Il est long, le chemin d’Uashat, réserve innue de la Côte-Nord, au Quartier des spectacles à Montréal. Mais la distance n’est pas que géographique ; elle est surtout historique.

Jeudi soir, lors de la première de Manikanetish, adaptation théâtrale du deuxième roman de Naomi Fontaine, un grand nombre de spectateurs autochtones mettaient les pieds pour la toute première fois à la Place des Arts. Ils venaient applaudir une distribution entièrement autochtone, issue des nations innue et Mi’kmaq, dont la majorité faisait son baptême professionnel chez Duceppe.

Malgré ses imperfections, ses maladresses et le manque d’expérience des interprètes, ce spectacle est un objet artistique rare. Non conventionnel. Une proposition débordante d’âme et d’humanité. Durant près de 90 minutes, Manikanetish nous aide à mieux comprendre la culture des jeunes Innus. En nous montrant leurs forces et leurs faiblesses, leurs drames et leurs joies, leurs peines et leurs désirs. Pour mieux exposer l’immense fierté qui les habite.

Inspirée de sa propre expérience, la pièce de Naomi Fontaine raconte l’histoire d’une enseignante de 24 ans qui décroche un emploi dans une école secondaire à Uashat (l’autrice s’est jointe à la distribution à 12 jours de la première !). On voit la jeune professeure retourner dans sa communauté, 15 ans après l’avoir quittée. Elle débarque dans la classe avec son bac et ses gros sabots. Les premières semaines sont très pénibles. Des élèves lui résistent. Elle tente d’imposer une discipline rigide, sans tenir compte de la réalité de la réserve innue. Puis, peu à peu, elle se rapprochera d’eux. En commençant par les écouter… et leur faire confiance.

Le défi du Cid

PHOTO DANNY TAILLON, FOURNIE PAR DUCEPPE

Durant près de 90 minutes, Manikanetish nous aide à mieux comprendre la culture des jeunes Innus. En nous montrant leurs forces et leurs faiblesses, leurs drames et leurs joies, leurs peines et leurs désirs. Pour mieux exposer l’immense fierté qui les habite.

Au milieu de l’année scolaire, le directeur de l’école demande à l’enseignante de monter une pièce avec son groupe. La professeure propose à ses élèves un classique, et non le moindre : Le Cid. Les élèves sont d’abord rebutés par l’intrigue alambiquée, les Alexandrins de la tragi-comédie de Corneille. Or, ce choix n’est pas innocent. Le Cid est une œuvre qui parle d’amour et d’honneur. Deux choses dont les membres des Premières Nations n’ont, disons, pas beaucoup reçu depuis la conquête de leurs territoires…

« Nous [les Innus] avons été longtemps analysés, sans que jamais personne ne se donne la peine de nous connaître », a dit l’autrice en entrevue. Leur donner la parole pour faire connaître leur histoire, sans jugement extérieur, voilà le souhait au cœur de cette œuvre mêlant narration et fiction. Portée par l’habile mise en scène de Jean-Simon Traversy, codirecteur artistique chez Duceppe.

Si Dieu existe…

Au milieu de la représentation, après l’annonce du suicide d’une adolescente de la réserve, un des élèves demande à sa professeure s’il peut prier dans la classe… Elle accepte d’emblée. Les personnages forment alors un cercle pour réciter une prière en innu. Sans comprendre la langue, on reconnaît leur prière. Cet appel à Dieu ressemble à un doux chant. À la fois réconfortant et chavirant. Une musique qui a monté le fleuve, de Sept-Îles à la Place des Arts, en emportant avec elle son vague à l’âme. Le chant d’amour et de fierté des Premières Nations, longtemps oubliées, négligées.

Heureusement, on peut enfin les entendre sur la scène d’un grand théâtre au Québec. Si le théâtre ne change pas le monde, il a assurément la capacité de rapprocher les communautés. C’est le pari réussi de cette production audacieuse et mémorable.

Manikanetish

Manikanetish

D’après le roman de Naomi Fontaine. Adaptation Julie-Anne Ranger-Beauregard et Naomi Fontaine. Mise en scène : Jean-Simon Traversy.

Théâtre Jean-Duceppe, Jusqu’au 8 avril

7,5/10

Consultez le lien de la pièce chez Duceppe