Un nouveau pan d’histoire est en train de s’écrire chez Duceppe. Pour la première fois en 50 ans, le théâtre ouvre sa scène à la réalité autochtone avec la présentation de la pièce Manikanetish. La Presse a assisté aux répétitions et discuté avec une partie de la distribution.

Dans la grande salle de répétition de Duceppe, située dans le ventre de la Place des Arts, la fébrilité – mais aussi la joie – est palpable. Les 11 interprètes sont réunis pour le sprint final avant la première de Manikanetish, qui doit avoir lieu 12 jours plus tard. Une nouvelle actrice, et pas des moindres, vient de s’ajouter à la distribution : il s’agit de l’autrice Naomi Fontaine, dont le roman a inspiré la pièce.

Tous ces interprètes sont autochtones et plantent leurs racines à divers endroits du territoire : Uashat, tout près de Sept-Îles, Mashteuiatsh sur les rives du lac Saint-Jean, la Gaspésie où est installée la Nation gespeg.

  • Répétitions de la pièce Manikanetish

    PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

    Répétitions de la pièce Manikanetish

  • Répétitions de la pièce Manikanetish

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    Répétitions de la pièce Manikanetish

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    Répétitions de la pièce Manikanetish

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Certains sont des acteurs professionnels, d’autres étudient dans le milieu du théâtre ou de la radio. D’autres encore sont des interprètes amateurs. Mais tous portent en eux le désir vibrant de faire jaillir sur scène une réalité trop souvent négligée au théâtre, celle vécue aujourd’hui par la jeunesse autochtone du Québec. La pièce mise en scène par Jean-Simon Traversy raconte en effet le quotidien d’une enseignante qui retourne dans la réserve innue d’Uashat où elle est née. D’abord empreints de méfiance, les liens se tissent au rythme des expériences avec son groupe d’élèves du secondaire à l’école Manikanetish.

Naomi Fontaine, qui a enseigné le français à l’école d’Uashat, explique : « Dans mon roman, j’ai voulu rendre hommage à ces jeunes et les représenter dans la modernité, avec leur force et leur courage. Je voulais montrer par où ils sont passés. Dans leur existence, il y a la vie à la réserve, mais il y a aussi Nutshimit, la forêt. Même si ces jeunes vivent loin, ils ont des rêves ; ils ont aussi une solidarité qui va toucher le public. Moi, ils m’ont inspirée dans ma façon d’affronter les difficultés de la vie. »

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L’écrivaine Naomi Fontaine s’est ajoutée récemment à la distribution.

Cette pièce va briser des barrières. Les gens ont des préjugés sur nous qui ne nous correspondent pas. Ils vont pouvoir entrer chez nous pour faire notre connaissance. Les jeunes Innus ont le droit d’exister comme ils sont, avec la langue et l’habillement qui leur plaisent. Ils ont le droit d’aller dans le bois, mais aussi de faire du théâtre…

Naomi Fontaine, écrivaine et interprète

D’ailleurs, Naomi Fontaine est « épatée » de voir tous ces acteurs et actrices, dont certains sont encore des adolescents, affronter avec autant de solidarité l’immense défi que constitue le spectacle. Parce que ce n’est pas rien de se retrouver sur une scène de la Place des Arts pour sa première expérience de jeu. « Ils sont exceptionnels, car ils mettent tout leur cœur dans ce projet. Moi qui ne suis pas une actrice, ils m’ont donné le goût de me pitcher, de commencer quelque chose. Les voir me donne du courage. Je me sens comme eux, vulnérable et fébrile. »

Le théâtre qui change une vie

Si le théâtre exige du courage, il offre aussi beaucoup en retour. Marc-Olivier Gingras, le clown du groupe qui vient de terminer ses études en radio au cégep de Jonquière à 19 ans, raconte : « Lorsque j’étais au secondaire, je me faisais beaucoup intimider. L’improvisation m’a permis de m’évader et d’extérioriser une rage de vivre que j’avais à l’intérieur. »

Élève dans une école de Sept-Îles, Lashuanna Aster Vollant, 16 ans, partage le même sentiment.

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Lashuanna Aster Vollant va vivre sa première expérience professionnelle dans Manikanetish.

En 6e année, je me suis inscrite à une activité parascolaire de théâtre sans savoir ce que c’était. Je pensais que ça allait peut-être m’aider, car j’ai toujours eu de la difficulté à m’exprimer. Je fais aussi beaucoup d’anxiété.

Lashuanna Aster Vollant

Elle poursuit : « Jouer quelqu’un d’autre que moi me fait du bien. Le théâtre m’aide à être moi-même ; il me fait du bien. Souvent, j’ai raté des cours à cause de mon anxiété, mais j’allais toujours à mes cours d’art dramatique. Aujourd’hui, je n’ai pas d’autres plans que de devenir actrice. »

Charles Buckell-Robertson, l’acteur le plus expérimenté de la troupe, agit un peu comme un mentor au sein de l’équipe. Celui qu’on a vu sur les planches (AlterIndiens à la salle Fred-Barry), au cinéma (Mesnak) et à la télévision (Une autre histoire et Pour toi Flora, notamment) a découvert le théâtre presque par hasard, au Centre de formation pour adultes d’Alma. « Le théâtre m’a permis de développer mon estime de moi. Aujourd’hui, j’ouvre la voie, je fais les chemins d’hiver pour plusieurs jeunes de cette production qui découvrent qui ils sont par les arts. Ils doivent toutefois savoir qu’une carrière en théâtre ou en cinéma vient avec de grands sacrifices, dont celui de quitter sa communauté. » Or, comment gagner sa vie convenablement si ces interprètes déracinés sont cantonnés aux rares productions à résonance autochtone ? dit-il.

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Charles Buckell-Robertson agit un peu comme un mentor sur la jeune troupe de Manikanetish.

Le théâtre est un art universel. Dans la pièce, je joue notamment un personnage blanc. C’est important pour moi de montrer qu’un acteur autochtone peut jouer autre chose que des rôles d’Autochtones. On le voit d’ailleurs dans la pièce, alors que les élèves montent le Cid de Corneille. C’est un texte qui peut sembler inaccessible, et pourtant.

Charles Buckell-Robertson, acteur

Alexia Vinci, une jeune femme d’origine mi’kmaq qui étudie l’art dramatique à l’UQAM, cite de son côté le dramaturge et écrivain Yves Sioui Durand : la scène est le seul territoire où j’existe. « Avec le théâtre, on vit une expérience commune qui est rare de nos jours. Il y a pour moi une notion qui relève du sacré. Lorsque je joue, je pense à mes ancêtres. Il se passe quelque chose qui est plus grand que nous. » Elle espère d’ailleurs pouvoir purifier la scène du théâtre Duceppe avant le début des représentations.

Une initiative qui pourrait donner un sentiment de sécurité à ces acteurs qui vont avoir « une boule au ventre » le soir de la première. « C’est certain que c’est stressant de se retrouver devant 700 paires d’yeux, lance Marc-Olivier Gingras. Mais c’est une expérience gratifiante qui va augmenter la visibilité des Premières Nations. On commence à occuper une place plus respectable qu’avant sur les scènes et ça aide à mieux faire comprendre notre culture. »

Ils pourront compter sur la présence dans la salle de membres de la communauté innue. « Je suis certaine que ce sera la pièce la plus vue par des Innus dans toute l’histoire du théâtre, lance Naomi Fontaine. Ce sont eux qui seront nos meilleurs juges puisqu’on les représente. Et je pense qu’on va les toucher… »

Manikanetish est présentée du 8 mars au 8 avril chez Duceppe

Consultez le site de Duceppe