Réflexions, anecdotes, confidences : les riches entretiens de la série balado Juste entre toi et moi sont autant d’occasions d’entendre des personnalités médiatiques et culturelles ouvrir leur cœur et déployer leur pensée.

Je m’attendais à ce que, comme lors de ma dernière visite en février, ce soit son mari, le grand Jacob, qui m’accueille, avec Caroline juste derrière, dans son fauteuil roulant. Mais c’est François Roy, mon collègue photographe, qui m’ouvre la porte ce mardi midi là, chez l’écrivaine Caroline Dawson. Derrière lui : Alfredo, le papa de notre hôte qui, elle, aujourd’hui, restera dans son lit.

On peut remettre notre entrevue à une autre journée, une autre semaine, un autre tantôt, que je lui dis rapidement, en la voyant dans sa robe anthracite. Mais Caroline insiste : pas question de reporter notre rendez-vous, malgré ses batteries à plat et la nouvelle récente qu’elle doit cesser les cycles de chimiothérapie, afin de passer à une autre forme de traitement, l’immunothérapie.

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Nous nous assurons de bien installer l’équipement d’enregistrement pendant que Caroline nous raconte que lors de sa récente participation à une autre émission balado, toujours de son lit, un micro mal fixé lui est tombé en plein front. On rit. Au cours de la prochaine heure, on rira beaucoup, autant qu’on pleurera, sous le regard alangui de Chacal, le chat de la famille. Ainsi que sous celui de Leonard Cohen, dont une affiche, le premier cadeau de Caroline à son mari, trône au-dessus du lit.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Chacal, le chat de notre hôte

Pourquoi a-t-elle souhaité qu’on se rencontre, même si cette journée n’est pas sa meilleure ? « Parce que ça ne va pas si mal que ça, explique-t-elle, et que j’ai toujours trouvé que si j’annule tous mes trucs parce que j’ai mal, ça fait en sorte que je ne vis plus ma vie, que je suis recluse dans la sphère domestique, et ça, ça me fait capoter. »

Dès l’annonce de son diagnostic, en 2021, elle avait demandé à ses amis, aux médias et aux gens du milieu littéraire de continuer à lui envoyer des invitations. C’est qu’il n’existe sans doute pas de meilleure manière de rester du côté de la vie que de continuer de jouer son rôle dans tout ce qui façonne le bel ordinaire du quotidien.

Face au point de vue inconnu

« J’avais sept ans la première fois que j’ai décidé de ne pas me tuer », écrit Caroline Dawson dans son roman Là où je me terre (Éditions du remue-ménage, 2020), auquel succédait au début de cette année le livre de poèmes Ce qui est tu (Triptyque). C’est la première phrase, choc, d’un premier chapitre dans lequel elle se remémore son envie passagère, mais souveraine, de se jeter par la fenêtre au moment où ses parents lui annoncent que la famille quittera son Chili pour le Canada.

« Seulement, je n’ai pas sauté, écrit-elle un peu plus loin. Pas par apathie, pas par paresse. Face à l’appel du néant, j’ai fait le premier choix qui compte. La vie qui s’étirait devant moi a pris toute la place. Je venais d’avoir sept ans et de poser mon premier acte de foi envers le monde qui s’étalerait désormais comme une perspective étrangère, un point de vue inconnu. »

Comment se porte la foi de Caroline envers l’existence et le monde alors que se déploie devant elle, depuis plus de deux ans, un autre genre de point de vue inconnu, celui d’un ostéosarcome à dompter ?

« Elle est plus forte que jamais », répond celle qui aura bientôt 44 ans avec, derrière la voix qui tremble, une conviction de béton armé.

Quand tu as un cancer et des enfants [Bérénice, 6 ans, et Paul, 10 ans], tu te lèves le matin et tu n’as pas le choix. Il est hors de question que je ne me lève pas avec eux, que je ne sois pas avec eux. Je suis convaincue que je vais m’accrocher, les ongles dans le mur, jusqu’à ce qu’on me tire, pour rester en vie.

Caroline Dawson

De son enfance chilienne, il lui restera essentiellement, écrit-elle, ce désir d’« embrasser l’existence, même si pour cela il fallait la transfigurer ». Et au pouvoir de la littérature de transfigurer le réel, Caroline y croit ardemment.

« Ce livre-là, je l’ai écrit parce que je voulais que ma mère devienne un vrai personnage de la littérature québécoise, rappelle-t-elle, et ça n’allait pas de soi, qu’on y trouve des femmes de ménage latino-américaines. Je voulais lui faire cet honneur : tu vas devenir un personnage et tu vas exister dans la tête des gens, pour toujours. »

Aimer les gens, pas les structures

La générosité de son cœur est d’une immensité invraisemblable et, pourtant, Caroline Dawson n’a rien d’une jovialiste ou d’une adepte du déni. Si le drapeau de la lumière est planté à l’un des pôles de son œuvre, celui de la colère et de l’indignation flotte de l’autre.

« Une belle histoire d’une famille qui ne l’a pas eu facile », avait écrit sur les réseaux sociaux le premier ministre François Legault au sujet de Là où je me terre, une formule drôlement euphémisante pour une œuvre énumérant avec autant de poignante précision les sacrifices qu’auront traversés des parents au nom de l’épanouissement de leurs enfants.

« Je n’ai pas aimé ça, je me suis sentie instrumentalisée, se souvient Caroline. Je sentais qu’on prenait mon livre pour dire de belles choses, mais en même temps, est-ce qu’il l’a lu pour vrai ? Mon livre, ce n’est pas juste ça. Mon livre raconte des choses que vous pourriez améliorer et que vous ne faites pas. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Caroline Dawson discutant avec notre journaliste

Malgré tout ce qui la choque, toutes les décisions qui pourraient être prises afin de permettre aux nouveaux arrivants de goûter à une vie plus douce, Caroline demeure néanmoins une citoyenne du pays de l’espoir.

« Les structures me fâchent, mais les gens, je les aime, dit-elle. Il y a tellement de gens extraordinaires. Tu le vois quand tu es à l’hôpital, qu’il y a des infirmières qui en font beaucoup plus que ce qu’elles devraient. Souvent, je me dis : “Tu ne me connais pas, pourquoi est-ce que tu me donnes des soins avec autant de gentillesse et de sollicitude ?” Il y a beaucoup de gens dans ma vie qui ont fait la différence. C’est ça, l’espoir. »

Découvrez les activités de Caroline Dawson au Salon du livre de Montréal Écoutez tous les épisodes de la saison 2 du balado Juste entre toi et moi

Trois citations tirées de notre entretien

À propos de ce en quoi elle croit

« Je ne le sais pas, sincèrement, mais on ne se débarrasse pas facilement d’une éducation catholique si forte. J’ai beaucoup aimé le livre de Jérémie McEwen [Je ne sais pas croire, XYZ]. Il en appelle à arrêter de faire semblant qu’on ne croit pas quand la plupart des gens ont une espèce de spiritualité. Je trouve qu’il y a quelque chose de beau là-dedans. Dire qu’on ne croit pas, c’est facile, mais quand on vit des moments difficiles, on se met à prier. »

À propos de la chimiothérapie

« Je ne pense pas qu’on puisse oublier l’expérience de la chimio, parce qu’elle est tellement totale, très difficile. Éventuellement, tu émerges et tu es correcte et ce n’est pas comme si rien ne s’était passé, mais tu reprends ta vie normale. Mais je ne pensais pas que ça allait autant me changer. On est beaucoup plus fragile après, beaucoup plus vulnérable. »

À propos de Balzac

« Je lis beaucoup et chaque quatre, cinq livres, je n’en peux plus de la littérature contemporaine, qui est parfois très violente, et je me tourne vers Balzac. Il y a des phrases que je considère comme parfaites dans Balzac. Je me sens chez moi. »