Elle n’est pas actrice ni metteure en scène et ne travaille pour aucune compagnie de théâtre. Pourtant, chaque saison, Lucie LeBlanc incite des centaines de personnes à aller au théâtre grâce à son énergie contagieuse et à son irrépressible passion pour l’art dramatique.

Depuis 25 ans, cette résidante de Terrebonne achète des centaines de billets de théâtre au tarif de groupe pour des amis, des collègues et tous ceux qui souhaitent fréquenter les théâtres de Montréal à moindre coût. Et sans trop se casser la tête.

Les chiffres donnent le tournis. Pour la seule saison 2018-2019, elle a acheté 2769 billets dans 10 théâtres de la métropole pour une somme totale de plus de 106 000 $. Quelque 450 personnes ont ainsi pu voir les pièces qui les intéressaient dans la grille de 63 productions concoctée cette année-là par Lucie LeBlanc et envoyée par courriel à son imposant réseau. D’ailleurs, ces statistiques impressionnantes avaient encore grimpé lorsque la pandémie a frappé…

Comment tout cela a-t-il commencé ? À cause du dramaturge Michel Marc Bouchard, lance en riant cette analyste d’affaires en technologie de l’information chez Intact. « J’ai rencontré Michel Marc lors d’une fête en 1997. On a discuté. Il présentait la reprise des Muses orphelines au Théâtre d’Aujourd’hui. Le lundi suivant, au bureau, j’en ai parlé à des collègues. J’ai réussi à rassembler un groupe de 12 personnes, le minimum requis pour un tarif réduit. »

À l’époque, Lucie LeBlanc fréquentait les théâtres de la métropole sporadiquement. Sans plus. Mais l’écriture sensible de Michel Marc Bouchard a changé la donne. « Les histoires de ce gars-là me happent tout le temps. »

À la fin des années 1990, Michel Marc Bouchard était souvent à l’affiche dans des soupers-théâtre pendant l’été. Chaque fois, Lucie LeBlanc constituait un groupe. Des amis d’amis se sont joints aux adeptes de la première heure. « Les gens me disaient : “C’est le fun, on ne s’occupe de rien.” »

Petit groupe deviendra grand

En 2000, elle s’est lancé un défi : organiser sa propre saison avec sept pièces jouées au Rideau Vert et chez Duceppe. Pour l’occasion, elle a ouvert ses horizons et proposé à son réseau du Tennessee Williams, du Edward Albee, du Maurice Maeterlinck… Elle a gagné son pari haut la main, au point où, les années suivantes, elle a étendu naturellement son offre à La Licorne et à Espace Go. Les autres théâtres de la métropole ont suivi… « Je me suis fait prendre au jeu, dit-elle. Aujourd’hui, c’est mon hobby d’organiser ce groupe. »

Pour la saison 2022-2023, un total de 1800 billets ont déjà trouvé preneur chez les membres du « groupe à Lucie », comme l’appellent simplement les responsables des ventes des différents théâtres.

Il faut le dire : pour les théâtres, les efforts de Lucie LeBlanc pour rassembler des spectateurs sont une véritable bénédiction. Pour la pièce Féministe pour homme, elle a réuni 100 spectateurs à l’Usine C pour une seule représentation. Pour la très attendue production Projet Riopelle (titre de travail) présentée chez Duceppe le printemps prochain, elle a acheté 210 billets étalés sur 3 représentations. À La Licorne, les 175 sièges de la salle principale ont déjà été réservés par Lucie LeBlanc pour la pièce Tu te souviendras de moi.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Philippe Lambert, directeur artistique et général de La Licorne

Lucie est une vraie ambassadrice de théâtre Il faut saluer son ouverture : elle ne se cantonne pas à un seul théâtre ni à un seul style. L’offre qu’elle fait à son réseau est très éclectique. Elle agit un peu comme une guide pour les gens qui connaissent moins le théâtre en leur offrant du clés en main. C’est extraordinaire. C’est une femme très précieuse pour le théâtre montréalais !

Philippe Lambert, directeur artistique et général de La Licorne

Même son de cloche chez Duceppe. « On a plusieurs groupes d’adultes qui se forment pendant la saison, mais aucun de l’ampleur de ceux de Lucie LeBlanc », estime Julie Vigneault, gestionnaire des ventes et du service à la clientèle. « Elle propose souvent à son réseau toute notre programmation, et ce, de manière assidue. On la traite comme une abonnée. On lui révèle notre programmation à l’avance, on essaie de lui garder de bons sièges. Ce qui est fantastique, c’est que son affection du théâtre ne lui vient pas de son métier. Elle est simplement une spectatrice passionnée. On comprend qu’elle fédère autant de monde autour d’elle. »

La passion partagée comme seule récompense

Le plaisir de faire partager cette passion théâtrale est d’ailleurs le seul salaire que s’accorde Lucie LeBlanc. Elle n’accepte aucun billet de faveur. « Je fais partie de la gang au même titre que les autres. Mon objectif, c’est de faciliter l’accès pour que le monde puisse aller au théâtre. Il y en a encore qui pense que cet art est réservé à l’élite. C’est faux. Tout le monde peut y trouver quelque chose qui le touche. J’incite les gens à essayer… »

La femme de 56 ans et mère de deux enfants de 15 et 12 ans poursuit : « Je suis vraiment impressionnée par le théâtre, par les artistes qui se lancent sans filet à chaque représentation. Je ne sais pas comment ils font, surtout pour les grands drames. Ils se vident les tripes pour le public. Il n’y a rien de plus beau ! Comment ils font pour se remettre de ces partitions soir après soir ? »

Contrairement à ce que certains peuvent penser, celle qui peut assister à 50 pièces par saison n’a jamais rêvé d’être une actrice. « Dans mon village natal de Lyster, j’ai joué dans Ben-Ur de Jean Barbeau. J’incarnais un singe ; j’avais 8 ans. Je n’étais pas très bonne, mais j’assistais à toutes les répétitions. Je connaissais tout le texte par cœur. Voir les acteurs travailler me fascinait. Ma passion du théâtre est née dans cette salle paroissiale. »