Il fallait du cran pour se lancer dans pareil projet : adapter pour la scène une relation épistolaire qui a duré 15 ans entre les deux monstres sacrés que sont l’écrivain Albert Camus et l’actrice Maria Casarès. Le résultat est bouleversant, en particulier pour la force de ses mots.

Un total de 865 lettres s’étalant sur quelque 1300 pages, en plus d’innombrables entrevues, pièces de théâtre, discours. Voilà la somme de textes qui a servi de base pour construire la pièce Je t’écris au milieu d’un bel orage, présentée au Théâtre du Nouveau Monde. L’acteur et poète Dany Boudreault a réalisé un travail d’orfèvre pour dégager de cette masse littéraire une trame narrative d’une beauté sublime.

Il faut dire que les deux amants maniaient le verbe avec grâce. Leurs mots charrient tantôt la passion et le désir, tantôt la jalousie de l’un ou les doutes artistiques de l’autre. Mais toujours, ces mots sont précis comme des coups de scalpel et restent d’une intensité que seul l’amour fou peut engendrer.

L’une des grandes forces de cette pièce est de parvenir à nous faire oublier Casarès et Camus pour laisser toute la place à Maria et Albert, deux êtres de chair qui s’exposent à l’autre dans toute leur vulnérabilité.

Dans le rôle de Maria Casarès, Anne Dorval est solide et manie avec talent une partition très complexe. Sa voix tremble un peu lorsqu’elle prend les traits d’une Maria à l’aube de la soixantaine, son rire se fait cristallin pour évoquer l’actrice dans toute la fougue de sa jeunesse. Seul bémol : lorsqu’elle devient Maria la tragédienne, Anne Dorval en fait un peu trop (peut-être pour mieux coller au jeu très maniéré des actrices des années 1950). Son jeu à la limite de la caricature a déclenché quelques rires peu à propos dans la salle le soir de la première.

Dans la peau d’Albert Camus, Steve Gagnon est d’une grande justesse. Souvent à fleur de peau, il livre une interprétation à mille lieues de l’image de l’écrivain en parfait contrôle que le Prix Nobel de littérature de 1957 dégageait. Contrairement à Maria Casarès, le personnage de Camus reste figé dans le temps. Mort à l’âge de 46 ans dans un accident automobile, l’écrivain ne vieillira jamais…

La force des mots

À la mise en scène, Maxime Carbonneau a trouvé plusieurs images fortes, notamment lors de la finale très émouvante (on ne divulgâchera rien ici). L’utilisation de la vidéo ajoute aussi une dimension intéressante. Seulement, beaucoup de répliques sont échangées de manière statique, les deux amants se tenant de part et d’autre de la scène. Il faut donc tendre l’oreille avec plus de soin, car c’est par les mots plus que par les ingéniosités scéniques que ce spectacle atteint notre cœur.

De fait, il n’était pas simple de donner vie à des amants d’encre et de papier, qui se sont écrit de longues lettres enflammées pour combler leur éloignement. Maxime Carbonneau, qui fait son entrée au TNM avec cette pièce, a réussi à rappeler cette distance physique, mais aussi à dépeindre toute la complicité amoureuse et artistique de Camus et de Casarès.

Ces deux-là s’aimaient en dépit de tout. Et cet amour plus grand que nature arrive jusqu’à nous par le truchement d’un spectacle exigeant, certes, mais empreint d’une grande beauté.

Je t’écris au milieu d’un bel orage, adaptation de Dany Boudreault, mise en scène de Maxime Carbonneau. Avec Anne Dorval et Steve Gagnon. Au TNM jusqu’au 19 février.

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Je t’écris au milieu d’un bel orage

Je t’écris au milieu d’un bel orage

Adaptation de Dany Boudreault, mise en scène de Maxime Carbonneau. Avec Anne Dorval et Steve Gagnon.

Au TNM jusqu’au 19 février.

8/10