Si un extraterrestre débarquait au Québec en 2023, on lui ferait voir (ou lire) Les Plouffe, afin qu’il comprenne les fondements de la société québécoise moderne.

À la fois portrait réaliste d’une époque et miroir grossissant de ses rêves brisés, Les Plouffe dépeint avec justesse la solidarité et la trahison autour du clan familial. À petite et grande échelle. L’œuvre de Roger Lemelin illustre le désir d’affranchissement et de liberté d’un peuple « sans culture », « né pour un petit pain », porté par son immense soif d’héroïsme. Telle une épopée qui nous plonge au fond de l’âme d’un peuple.

En plus de mettre en scène des personnages touchants, archétypaux, Les Plouffe est un condensé des grandes luttes des Canadiens français de la fin la Grande Dépression aux débuts de la Seconde Guerre mondiale : les premiers syndicats ouvriers ; l’affirmation du nationalisme québécois ; la domination du clergé ; l’émancipation culturelle, etc. Roger Lemelin a tracé le chemin aux Gélinas, Dubé et Tremblay.

D’ailleurs, en assistant à la production des Plouffe, au Théâtre Denise-Pelletier, 75 ans après la publication du roman, on se demande une chose : pourquoi a-t-on attendu aussi longtemps pour monter l’œuvre au théâtre ? !

C’est chose faite. Avec cette excellente adaptation d’Isabelle Hubert (d’après le livre et le scénario du film de Gilles Carle), dans une mise en scène ingénieuse de Maryse Lapierre, avec une brillante distribution ! Ce spectacle est remarquable et le récit n’a pas pris une ride.

PHOTO VICTOR DIAZ LAMICH, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

Alice Moreault (Rita Toulouse) et Renaud Lacelle-Bourdon (Ovide Plouffe), dans l’adaptation théâtrale des Plouffe

Quelle famille !

La scène s’ouvre en 1938, dans le quartier Saint-Sauveur, à Québec. Alors que l’Europe s’apprête à entrer en guerre, la famille Plouffe se déchire… autrement. Guillaume, le benjamin, rêve de devenir un athlète aux États-Unis. Ovide est déchiré entre sa foi, l’opéra et son amour pour Rita Toulouse. Napoléon vit d’espoir et de cyclisme. Cécile, l’aînée, aime clandestinement un homme marié. Théophile, le père, combat l’hypocrisie ; tandis que sa femme, Joséphine, essaie de préserver le nid familial.

La mise en scène de Maryse Lapierre cristallise la division sociale de la Capitale-Nationale dans les années 1930, dans un décor représentant les escaliers en bois juchés sur la falaise du Cap Diamant. Et cette pente abrupte, loin d’être douce, que la classe ouvrière catholique devra monter pour sortir de sa condition et réaliser ses rêves.

PHOTO VICTOR DIAZ LAMICH, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

Ovide (Renaud Lacelle-Bourdon) est déchiré entre sa foi, l’opéra et son amour pour Rita Toulouse.

Toute la distribution est remarquable ! Mentionnons la performance poignante de Jean-Michel Girouard en Napoléon Plouffe ; le jeu nuancé et juste de Frédérique Bradet en Cécile Plouffe ; le très sensible Ovide de Renaud Lacelle-Bourdon ; Roger Léger et Marie-Ginette Guay dans le rôle des parents qui veillent, tant bien que mal, à l’équilibre de leur famille. Maxime Beauregard-Martin joue avec finesse le jeune journaliste Denis Boucher, l’alter ego de Lemelin. Rarement a-t-on vu une distribution de 14 interprètes aussi bien dirigée sur un grand plateau.

PHOTO VICTOR DIAZ LAMICH, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

Maxime Beauregard-Martin, Alex Godbout et Jean-Michel Girouard dans Les Plouffe

Il y a plusieurs belles idées de mise en scène dans ce spectacle sans temps morts, d’une durée de 2 h 10, notamment l’utilisation des musiciens et des chanteurs lors d’intermèdes musicaux ; la partie de fers en deux lieux ; la lettre de rupture d’Ovide à Rita Toulouse qu’elle transforme en balle de baseball pour lancer à Stan Labrie.

Parmi toutes ces idées de mise en scène, il y a celle d’isoler par moments Maman Plouffe dans sa cuisine, assise à table, seule et terriblement songeuse… Marie-Ginette Guay, bouleversante, nous fait entendre « le vacarme du silence » des mères de famille. Ces femmes qui ont aussi mis au monde le Québec d’aujourd’hui.

Consultez la page de la pièce
Les Plouffe

Les Plouffe

D’après l’œuvre de Roger Lemelin
Mise en scène de Maryse Lapierre
Avec Édith Arvisais, Maxime Beauregard-Martin, Frédérique Bradet, Robin-Joël Cool, Vincent Fafard, Jacques Girard, Jean-Michel Girouard, Alex Godbout, Marie-Ginette Guay, Renaud Lacelle-Bourdon, Gaël Lane Lépine, Roger Léger, Alice Moreault et Mary-Lee Picknell

Au Théâtre Denise-Pelletier, Jusqu’au 21 octobre

8/10