Il se fait (pour l’instant) assez discret au petit et au grand écran, mais sur les planches, Alex Bergeron s’est déjà taillé une solide réputation. À preuve : les plus grands metteurs en scène font appel à lui depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre en 2014.

Après avoir porté avec brio le rôle principal dans La métamorphose pour Claude Poissant l’an dernier, l’acteur de 31 ans s’apprête à remonter sur la scène du Théâtre Denise-Pelletier, cette fois sous la direction d’Alice Ronfard. Il sera Mercadet – un financier manipulateur mais fauché – dans Le faiseur, une pièce d’Honoré de Balzac, adaptée par Gabrielle Chapdelaine.

Le projet pourrait sembler ronflant : porter sur scène un texte écrit en 1840 par un auteur plus connu pour ses romans que pour sa dramaturgie. Pourtant, Alex Bergeron s’amuse comme un fou avec cette pièce « passée au blender » par Gabrielle Chapdelaine, qui en a fait une comédie actuelle où on rit souvent, mais toujours avec un malaise au ventre.

« Cette pièce parle de la futilité de la richesse et de l’inconscience des riches, explique Alex Bergeron. On a gardé l’essence du classique, mais ça se passe au centre-ville de Montréal. La pièce réfléchit au pouvoir et à son effritement, à l’argent, à la servitude volontaire. À mon avis, le plus grand faiseur actuel est Elon Musk, un gars qui n’a rien inventé, mais qui a su exploiter les failles du système pour faire toujours plus d’argent.

« Avec Alice, on réfléchit aussi aux codes du théâtre, poursuit-il. On veut établir un lien différent avec le public ; on veut faire confiance à son intelligence. »

C’est important pour moi que le théâtre parle au public, pas juste que les gens du milieu restent entre eux. Je dois parler à ma mère et mes frères quand je fais un show. Le théâtre part du cœur pour moi.

Alex Bergeron

Pour Alex Bergeron, le théâtre part du cœur, certes, mais le texte descend vite dans le corps chez cet acteur au jeu ultraphysique, qui incarnera notamment Jules César en avril dans l’ambitieux projet shakespearien Rome, de Brigitte Haentjens. « J’ai besoin de me dégager de la théorie. Il y a quelques années, je me suis inscrit à des cours de massothérapie parce que j’avais besoin de concret. J’ai compris comment chaque muscle fonctionne. C’est aussi dans ma nature ! J’ai besoin de bouger, sinon je m’endors. Il faut que je teste des choses dans le mouvement. »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

« On ne peut plus se contenter de juste faire du théâtre. Il faut réfléchir, déborder un peu », croit Alex Bergeron.

Celui qui ne dirait pas non à une invitation pour participer à un spectacle de danse ajoute : « On ne peut plus se contenter de juste faire du théâtre. Il faut réfléchir, déborder un peu. Le cinéma et la télévision font beaucoup mieux que le théâtre lorsqu’il est question de réalisme. Il faut en offrir plus aux gens qui se déplacent pour nous voir. »

L’amoureux des lettres

L’acteur né à Plessisville, dans le Centre-du-Québec, n’a pas baigné dans le théâtre pendant son enfance. La vocation est venue au collégial, lorsqu’un professeur du cégep de Trois-Rivières lui a suggéré de passer ses auditions pour étudier dans une école de théâtre. « Ma mère était directrice pour une compagnie d’assurance, mon père est pressier chez un imprimeur. Mais mes parents m’ont toujours appuyé et assistent à tous mes spectacles. Même quand je fais un solo sur Claude Gauvreau en exploréen ! »

Il a découvert Gauvreau – son coup de foudre littéraire – à l’École nationale de théâtre. Avec lui est venue une pléthore d’autres auteurs. « Le bibliothécaire de l’École, Wolfgang Noethlichs, m’a pris sous son aile et m’a conseillé de lire un livre par semaine pendant mes études. Il a mis le feu à la paille. »

En effet, l’autre (très) grande passion de l’acteur est la littérature. Il travaille d’ailleurs depuis des années à la librairie Le Port de tête, sur le Plateau Mont-Royal, et compte y rester « tant que les proprios voudront de [lui] ».

Au milieu des rayonnages de livres, il a fait la rencontre du défunt metteur en scène André Brassard. « Quand je l’ai vu, je lui ai littéralement sauté dessus. Il a dû me prendre pour un illuminé. On est sortis pour fumer des clopes, on a jasé. Par la suite, il m’appelait pour mettre des livres de côté. Un vendredi sur deux, j’allais lui porter ses livres. On fumait, on buvait du Coke. On parlait. Pendant deux ans et demi, j’ai accompagné Alice Ronfard et André dans leur grand projet sur Michel Tremblay [intitulé La traversée du siècle]. »

Et lors de la cérémonie en hommage à Brassard, il était sur scène pour lire des extraits de textes de Lawrence Ferlinghetti et d’Allen Ginsberg, deux auteurs que le metteur en scène des Belles-Sœurs admirait. « Grâce à des gens comme Brassard, on peut faire du théâtre direct sur l’asphalte. Ceux qui nous ont précédés ont défriché pour nous. »

Le faiseur est présenté au Théâtre Denise-Pelletier du 25 janvier au 18 février.

Consultez la page du spectacle