En réalisant le documentaire 63 Up, le Britannique Michael Apted ajoute un chapitre à une incroyable saga qui s’étend sur plus de cinq décennies : une chronique épisodique de la vie d’une douzaine de garçons et filles de divers milieux socioéconomiques. Le réalisateur pose un regard sur cette aventure.

PHOTO CHRIS PIZZELLO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le Britannique Michael Apted, réalisateur du documentaire 63 Up, en 2018

Tous les sept ans, vous vous présentez à la porte de ces gens pour faire le bilan de leur vie. L’un d’eux a déjà comparé cette démarche à une « pilule empoisonnée » qu’il faut avaler à intervalles réguliers. Quelle est la nature de vos relations avec eux ?

Nous nous entendons bien, mais, à part ces rencontres tous les sept ans, qui durent peut-être deux ou trois jours, nous ne nous côtoyons pas. Je ne veux pas m’immiscer dans leur vie. Je suis sûr qu’il y a de petites choses que je fais qui les ennuient, mais nous les rémunérons pour leur participation. Ce n’est pas un cadeau qu’ils nous font. Mon rôle, c’est de les garder dans la série, même si ça peut être agaçant ou ennuyant pour eux.

Le premier documentaire [Seven Up !, sorti en 1964] partait de la prémisse que le destin d’un enfant était fortement déterminé par sa classe sociale. Est-ce que c’est ce qui s’est passé ?

Je pense que oui. Ceux qui ont eu une enfance ou une adolescence privilégiée ont eu tendance à avoir une meilleure situation plus tard. Mais, en même temps, la société a changé, et c’est un peu moins vrai aujourd’hui. Il faut se rappeler qu’à l’origine, il ne devait y avoir qu’un film, mais il a connu un tel succès qu’après cinq ans, un dirigeant a suggéré de retrouver ces jeunes. J’ai trouvé que c’était une très bonne idée et, à partir de là, nous avons fait un documentaire tous les sept ans. J’ai dû apporter quelques modifications au fil du temps pour refléter davantage les changements dans la société, notamment en incluant plus de femmes.

Justement, l’une des participantes, Jackie, a déploré devant la caméra le peu de place qu’on a fait aux femmes dans la série. Elle a affirmé que les questions qu’on leur posait portaient plus sur la vie familiale que sur la vie professionnelle ou la société en général. Cette critique vous semble-t-elle juste ?

Non. Il faut se rappeler que le monde était différent en 1964. À l’époque, les hommes avaient une vie plus intéressante [que les femmes]. Ainsi, nous avions une participante qui s’était mariée très jeune et qui s’occupait des enfants. C’était un boulot très dur, mais pas très excitant. Avec le temps, c’est devenu de moins en moins vrai. Les femmes ont commencé à s’impliquer davantage dans la société.

À la fin du documentaire de 1964, le narrateur affirme que ces enfants représentent l’avenir de l’Angleterre. Est-ce que c’était vraiment le cas ?

Je ne veux pas dire que c’était vrai, je ne veux pas dire que c’était faux, mais la société anglaise a changé radicalement dans les années 60 et 70. Les femmes sont devenues plus présentes sur le marché du travail. Et, en 1964, on ne voyait pas encore toute la place que prendraient les immigrants dans la société.

Vous avez maintenant 78 ans. Allez-vous poursuivre la série ?

Je la poursuivrai tant et aussi longtemps que je serai vivant et que j’aurai toute ma tête. Si je commence à voir que j’en perds des bouts, je vais tirer ma révérence et laisser ma place à quelqu’un d’autre. Je ne voudrais pas que ça se termine, car c’est une expérience totalement unique. Il y a un concept similaire en Afrique du Sud et en Russie, mais notre série était la première du genre.

63 Up prend l’affiche le 13 décembre.