Il y a de fort jolies scènes dans Testament, le plus récent film de Denys Arcand. Des scènes lumineuses, pleines de poésie, qui nous rappellent pourquoi Arcand est un monument du cinéma québécois. On a souvent salué Arcand le dialoguiste. Le cinéaste du Déclin de l’empire américain et de Jésus de Montréal est aussi un metteur en scène de talent.

Le personnage interprété par Marie-Mai, jeune femme qui rend visite chaque semaine à un septuagénaire désenchanté en manque d’affection (Rémy Girard), est nimbé d’une lumière dorée, comme la Marie-Madeleine d’un tableau de Georges de la Tour. Les visages de jeunes Autochtones s’illuminent aux abords d’un terrain de crosse, à Kanesatake. Les rouleaux de deux peintres en bâtiment se rejoignent au moment d’effacer les dernières traces d’un pan d’histoire.

Arcand impose un rythme au récit qui est le sien propre. Il filme l’automne québécois, métaphore du crépuscule de la vie, avec la même élégance que dans Les invasions barbares. Or, contrairement à ceux des Invasions barbares, on ne s’attache pas à la galerie de personnages de Testament. Ils n’ont pas assez de profondeur, de chair, d’humanité pour nous le permettre. Certains passent en coup de vent, le temps d’une réplique dans une saynète (mention spéciale au duo de Marcel Sabourin et Clémence DesRochers).

À la vérité de l’émotion franche, Denys Arcand préfère trop souvent l’effet de style sardonique dans ses films à thèse de plus en plus réactionnaires. Aussi, Testament se présente comme une série de sketchs éculés que l’on dirait parfois tirés d’un Bye bye boursouflé, autour d’une intrigue principale regorgeant pourtant de dilemmes éthiques et de potentiel dramatique.

Jean-Michel (Girard), un archiviste à la semi-retraite, habite une résidence pour aînés prise pour cible par des militants pour le respect des Premières Nations. Ceux-ci refusent de quitter les lieux tant qu’on n’y aura pas fait disparaître une fresque du XIXsiècle qu’ils jugent offensante, représentant Jacques Cartier et des leaders autochtones à moitié nus. La ministre responsable (Caroline Néron) exige de la directrice de la RPA (Sophie Lorain) qu’elle règle illico le problème de ces « Indiens » médiatisés qui nuisent à la réputation de son gouvernement.

Aux questions complexes du respect de l’histoire de l’art et de l’histoire d’un peuple victime d’un génocide culturel, Denys Arcand a choisi de répondre par la satire molle et la caricature simpliste, en discréditant avec un cynisme convenu l’ensemble des revendications de groupes militants, autochtones et autres. Une brève apparition de Robert Lepage semble résumer le point de vue d’Arcand sur la polémique autour des pièces SLĀV et Kanata.

Testament commence en ridiculisant une remise de Prix du Québec fictifs, nommés en hommage à des pionnières de la culture québécoise et décernés quasi exclusivement à de jeunes femmes aux prénoms composés improbables. Parmi les clichés de féministes adeptes d’intersectionnalité, on trouve bien sûr une musulmane voilée et l’« autrice » du recueil de poésie Vagins en feu. En matière de personnages féminins, Arcand s’intéresse davantage depuis 40 ans au stéréotype de la jeune escorte de luxe…

PHOTO FOURNIE PAR TVA FILMS

Sophie Lorain et Rémy Girard

On connaît la rengaine, livrée ici sous forme de monologue intérieur par un baby-boomer désabusé, qui attend la mort entre un « film québécois insignifiant » (ses mots) et une marche au cimetière. L’ensemble de la complainte de Jean-Michel a été puisée à même la litanie réservée par les représentants les plus aigris de sa génération à celles qui ont suivi.

C’est le disque rayé des lieux communs sur l’Homo quebecensis de la majorité historique en perte de repères, de privilèges et de locutions latines, qui se sent brimée par la reconnaissance de droits à des minorités discriminées. Le type qui confond rectitude politique et évolution des mœurs, se sent menacé par des députés siégeant avec des bébés et regrette que des milléniaux n’aient pas lu De la grammatologie ou vu Andreï Roublev, trop occupés à se faire tatouer et à boire de la sangria en terrasse.

Arcand sait si bien saisir l’air du temps qu’il y va d’un désopilant commentaire sur les toilettes genrées… « Hashtag ironie », comme ne disent pas les jeunes. On dira bien sûr qu’il se moque de tout le monde, ce qui n’est pas faux. Il se moque gentiment de lui-même et de sa génération, des aînés technodéficients ou des cyclistes du dimanche sur le retour d’âge qui se vantent de leur kilométrage. Il reste qu’il a ses cibles de prédilection, auxquelles il porte plus de coups qu’à d’autres.

Ridiculiser le charabia bureaucratique d’une ministre n’est pas du même ordre que tourner en dérision les revendications de groupes ostracisés depuis des générations.

La quantité de vannes d’Arcand sur les jeunes militants (ou les jeunes désengagés, c’est selon) semble lui importer davantage que la cohérence de son scénario. Il met en scène une invraisemblable idylle entre deux quasi-inconnus (qui se vouvoient comme à l’époque victorienne) ou encore des retrouvailles familiales sans affect après des décennies de séparation. Pour que le nœud d’une intrigue soit crédible au XXIsiècle, elle peut difficilement faire fi de l’existence d’un moteur de recherche aussi banal que Google…

Entre le pessimisme tous azimuts de son alter ego Jean-Michel et le relatif optimisme de la fin de son film, on se demande où Denys Arcand veut en venir. Dans une scène, il truffe de poncifs le discours d’une députée nationaliste qui s’inquiète de la louisianisation du Québec. Au générique, il filme un groupe cajun interprétant la (très belle) chanson traditionnelle à laquelle l’élue fait référence…

On sort de Testament avec l’impression que rien ne trouve grâce aux yeux de Denys Arcand dans cette « province paisible d’un pays ennuyeux sans envergure », comme le dit le personnage de Rémy Girard. Le cinéaste a cette manie de se placer au-dessus de la mêlée (et de sa société), à l’instar du personnage de Machiavel de Jean-Pierre Ronfard dans Le confort et l’indifférence. Jean-Michel finit par concéder du bout des lèvres qu’il devra s’intéresser à la crise climatique. Denys Arcand, lui, a surtout l’air de dire : Après moi, le déluge.

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