père ait tenu la maison alors que ma mère était partie, ce n'est pas facile de vivre avec quelqu'un qui va mal, pour un enfant.

En plus de réaliser vos films, vous les comontez. Est-ce que ça vous donne l'impression de mieux traduire votre vision ?

Pour être honnête, j'ai une formation de monteuse. C'est très compliqué pour moi d'être à côté d'un monteur et de le regarder faire. Par contre, j'ai conscience de l'importance des regards extérieurs, qui sont très nourrissants. On confronte nos visions. Avec des non-pros, il y a une mise en scène qui doit un peu s'effacer. On ne met pas de marques au sol, je ne fais pas de longs plans-séquences, on fait beaucoup de prises. Il y a une partie de la mise en scène qui se refait au montage.

Au-delà de la rupture et des effets sur la famille, vous faites un portrait d'une certaine détresse masculine. Qu'avez-vous voulu montrer ?

Je voulais faire ce portrait d'un homme fragile, pour montrer que ça existe. Après, je me suis amusée à le plonger dans un monde où les femmes sont très fortes, où il se fait constamment bousculer. Je ne voulais pas d'un homme qui n'accepte pas [la parité], mais je voulais aussi montrer que ça peut être très déstabilisant d'y trouver sa place. D'autant qu'il élève deux filles. Il y a beaucoup d'hommes qui doivent être un peu perdus par rapport à la masculinité et à ce qu'ils sont censés être.

Par le fait même, c'est un très beau film sur la relation père-fille, chose qu'on voit très peu au cinéma...

Ça aussi, ce n'est pas souvent montré. Je suis très féministe, mais mon idée n'est pas de me battre contre les hommes. Les femmes doivent avoir accès au pouvoir, etc., mais je trouve aussi important de donner une vraie place aux hommes dans les affaires féminines, et qu'ils puissent exprimer leur tendresse. Il y a plein d'hommes qui sont extrêmement beaux dans leur façon d'aimer leurs filles et c'est vrai qu'on ne le voit pas beaucoup. Ce sont surtout des histoires de pères avec leurs fils, de transmission...

En salle vendredi prochain

Les frais de ce reportage ont été payés par Unifrance.

PHOTO STÉPHANE DE SAKUTIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

La réalisatrice Claire Burger