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Quarante-huit heures. C’est le temps qu’il a fallu à Phara Thibault pour écrire son premier texte, Chokola. Depuis, la vie de la jeune femme de 22 ans n’est plus la même.

Née en Haïti et adoptée par une famille québécoise à l’âge de deux ans et demi, elle a grandi à Sainte-Germaine-du-Lac-Etchemin, un village de la Beauce où la diversité ethnoculturelle se limitait à sa seule personne.

« Enfant, je croyais que j’allais devenir blanche en vieillissant, lance la dramaturge et actrice. Je n’avais jamais vu d’adultes noirs. Mes Barbie étaient blanches, tous mes livres mettaient en scène des personnages blancs… Je n’avais pas de narratif qui me correspondait, ni à la maison, ni à l’école, ni à la télévision. »

Pour expliquer sa différence, sa mère adoptive lui racontait qu’elle était tombée dans une marmite de chocolat lorsqu’elle était petite. Une explication maladroite, bien qu’empreinte d’amour, qui n’a en rien satisfait la quête identitaire de la jeune femme.

« En 2020, pendant la pandémie, j’ai ressenti une urgence de dire, de nommer ce que j’avais vécu. On était en pleine vague de Black Lives Matter. Ç’a été pour moi une période de réflexion intense. J’ai réfléchi au racisme ordinaire qui a teinté mon quotidien et à la réalité de l’adoption. J’ai voulu confronter mes parents adoptifs, mais j’ai été mal reçue. Je me suis dit que si je n’arrivais pas à les rejoindre avec ma parole, j’allais y aller avec la poésie. »

Celle qui ne savait même pas qu’elle aimait écrire a pris la plume pour la première fois.

J’ai écrit Chokola en deux jours. Je ne me suis même pas arrêtée pour manger ou dormir. C’était une vraie pulsion. J’étais convaincue que personne n’allait me lire. Au fond, ç’a été une force pour moi : je ne me suis pas censurée.

Phara Thibault

« J’ai été foudroyée par l’immensité du talent de Phara lorsque j’ai lu ce texte, raconte la metteuse en scène et conseillère dramatique Marie-Ève Milot. C’est un récit important, avec une immense portée sociale, qui est fait de manière sensible. Cette façon qu’a Phara de raconter sa trajectoire est très puissante. Son texte est une quête, une traversée, racontée sous la forme de tableaux forts et évocateurs. Chacun de ses tableaux est un poème dramatique. »

Un texte qui change une vie

Ce texte a carrément bouleversé la vie de son autrice. D’un point de vue personnel d’abord. « Depuis Chokola, je n’ai jamais été aussi proche de mes parents adoptifs. L’exercice a été très réparateur. Tout le monde peut avoir des biais. Ma mère adoptive, qui est la personne qui m’aime le plus au monde, a été maladroite avec moi. Personne n’est à l’abri. »

Sur le plan professionnel, le texte a ouvert des portes que Phara Thibault n’imaginait même pas.

Il lui a permis de remporter le Concours intercollégial d’écriture dramatique l’Égrégore, il a été présenté en lecture au Festival Jamais Lu, a été publié chez Fides et s’amène à La Petite Licorne dans sa forme théâtrale poussée par un vent (très) favorable. La boîte de production KO24 travaille même à une adaptation cinématographique.

« Chokola m’a permis de voler de mes propres ailes avant la fin de mes études à l’école de théâtre de Saint-Hyacinthe », lance la jeune fille en souriant. Depuis, on l’a vue à la télévision dans Toute la vie et L’île Kilucru. Elle sera aussi de la série IXE-13, campée peu de temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale. « Je joue une espionne qui désamorce des bombes atomiques ! C’est le fun de jouer une femme noire forte, qui n’est pas une victime, dans une série d’époque. »

Au théâtre, on l’a vue sur la scène du Théâtre Denise-Pelletier dans Si jamais vous nous écoutez, ainsi que dans la pièce Vous êtes animal présentée au Quat’Sous. Son prochain défi sera de dire ses propres mots sur scène soir après soir. « C’est un vertige, car c’est une vraie mise à nu pour moi. Je vais devoir replonger dans mes vieilles blessures. Je devrai m’entourer d’une bulle d’amour après chaque représentation. En même temps, Chokola reste une histoire avec beaucoup de lumière, qui me permet de voir le parcours que j’ai traversé dans ma vie. »

Le chemin qui l’attend sera, elle espère, marqué par l’écriture d’un deuxième texte. « Pour l’instant, j’ai le syndrome du deuxième livre ; je sens une pression de faire mieux que le premier. Mais je ressens encore un grand besoin d’écrire. J’ai d’autres choses à dire. Mais je me demande : est-ce que j’ai le droit de parler d’autre chose que de racisme ? J’aime porter cette parole sur scène, mais je ne veux pas être cloisonnée… »

Chokola est présentée à La Petite Licorne jusqu’au 14 avril. Notez qu’une activité de médiation auprès des personnes adoptées et des parents adoptants est organisée par l’organisme L’Hybridé le 31 mars.

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Aussi à l’affiche

Se méfier des eaux qui dorment

PHOTO F. CLEMENTE PHOTOGRAPHY, FOURNIE PAR LA COMPAGNIE YVANN ALEXANDRE

La Compagnie Yvann Alexandre tournera au Québec avec Se méfier des eaux qui dorment.

Le chorégraphe français Yvann Alexandre propose avec cette création une réinterprétation qu’on dit audacieuse du Lac des cygnes de Tchaïkovski. En remplacement des cygnes, ce sont les eaux blanches et noires de l’Amazonie qui s’opposent ici, alors que les huit interprètes incarneront les figures symboliques de la femme ensorcelée, de la sœur jalouse, du sorcier fourbe ou de l’essence illusoire du prince, dans une création qui s’émancipe de la dramaturgie au profit d’une esthétique contemporaine et d’un geste « calligraphique ». La compagnie de danse contemporaine offrira aux Québécois la plus importante tournée de danse étrangère depuis 2020, alors que la pièce sera présentée dans six villes de la province.

Du 7 au 25 mars, à Sherbrooke, Sorel-Tracy, Gaspé, Québec, Sainte-Geneviève et Victoriaville

Iris Gagnon-Paradis, La Presse

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Colossus

PHOTO BRYONY JACKSON, FOURNIE PAR DANSE DANSE

Colossus par Stephanie Lake Company

Danse Danse accueille la Stephanie Lake Company pour la première fois avec Colossus. Pour cette pièce d’envergure, la chorégraphe Stephanie Lake, figure de proue de la danse australienne, s’allie avec les écoles de danse des villes où elle est de passage afin de constituer la large distribution de cette création qui comptera 64 interprètes sur scène à Montréal, dont une cinquantaine d’élèves de l’École de danse contemporaine de Montréal et de l’École supérieure de ballet du Québec. Misant sur la joie et la fébrilité de l’expérience collective, Colossus met en scène des corps qui se déplacent à l’unisson, chacun gardant son individualité sauvage, reprenant certains motifs observables dans la nature, comme la danse des bancs de poissons ou les vols d’étourneaux, explorant du même coup la relation entre individu et collectivité.

Du 8 au 11 mars à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts

Iris Gagnon-Paradis, La Presse

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N’essuie jamais de larmes sans gants

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Olivier Arteau

Le Trident présente l’adaptation scénique de Véronique Côté du roman suédois N’essuie jamais de larmes sans gants, sur le thème du sida. La mise en scène est signée Alexandre Fecteau, qui dirige une imposante distribution de 12 interprètes, avec quatre musiciens. Le nouveau directeur artistique de la compagnie, Olivier Arteau, joue le premier rôle de Rasmus. Au début des années 1980, Rasmus fuit son village et l’étouffant nid familial pour aller vivre ouvertement son homosexualité à Stockholm. Il rencontrera entre autres Benjamin (Maxime Beauregard-Martin), fils d’une famille de Témoins de Jéhovah, et Paul (Maxime Robin), « folle rassembleuse et mère poule pour les gais égarés ». Un récit poignant qui nous rappelle le chemin parcouru par une communauté éprouvée.

Du 7 mars au 1er avril, au Grand Théâtre de Québec

Luc Boulanger, La Presse

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Beau gars

PHOTO VALÉRIE REMISE, FOURNIE PAR LE CTD’A

Marie Bernier, Cynthia Wu-Maheux et Oumy Dembele en répétition au CTD’A

Le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui propose une satire féministe et engagée écrite par l’autrice canadienne Erin Shields (Beautiful Man) et traduite par Olivier Sylvestre. « Un spectacle démystifiant, avec humour, tout ce qui est toxique dans notre culture populaire », dit-on. Les femmes de Beau gars s’arrogent sans vergogne tous les rôles de pouvoir. En reprenant des thèmes chers à l’autrice : le sexisme ordinaire, le mansplaining, les stéréotypes de genres… Gabriel Lemire joue le beau gars en question, aux côtés de Marie Bernier, Cynthia Wu-Maheux et Oumy Dembele.

Du 14 mars au 5 avril, à la salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

Luc Boulanger, La Presse

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Couper

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION/LES COMPAGNONS BAROQUES

Couper nous invite à une expérience où un archétype féminin se défait et se recrée devant nous.

Couper nous invite à une expérience où un archétype féminin se défait et se recrée devant nous, dans un espace intime et légèrement déstabilisant pour le public. Le communiqué nous parle de cette proposition comme « d’un puissant objet performatif », avec un dispositif à la hauteur de ce texte qui a « le potentiel d’ouvrir de nouveaux angles de discussions et de propulser nos pratiques respectives ». Beau programme !

Dans la salle intime du Théâtre Prospero, du 14 mars au 1er avril

Luc Boulanger, La Presse

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Sportriarcat

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION/LES PRÉCIEUSES FISSURES

Sportriarcat, une création des Précieuses fissures, une compagnie de théâtre interdisciplinaire

Explorant les liens entre le sport, le spectacle et la société, Sportriarcat est « une œuvre éclatée et pleine d’humour qui invite le public à porter un regard neuf sur nos institutions politiques, sportives et médiatiques, pour mieux réécrire les narratifs de la puissance au féminin ». C’est la proposition à laquelle nous convient les artistes de danse et de théâtre de cette création de Claire Renaud, scénographe, autrice et metteuse en scène de théâtre. Celle-ci signe le premier spectacle des Précieuses fissures, une compagnie de théâtre interdisciplinaire dont « la mission est de créer des œuvres à portée sociale et philosophique ». Un collage de matériaux textuels, sonores, vidéos et performatifs.

Du 14 mars au 1er avril, à Espace Libre

Luc Boulanger, La Presse

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