Après Doubles vies, un film très français, Olivier Assayas s’est retrouvé à Cuba pour tourner Wasp Network, un film qui évoque l’histoire, au début des années 90, d’agents doubles cubains, infiltrés en Floride dans les réseaux militants anti-Castro. Au moment où ce film ambitieux, lancé l’an dernier à la Mostra de Venise, arrive sur Netflix, nous avons pu joindre le cinéaste à Paris.

L’histoire de ceux qu’on a appelés les « Cinq de Miami » n’est pas très connue. Avant que le producteur brésilien Rodrigo Teixeira lui propose d’adapter le bouquin qu’a publié le journaliste Fernando Morais sur les activités de réseaux d’espions cubains, Olivier Assayas n’en avait d’ailleurs jamais entendu parler.

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« Le livre est l’œuvre d’un journaliste, explique le cinéaste français. L’ouvrage est très rigoureux sur le plan factuel et relate une histoire infiniment plus complexe que celle que je raconte dans mon film. Même s’il n’y avait pas vraiment de trame narrative dans le livre, j’ai été intéressé par la richesse du récit et l’ambivalence qui en émane. J’ai trouvé cette histoire passionnante, et le fait qu’elle soit peu connue me séduisait aussi parce que je pouvais me permettre d’y mettre du cinéma. Il était pour moi essentiel de m’attarder à l’aspect humain, d’où l’idée de mettre au centre du film le couple que forment Olga [Penélope Cruz] et René [Édgar Ramírez]. »

Dans la lignée de Carlos

À la sortie de Wasp Network, qui a pris l’affiche en salle en France au début de l’année, quelques mois après avoir été lancé à la Mostra de Venise et au festival de Toronto, la critique a vite tracé un parallèle avec Carlos, l’excellente minisérie qu’a réalisée Assayas il y a 10 ans.

« J’ai mis du temps à vouloir refaire un film dans le même esprit que Carlos, révèle le cinéaste. C’est comme si, à travers un seul projet, j’avais enchaîné trois films d’action. J’avais le sentiment d’avoir un peu fait le tour et je n’ai pas voulu reprendre cette direction tout de suite. Mais il est vrai que, le temps ayant passé, et l’amitié avec Édgar [Ramírez, aussi vedette de Carlos] étant toujours bien solide, je me suis passionné pour cette histoire qui me permettait d’être ludique dans ma pratique du cinéma, car Wasp Network est aussi en partie un film de genre. Ce projet m’a aussi donné l’occasion de complètement changer de repères et de me remettre en question. »

Un tournage à Cuba

Wasp Network est l’une des rares productions internationales ayant obtenu une autorisation de tournage à Cuba. Le film y gagne en authenticité, mais tourner dans un endroit où les infrastructures sont quasi inexistantes pour accueillir une grosse équipe de cinéma a passablement compliqué les choses.

« L’exercice était d’autant plus ludique que les conditions de travail étaient évidemment contraignantes !, dit celui à qui l’on doit en outre Les destinées sentimentales et Sils Maria. Au-delà des rapports un peu ambigus que nous avons eus avec elles, force est de reconnaître que les autorités cubaines n’ont pas toujours joué le jeu, malgré les autorisations qu’elles nous avaient accordées. Je dois cependant dire qu’il n’y a eu aucune contrainte sur le plan narratif et politique. Nous n’avons subi aucune pression, mais le soutien était plus ou moins là, pas plus que la bonne volonté. En fait, la plus grande difficulté a été de composer avec les pénuries. Étant sous embargo depuis des décennies, le pays ne dispose pas des choses requises pour fabriquer un film, même les plus élémentaires. Il a fallu tout faire venir de l’extérieur. Mais là est le plaisir de l’aventure. Tous les matins, j’avais un peu le sentiment d’aller à la guerre ! »

PHOTO ARTHUR MOLA, INVISION, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Olivier Assayas, Penélope Cruz, Édgar Ramírez, Gael García Bernal et Wagner Moura sont allés présenter Wasp Network à la Mostra de Venise l’an dernier. Le film d’Olivier Assayas était en lice pour le Lion d’or.

Même si l’histoire de Wasp Network est très riche et aurait peut-être pu se décliner en plusieurs épisodes, jamais l’idée d’une minisérie à la Carlos n’a été évoquée.

« Je n’ai jamais eu le sentiment qu’il y avait dans cette histoire matière à un film de cinq ou six heures, tranche Olivier Assayas. Il aurait alors fallu explorer toutes les guerres souterraines que se livrent les Cubains en exil et ceux qui restent fidèles au régime. Il aurait aussi fallu exposer un pan entier de l’histoire du pays, avec toutes les ramifications qui s’y rattachent. Là n’était pas mon sujet, d’autant que tout cela est d’une complexité absolue. J’ai préféré m’attarder à un aspect, dans la mesure où l’histoire était traversée dans sa ligne droite d’un récit émotionnel, humain et sentimental. »

Réfléchir à son métier

Comme tout le monde sur la planète, Olivier Assayas, maintenant de retour chez lui à Paris, vient de sortir d’un confinement de trois mois. Il a vécu cette troublante période de l’histoire moderne à la campagne, dans la maison familiale. Cet arrêt forcé a remis des choses en question.

« C’était un peu étrange de me retrouver dans la maison de mon enfance, où je n’avais pratiquement pas séjourné depuis mon adolescence, confie-t-il. Cette crise nous a forcés à nous poser toutes sortes de questions à propos des choix de vie qu’on a faits et la façon dont nous menons nos existences. Personnellement, ce fut aussi très étrange de me replonger dans mes années de formation et de redéfinir mon rapport au jeune homme que j’ai été. C’était d’autant plus troublant que je partageais cette maison avec mon frère [le journaliste et romancier Michka Assayas], à qui je suis toujours resté attaché, mais avec qui je n’avais pas habité sous le même toit depuis notre adolescence. Tout ça redistribue nos propres valeurs, notre propre rapport à la vie. »

À ce chamboulement personnel s’ajoute aussi l’aspect professionnel. Cette pandémie aura aussi beaucoup fait réfléchir le cinéaste à propos de la pratique de sa profession.

« Tout rentrera dans l’ordre un jour, on le souhaite, mais dans le plus noir de cette crise, on ne pouvait voir quand les salles allaient rouvrir, ni quand on pourrait tourner quelque chose dans des conditions pas trop contraignantes. La question de l’existence même du cinéma était en jeu. On a eu ce sentiment que la fabrication même de notre civilisation et les valeurs qui y sont liées pouvaient disparaître du jour au lendemain. »

Ravi d’être sur Netflix

Wasp Network est un film destiné au grand écran, mais dans les circonstances, Olivier Assayas se dit ravi de pouvoir atteindre un large public international grâce à Netflix.

« Mon seul regret est qu’il ne sortira pas en salle en Espagne et qu’en conséquence, il ne pourra être éligible aux prix Goya. Je sais que ça comptait beaucoup pour Penélope. »

PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

Wasp Network ne sortant pas en salles en Espagne, il ne pourra être admissible aux Prix Goya, ce que regrette le cinéaste, notamment pour Penélope Cruz.

S’il ne compte pas regagner un plateau avant de pouvoir y travailler « sans contraintes », c’est-à-dire sans obligation de porter le masque et de respecter les distanciations physiques, Olivier Assayas planche néanmoins sur l’adaptation en minisérie de son long métrage Irma Vep, sorti en 1996.

« Le projet est assez avancé et il est constitué d’une série de huit films. Je travaille en collaboration avec la société américaine A24 », a conclu le cinéaste sans en révéler davantage.

Wasp Network (Le réseau cubain en version française) est offert sur Netflix.