Cinquième long métrage d’Anne Émond, Lucy Grizzli Sophie, adaptation de La meute, pièce de Catherine-Anne Toupin qui en signe le scénario, nous plonge dans l’horreur de la cyberintimidation sous la forme d’un troublant thriller psychologique.

Hantée par la violence de propos et d’images sexistes dont elle a fait l’objet sur les réseaux sociaux, Sophie (Catherine-Anne Toupin, à la fois sensible, sensuelle et sulfureuse), femme de carrière de 45 ans, trouve refuge dans un gîte du passant à des centaines de kilomètres de Montréal après avoir perdu son emploi. À peine dégrisée, elle est accueillie par Martin (Guillaume Cyr, impeccable en géant aux pieds d’argile), chômeur de 35 ans qu’héberge sa tante Louise (Lise Roy, d’une force tranquille et rassurante), propriétaire de l’endroit.

Entre Sophie et Martin commencera un dangereux pas de deux ponctué de nuits d’ivresse et de confidences franches, lequel culminera en une hallucinante bacchanale sylvestre où tous deux laisseront tomber les masques. S’ils semblent s’entendre comme larrons en foire, à tout moment, les liens qui les unissent menacent d’éclater. Quelles sont les véritables intentions de la première et que lui cache le second ?

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Lise Roy dans Lucy Grizzli Sophie, d’Anne Émond

Avant de transposer La meute, percutant huis clos de Catherine-Anne Toupin (L’envie, À présent) créé en 2018 dans une mise en scène de Marc Beaupré à La Licorne, Anne Émond, douée pour mettre en scène des êtres tourmentés, n’avait jamais tourné de thriller. De toute évidence, ce genre lui sied à merveille puisqu’on sent à l’écran le plaisir qu’elle a eu à jongler avec les codes du thriller.

De connivence avec le directeur photo Olivier Gossot (Jeune Juliette), Anne Émond crée des plans suggérant l’état de confusion de Sophie, transformant le chaleureux gîte en une souricière et installant une atmosphère de plus en plus délétère. Complète le tableau la bande sonore diablement efficace de Martin Léon (Les êtres chers).

Bien qu’elle exploite un nouveau genre, la cinéaste ne trahit pas pour autant sa vraie nature. Ainsi dans sa manière de mettre en scène son héroïne, torturée entre le désir de vengeance et le pardon, elle évoque celles qui couraient à leur perte dans Nuit #1 et Nelly. De même, le regard qu’elle porte sur la nature luxuriante entourant le refuge de Sophie rappelle celui qu’elle posait sur ces paysages tant aimés du bienveillant père souffrant en silence du mal de vivre des Êtres chers.

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Catherine-Anne Toupin, Guillaume Cyr et Lise Roy dans une scène de Lucy Grizzli Sophie

En transposant sa pièce au grand écran, Catherine-Anne Toupin (coscénariste de la série Moi non plus !) devait s’éloigner des conventions théâtrales, avec le risque toutefois d’émousser le suspense. Or, les choix qu’elle a faits, dont celui de donner chair au personnage de Chantal (Marjorie Armstrong, juste), l’ex de Martin, s’avèrent judicieux et ne nuisent en rien au bon déroulement de l’histoire.

De même, les mots de la scénariste, qui crée des dialogues d’un naturel bluffant, donne un aperçu glaçant des propos haineux véhiculés dans les forums de discussion et offre une place à la réflexion sur ce fléau social, n’ont rien perdu de leur puissance. Dans le cadre réaliste du film d’Anne Émond, la tragédie que vivent les personnages prend une dimension vertigineuse.

Cependant, l’humour noir de l’autrice et l’approche ludique de la réalisatrice, toutes deux inspirées par les thrillers américains des années 1980, font de Lucy Grizzli Sophie, titre sibyllin qui prend tout son sens au fil du récit solidement ficelé, un thriller psychologique jubilatoire au cours duquel le spectateur se verra férocement placé devant ses propres préjugés.

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Lucy Grizzli Sophie

Thriller psychologique

Lucy Grizzli Sophie

Anne Émond

Catherine-Anne Toupin, Guillaume Cyr, Lise Roy

1 h 29

7/10