(Los Angeles) Deux ans après avoir réalisé The Shape of Water, qui lui a valu l’Oscar du meilleur film et de la meilleure réalisation, Guillermo del Toro retrouve le grand écran à titre de scénariste et de producteur. Scary Stories to Tell in the Dark, un film d’horreur destiné à toute la famille, est inspiré d’une série de bouquins qui, depuis plus de trois décennies, fait frissonner des générations de lecteurs.

Au moment où il se présente devant quelques journalistes dans une salle de l’hôtel mythique Hollywood Roosevelt, Guillermo del Toro vient tout juste d’inaugurer son étoile sur le célèbre « Walk of Fame » de Hollywood Boulevard. Le cinéaste mexicain, dont le cinéma est riche de mythologies fantastiques et de figures monstrueuses, a d’ailleurs profité de sa tribune pour exhorter les immigrés à ne pas céder à la peur après les tueries sanglantes du dernier week-end.

Même s’il n’a pas évoqué directement la situation politique du pays qu’il habite depuis plus de 20 ans lors de la rencontre de presse, Guillermo del Toro a quand même fait valoir la pertinence des films d’horreur, lesquels évoquent généralement des angoisses liées à une époque donnée.

« La guerre du Viêtnam, la guerre froide entre l’Est et l’Ouest, d’autres grands drames de l’humanité ont généré des frissons distincts, souligne-t-il. Il en est de même aujourd’hui. Dans le film, il est souvent dit que les histoires peuvent guérir ou faire mal. Qui n’a pas déjà entendu dans sa jeunesse une histoire circulant à propos de lui-même qui soit très vraie, ou, de façon plus terrifiante, très fausse ? Plus largement, une société peut être mise à mal à cause de mensonges proférés par un gouvernement pour envoyer des gens à la guerre sous de faux prétextes, par exemple, ou tout simplement pour créer de la division. »

Le plaisir du frisson d’horreur

Jouer sur la peur ou jouer à se faire peur sont deux notions très différentes. Au cinéma, on aime mieux d’emblée la deuxième option, d’autant plus qu’on peut alors en rire. Guillermo del Toro et le cinéaste norvégien André Øvredal (Troll Hunter), qui signe la réalisation, se sont donné pour mandat d’offrir un film d’horreur amusant, en s’inspirant d’une série de bouquins dont les amateurs du genre raffolent.

D’abord publié en 1981 (il sera suivi de deux autres tomes au cours de la décennie), Scary Stories to Tell in the Dark, d’Alvin Schwartz, est un recueil de courtes histoires qu’on se plaît à raconter à voix haute. Le scénario a été construit de telle sorte que les histoires se greffent à un récit plus cinématographique. Une bande d’adolescents, une maison hantée, un livre dont les histoires s’écrivent toutes seules et prennent emprise sur la « vraie vie ».

IMAGE FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Michael Garza et Zoe Margaret Colletti dans Scary Stories to Tell in the Dark

« Dès sa publication, alors que j’étais encore adolescent, j’ai dévoré ce livre et il ne m’a pratiquement jamais plus quitté, indique Guillermo del Toro. Jamais l’idée d’en faire un film ne me serait cependant venue à l’esprit au départ. Ce n’est que près de 20 ans plus tard, au moment où j’ai acheté les illustrations originales – et magnifiques – qu’a dessinées Stephen Gammel pour le bouquin, que l’idée a commencé à faire son chemin. Quand on a sondé mon intérêt, j’ai commencé par dire que je ne produirais pas ce film, mais que je pourrais suggérer des idées, étant donné ma connaissance de l’œuvre. Évidemment, j’avais à peine commencé à en parler que j’ai mis le doigt dans l’engrenage ! »

Rassembler trois générations

L’une des particularités de Scary Stories to Tell in the Dark réside dans cette volonté de toucher des publics de tous âges, sans toutefois faire de compromis sur le niveau de tension des histoires.

Peut-on faire un vrai film d’horreur destiné à toute la famille ? C’est la question à laquelle nous avons tenté de répondre. Je souhaite sincèrement que ce film puisse rassembler les trois générations de lecteurs et que tout ce beau monde puisse s’amuser ensemble.

Guillermo del Toro

Selon le producteur, aussi cosignataire du scénario, André Øvredal était le mieux placé pour assurer le succès de cette démarche et en faire la réalisation. « En plus de son travail très précis sur le plan de la mise en scène, il y a toujours chez lui le sens du plaisir, de l’amusement. Il fait du cinéma de genre doté d’un humour complice. C’est un peu comme s’il était assis à côté de toi pendant la projection et qu’il te donnait un petit coup de coude de temps à autre, fier de son coup ! »

Guillermo del Toro reconnaît toutefois que cette approche ne peut être adaptée à tous les projets. « À mes yeux, ce film est l’équivalent d’un roman pour jeunes adultes. Il est bien évident qu’une approche comme celle-là n’aurait pu fonctionner pour un film comme Le labyrinthe de Pan, dont l’essence même du récit repose sur la violence et qui dépeint un monde très hostile. Chaque projet est distinct et indique sa propre façon de faire. »

Des parallèles éloquents

S’il ne cache pas sa volonté d’évoquer l’esprit des films d’aventures des années 80, qui ont nourri son imaginaire d’adolescent et de jeune adulte, Guillermo del Toro a tenu à camper le récit de Scary Stories to Tell in the Dark en 1968.

« À l’époque où j’étudiais la scénarisation, on m’a enseigné très vite qu’une histoire pouvait prendre un tout autre sens selon l’époque à laquelle elle est racontée et le cadre choisi. Je savais qu’en situant le récit dans les années 60, je pouvais éliminer d’emblée les ordinateurs, Google et Instagram de la vie des personnages. En même temps, je trouve qu’on peut tracer des parallèles éloquents entre cette époque et la nôtre. C’était aussi le cas pour The Shape of Water. »

Et un Oscar, ça change le monde ? Oui et non…

« La première chose qu’on te dit quand tu viens de terminer un tournage dans les temps et sans dépassement de budget, ou que tu viens de gagner un Oscar, est : “Fais ce que tu veux.” Alors, tu dis ce que tu veux faire. Et on te répond : “Mais pas ça !” Ça m’est souvent arrivé. Donc, il faut être réaliste. Cela dit, j’ai quand même la chance de jouer dans un très beau carré de sable. Ça me permet, par exemple, de “protéger” André et de lui laisser sa liberté de créateur, même si je dois faire en sorte, à titre de producteur, que le cadre dans lequel on évolue soit respecté. Tout est relatif dans ce métier ! »

Scary Stories to Tell in the Dark (Histoires effrayantes à raconter dans le noir en version française) prend l’affiche ce soir. Les frais de voyage ont été payés par Les Films Séville.