(Venise) Le Québec est décidément bien représenté à cette 80e Mostra de Venise. Delphine Girard, qui est née au Québec et a grandi en Belgique, a été chaleureusement applaudie au Lido, mardi soir, après la projection de son premier long métrage, Quitter la nuit.

Complexe et subtil, brut et chargé d’émotion, ce drame psychologique anxiogène, tout sauf manichéen, aborde « le thème malheureusement trop d’actualité de la violence faite aux femmes », a souligné la directrice artistique de la section Giornate degli Autori, avant sa présentation en compétition.

Il s’agit du prolongement du précédent film de Delphine Girard, Une sœur, finaliste aux Oscars en 2020 dans la catégorie du meilleur court métrage de fiction et gagnant de plusieurs prix dans les festivals internationaux. Les 15 premières minutes du long métrage sont en fait celles du court métrage.

Coproduit par les Québécoises Sarah Mannering et Fanny Drew, Quitter la nuit met en scène le même principal trio d’acteurs, Veerle Baetens, Selma Alaoui et Guillaume Duhesme, auquel se greffe notamment la Québécoise Anne Dorval.

Inspiré d’un appel d’urgence entendu par la réalisatrice aux États-Unis, le court métrage racontait l’histoire d’une femme coincée dans la voiture de son agresseur, qui feint de téléphoner à sa sœur afin de chercher de l’aide. Elle contacte plutôt la police et arrive à faire comprendre par un langage codé à son interlocutrice qu’elle est en danger.

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL

Delphine Girard

J’étais satisfaite du court métrage, mais les personnages sont restés avec moi. Je me demandais ce qui aurait pu leur arriver après cette nuit.

Delphine Girard, au terme de la représentation

Aly, récemment séparée du père de sa fillette, rencontre Dary, l’ami d’une amie, dans un party. Il lui plaît. « Chez moi ou chez toi ? », lui demande-t-elle. « Pas chez moi, j’ai un coloc », lui dit-il, laissant deviner que sa situation est précaire. Elle s’étonne qu’il vive en colocation, lui dit de manière banale qu’il conduit la même voiture que sa grand-mère. Fragile, déprimé et intoxiqué, il se vexe soudainement. Humilié par le rejet lorsqu’Aly lui fait savoir qu’elle a changé d’idée et lui demande de la raccompagner, Dary s’anime d’une brutale violence.

Pourquoi les choses se sont-elles passées ainsi ? Delphine Girard refait le fil (tendu) des évènements, en multipliant les flashbacks et les ellipses, jusqu’à brosser un portrait de la situation qui, s’il n’offre pas toutes les réponses, impose une réflexion. Sur les enquêtes policières, sur le processus judiciaire, sur la crédibilité accordée aux victimes, sur leur sentiment de culpabilité et – sujet délicat – sur l’empathie que l’on peut ressentir pour les agresseurs.

Ce qui distingue justement Quitter la nuit de la plupart des polars sur le même thème, c’est qu’il s’intéresse à la psychologie de tous les personnages, sans a priori. La conduite d’Aly (Selma Alaoui) peut paraître étonnante aux yeux de certains après l’agression. Elle semble chercher à exorciser ou à laver par le sexe l’affront fait à son corps. Dary (Guillaume Duhesme), relâché par la police en attente d’un éventuel procès, trouve du travail comme pompier, un refuge chez sa mère (Anne Dorval) et se met en ménage avec une femme qui a un jeune fils.

« Ce sont des situations complexes qui ne peuvent pas souffrir d’un traitement simpliste », croit Delphine Girard.

C’est plus facile de penser qu’un violeur est juste un monstre et que tout est noir ou blanc. Ce n’est pas la réalité. La réalité, c’est qu’il y a des violeurs qui sont aussi de bons fils. Je voulais explorer son humanité. Pas pour excuser ses gestes, mais pour tenter de mieux les comprendre.

Delphine Girard

La jeune cinéaste a le (bon) réflexe de faire confiance à l’intelligence du spectateur, lui laissant le loisir d’offrir sa propre interprétation aux actions et réactions des personnages, de combler les silences et les non-dits. Pourquoi Anna (Veerle Baetens), bouleversée par l’étrange appel qu’elle a reçu au centre d’urgence pendant la nuit, semble-t-elle obsédée par la jeune femme qui l’a contactée ? Peut-être en raison de ses propres blessures ? On ne le saura pas, et c’est tant mieux.

« On fait parfois des trucs bizarres quand on a peur », rappelle Anna à Aly. Il n’y a pas de mode d’emploi de la parfaite victime. Et il n’y a pas de portrait type de l’agresseur. À la suite de sa première mondiale à Venise, Quitter la nuit ouvrira à la fin du mois le Festival international du film de Namur et prendra l’affiche au Québec au début de 2024. Il concourra début novembre pour le nouveau Prix du jury Marc-André-Lussier du Festival Cinemania. Je suis convaincu que mon ami l’aurait beaucoup aimé.