(Rouyn-Noranda) Un chalet de bois rond surplombant un lac en pleine forêt. C’est l’image que je m’étais faite de l’Abitibi-Témiscamingue. Et l’une des images – vous excuserez le cliché – que je retiendrai du 42Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue (FCIAT), qui se termine jeudi.

Grâce à La Watch, volet professionnel du FCIAT piloté par Danny Lennon, de jeunes cinéastes de courts métrages ont pu rencontrer, écouter des artisans établis du cinéma québécois et discuter avec eux, dans un cadre informel et décontracté – sofas, poufs, bière au frigo – favorable au dialogue et à la confidence.

Un magnifique chalet au bord d’un lac, dans le bois, un portrait de Richard Desjardins au mur (!), et des discussions franches et stimulantes autour du foyer. Avec des acteurs (Martin Dubreuil, Larissa Corriveau), producteurs (Guillaume Lespérance, Sylvain Corbeil), scénaristes et réalisateurs (Robin Aubert, Miryam Bouchard, Pascal Plante, Mariloup Wolfe, Denis Côté, Vincent Biron, Ariane Louis-Seize, Erik K. Boulianne, etc.), sans oublier le directeur artistique oscarisé de Dune, Patrice Vermette.

On était loin d’assister à une classe de maître policée ou à une conférence de presse traditionnelle, mais bien à de généreuses discussions à bâtons rompus sur les coulisses du métier, avec accords, désaccords, chanson à répondre irrésistible (gracieuseté de Robin Aubert), ainsi que quelques inévitables grincements de dents.

À tout moment, quiconque pouvait intervenir pour remettre en question une pratique plus ou moins répandue sur les plateaux de tournage – diriger avec beaucoup ou très peu d’indications, commencer ou non par un plan large, etc. –, critiquer des façons de faire dans l’industrie, voire celles prônées par ses confrères et consœurs, ici présents autour de la table de la salle à manger…

Un fascinant cours de cinéma en accéléré, étalé sur deux jours, doublé d’un état des lieux du cinéma québécois sans faux-fuyants, stimulé sans doute par cette impression d’entre-soi, dans un chalet accueillant et lumineux de la forêt abitibienne.

Cette intimité, cette familiarité, compte parmi les atouts du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue qui, à défaut d’attirer des films aussi attendus que le Festival du nouveau cinéma ou Cinemania, crée les conditions idéales pour des rencontres signifiantes.

PHOTO LOUIS JALBERT, FOURNIE PAR LOUIS JALBERT

Des professionnels du cinéma étaient réunis dans un chalet de bois rond d’Abititbi-Témiscamingue, le week-end dernier. Ils ont eu de généreuses discussions sur le septième art.

L’hospitalité exceptionnelle de l’équipe du FCIAT et de ses bénévoles – un autre cliché qui se confirme – est sans contredit un élément qui explique la longévité et le succès du festival. « On voit les bénévoles vieillir avec nous. Plusieurs sont là depuis le début », me confie Jacques Matte, l’un des trois cofondateurs de l’évènement, avec Louis Dallaire et Guy Parent.

Ils sont à la hauteur de leur réputation. Les invités sont littéralement pris en charge, dès leur arrivée à l’aéroport, par ces bénévoles. Invité du brunch annuel du FCIAT, mené de main de maître par le cinéaste et professeur de cinéma Martin Guérin, Charles-Olivier Michaud a déclaré que Rouyn-Noranda n’avait rien à envier à Cannes pour ce qui est de l’accueil de ses invités. Il n’a pas tort.

PHOTO LOUIS JALBERT, FOURNIE PAR LOUIS JALBERT

Discussion entre le réalisateur Charles-Olivier Michaud et l’autrice Kim Thúy, animée par Martin Guérin

Michaud (Snow and Ashes, Anna) était sur place dimanche pour discuter, avec l’autrice Kim Thúy, de l’adaptation qu’il a réalisée du roman à succès Ru, un croisement, dit-il, entre La guerre des tuques et Apocalypse Now. « C’est exactement ça ! », s’est exclamée Kim Thúy devant une salle de conférence archicomble.

« J’ai voulu capter la beauté dans ce qui est très banal et créer une poésie visuelle qui est à la fois proche et loin du livre », a ajouté Charles-Olivier Michaud à propos de l’adaptation de ce roman qui se lit « comme un livre photo ».

Kim Thúy, qui a un talent unique pour identifier cette poésie du quotidien, a raconté qu’en arrivant en Abitibi-Témiscamingue, un bénévole du festival, le responsable des chauffeurs Roger Beaulieu, a remarqué qu’ils traversaient un « nuage de neige » sur la route. « Peut-être que Roger ne se rendait pas compte que c’était de la poésie ! »

L’échange, forcément vivant et comique, mais aussi émouvant, entre le cinéaste et l’autrice donnait très envie de découvrir Ru, qui doit prendre l’affiche le 24 novembre. Le film n’était malheureusement pas présenté au public de Rouyn-Noranda, une décision stratégique de son distributeur qui me semble regrettable.

Le 42e FCIAT avait ceci de particulier qu’il présentait une rencontre avec des artisans sans le film qui sert de prétexte à leur présence. Et qu’il présentait a contrario en ouverture un film biographique on ne peut plus conventionnel, L’abbé Pierre : une vie de combats de Frédéric Tellier, en l’absence de son réalisateur et de ses principaux acteurs, Benjamin Lavernhe (excellent) et Emmanuelle Bercot, elle-même une cinéaste de renom.

Des films plutôt mièvres et académiques qui n’en finissent plus de finir, j’ai vu ça souvent en ouverture d’un festival de cinéma. Que ce soit à Cannes, où L’abbé Pierre : une vie de combats a été présenté en première mondiale, à Berlin, à Venise ou à Toronto. On n’en fera pas un plat.

Des invités, du reste, ce n’est pas ce qui manquait au 42FCIAT. En plus des artisans québécois susmentionnés, j’ai rencontré en Abitibi le Français Olivier Babinet, réalisateur du touchant film d’apprentissage Normale, mettant en vedette Benoit Poelvoorde et Justine Lacroix, ainsi que le Belgo-Kurde Sahim Omar Kalifa, venu présenté Bagdad Messi, sur un jeune Irakien amputé d’une jambe pendant l’occupation américaine (un film qui trouve une résonance particulière dans le contexte des bombardements dans la bande Gaza).

Mon coup de cœur, parmi les films que j’ai découverts à Rouyn-Noranda ? Un court métrage québécois absolument charmant, Chat mort, des Témiscabitibiens Annie-Claude Caron et Danick Audet, lauréats du prix du meilleur court métrage de fiction au plus récent Festival de Tribeca. L’histoire, comme son nom l’indique, d’un chat mort et des stratégies rocambolesques de parents (Pierre-Yves Cardinal et Léane Labrèche-Dor) pour ne pas l’annoncer à leur fillette (Lilas-Rose Cantin).

« J’ai l’âge du festival. Ma passion du cinéma est née ici, à 4 ans, en écoutant André Melançon parler de La guerre des tuques », a déclaré à la soirée d’ouverture la productrice du film, Astrid Barrette Tessier, dont le père et les oncles ont été des bénévoles du FCIAT. Ce festival, c’est une famille, a-t-elle ajouté, émue.

On y est accueilli comme dans une famille. C’est la principale image que je retiendrai de ce court séjour à Rouyn-Noranda. Vous excuserez, encore une fois, le cliché.