L’Intuitionniste est le premier roman de Colson Whitehead, publié à l’origine en 1999 et réédité dans cette traduction révisée. Écrit, donc, plus de 15 ans avant Underground Railroad et Nickel Boys, les chefs-d’œuvre qui lui ont permis d’être l’un des rares écrivains à avoir remporté deux prix Pulitzer.

Dans une ville jamais nommée, mais qui évoque Manhattan à une époque où l’on parlait encore de gens « de couleur », Lila Mae Watson détonne au sein du service d’inspection des ascenseurs de la ville. Ses collègues, exclusivement des hommes blancs, sont une espèce de cols bleus vaguement caricaturale, habituée aux pots-de-vin, qui revendique fièrement ce « prestige macho » associé à ce qu’ils appellent l’industrie nationale du transport vertical.

Originaire du Sud, la jeune femme noire a quitté son patelin natal pour étudier et travailler dans le Nord, malgré l’avertissement servi par son père : « Dans le Nord, c’est à peu près comme ici. Les Blancs sont tous les mêmes. Tu trouveras peut-être ça différent, mais crois-moi, c’est du pareil au même. »

Partout où elle va, elle a droit à toutes sortes de grimaces de surprise, voire de méfiance, de la part d’individus qui n’ont jamais vu d’inspecteurs d’ascenseurs « comme elle ».

Ce qui n’aide pas son cas, c’est qu’elle appartient d’autant plus à l’école des intuitionnistes, dont les méthodes sont hautement contestées par les réparateurs empiristes.

Quand un bâtiment de prestige qu’elle a inspecté la veille s’écrase pile au moment où le maire s’apprêtait à monter dedans, elle en vient à croire qu’on lui a tendu un piège. Lila Mae Watson se met alors à enquêter sur les circonstances de l’accident, creusant jusque dans les fondements de la doctrine des intuitionnistes, à la recherche d’une vaste conspiration qui expliquerait le sabotage.

Le ton du roman est ici plutôt railleur, d’un genre pince-sans-rire où il faut s’efforcer, pour en saisir l’ironie, de percer une façade de sérieux bien trop crédible pour être clairement définie comme étant de la satire. Les fidèles de Whitehead reconnaîtront toutefois une certaine parenté entre ce titre et Harlem Shuffle (publié en français l’an dernier), l’auteur ayant donc testé dès ses débuts dans l’écriture l’efficacité de l’humour pour mettre en lumière des questions comme le racisme et le sexisme.

Incontestablement, cette œuvre témoigne du grand génie de l’écrivain ; et cette raison à elle seule suffirait largement à ce qu’on se lance dans sa lecture. Mais force est de constater que L’Intuitionniste est loin de susciter cette gamme d’émotions fortes et d’engagement qu’ont réussi à provoquer des titres comme Underground Railroad et Nickel Boys. C’est bien dommage.

L’Intuitionniste

L’Intuitionniste

Albin Michel

384 pages

6/10