Rarement une femme qui claque la porte d’une maison pour quitter le domicile conjugal aura autant fait parler d’elle. Depuis 1879, Nora Helmer, personnage principal d’Une maison de poupée, le classique de Henrik Ibsen, a inspiré des centaines de créateurs et créatrices. De Elfriede Jelinek à Rébecca Déraspe en passant par le réalisateur Rainer Werner Fassbinder.

Car en laissant derrière elle mari et enfants, Nora a fait le choix de vivre sa vie en toute liberté. Quitte à bousculer la morale de son époque. Avec le temps, le personnage est devenu un symbole de l’émancipation des femmes, voire du féminisme ; même si Ibsen disait que la seule chose qui l’intéressait, c’était « de s’efforcer de dépeindre la nature humaine ».

En 2017, l’auteur américain Lucas Hnath est allé encore plus loin. Dans Une maison de poupée, 2e partie, il a imaginé une suite où Nora revient cogner à la porte de la maison, 15 ans plus tard. Indépendante et sûre d’elle, Nora écrit désormais des romans à succès, tout en collectionnant les amants. Depuis son départ, Nora n’a pas donné signe de vie à sa famille. Elle revient dans son ancien foyer pour régler une question de papiers de divorce avec Torvald, son ex-mari, un banquier qui apparaît plus conciliant que le personnage original.

À la fois suite respectueuse et relecture contemporaine, Une maison de poupée, 2e partie reprend les thèmes de l’œuvre d’Ibsen : la critique de l’institution du mariage, des rapports homme-femme dans le couple, de la famille traditionnelle, de la morale bourgeoise… pour en exposer l’actualité. « Si la Nora de Ibsen a fait trembler les piliers du temple à sa création en 1879, la Nora de Lucas Hnath nous rappelle qu’ils sont encore bien solidement ancrés en 2023 », écrit Marie-France Lambert dans le programme du Rideau Vert. Lambert signe la mise en scène, avec sobriété et efficacité, laissant la place au jeu des interprètes.

PHOTO FRANÇOIS DELAGRAVE, FOURNIE PAR LE RIDEAU VERT

Rebecca Vachon et Macha Limonchik dans Une maison de poupée, 2e partie

Dans le rôle exigeant de Nora, on retrouve avec bonheur Macha Limonchik qui joue pour la première fois au Rideau Vert. La comédienne est sur scène comme un poisson dans l’eau ! Avec sa crinière de feu, Limonchik a un jeu plein de fougue et de fureur qui rappelle celui de la regrettée Michelle Rossignol. Mais une lionne capable d’exposer la vulnérabilité de Nora, cette femme émancipée, mais épuisée d’avoir à toujours se battre pour justifier ses choix de vie.

Dans une langue actuelle, avec quelques « fuck you », que la traduction de Maryse Ward n’atténue pas, Lucas Hnath essaie de nous faire comprendre ce qui a poussé Nora à quitter son foyer. Mais aussi les séquelles de son départ sur ses proches. Tour à tour, Nora affronte son mari (merveilleux Paul Ahmarani), sa fille aînée (lumineuse Rebecca Vachon) et la nourrice qui a élevé ses enfants (Louise Laprade, d’une belle et réconfortante présence).

PHOTO FRANÇOIS DELAGRAVE, FOURNIE PAR LE RIDEAU VERT

Macha Limonchik, Paul Ahmarani et Louise Laprade

Les personnages évoluent dans les splendides costumes d’époque créés par Judy Jonker, dans le décor de Raymond Marius Boucher qui reproduit le seuil de la maison d’une « poupée » qui ose s’affranchir et dire non aux conventions sociales. Après avoir refermé brusquement cette porte, jadis, Nora nous rappelle au passage que le combat pour la liberté et l’égalité des femmes est loin d’être terminé…

Une maison de poupée, 2e partie

Une maison de poupée, 2e partie

Texte de Lucas Hnath, mise en scène de Marie-France Lambert. Avec Macha Limonchik, Louise Laprade, Rebecca Vachon et Paul Ahmarani.

Au Rideau Vert, jusqu’au 25 février

7/10

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