Pendant un an, Pattie O’Green a arpenté le mont Royal d’un sommet à l’autre. Sous la pluie, en ski de fond, au crépuscule comme au petit matin. C’est ainsi qu’est né, contre toute attente, Les prophéties de la montagne, un essai personnel d’une douceur aussi revigorante qu’une marche en forêt, où elle parle de tout ce qui fait la montagne et qui fait écho à sa propre vie.

Fébrile, elle nous rencontre sur les lieux mêmes qui lui ont servi d’inspiration ; cette montagne urbaine qui a été sa « cour arrière » dans tous ces moments où elle avait besoin de marcher, que ce soit pour évacuer un trop-plein d’émotions ou chercher une certaine forme d’apaisement. « La montagne est toujours différente même si je vais dans les mêmes lieux. Il y a quelque chose, dans cette espèce de répétition qui n’en est jamais une, qui me réconforte », confie-t-elle.

De la trentenaire indignée qui a signé Manifeste céleste et Mettre la hache, un livre coup-de-poing sur l’inceste dont elle a été victime, il reste aujourd’hui une artiste posée, plus sereine, qui confie avoir enfin trouvé sa place dans l’écriture, après un parcours tortueux qui l’a vue étudier en histoire de l’art, terminer un doctorat en sémiologie, pour ensuite retrousser ses manches et entreprendre une formation professionnelle en horticulture avant de travailler à la Ville et finalement de démissionner… le jour où elle y a obtenu sa permanence.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Pattie O’Green

« Chaque fois que j’ai voulu me sécuriser [dans un emploi], je ne me suis pas sentie heureuse. L’horticulture, ça m’a tellement passionnée que j’ai continué et je suis devenue arboricultrice ; mais à un moment donné, j’ai lié tout ça ensemble dans mon écriture et c’est là que ça se rencontre vraiment de façon holistique. »

PHOTO FOURNIE PAR PATTIE O’GREEN

Fragile Polytechnique, aquarelle de Pattie O’Green

Entre aquarelles et écriture

Durant quatre saisons, Pattie O’Green – un pseudonyme adopté lorsqu’elle a commencé à écrire – a donc exploré les multiples facettes de ce qu’elle appelle « la montagne de tout le monde ». Un an à prendre des notes et à peindre des aquarelles pour explorer de nouvelles façons de voir ces lieux qu’elle connaissait depuis l’adolescence.

« Avant, c’était juste un lieu de rassemblement pour moi, pour faire le party, rencontrer du monde, fumer des joints », dit-elle en riant.

  • Pattie O’Green à côté de l’une des sculptures qui ont inspiré le chapitre du livre intitulé « Vulves debouttes »

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Pattie O’Green à côté de l’une des sculptures qui ont inspiré le chapitre du livre intitulé « Vulves debouttes »

  • Vulve deboutte, aquarelle de Pattie O’Green

    PHOTO FOURNIE PAR PATTIE O’GREEN

    Vulve deboutte, aquarelle de Pattie O’Green

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Mais avec les années, sa relation avec la montagne a changé au point de devenir un lieu d’apaisement – et de guérison, même. Elle en est venue à explorer son versant nord, découvrant « un éclectisme extraordinaire » qui en fait selon elle un lieu unique.

« Central Park, par exemple, a été tout fait par Olmsted [l’architecte-paysagiste américain qui a conçu le parc du Mont-Royal]. Mais ici, on a plein d’aménagements paysagers. Il y a le parc du Mont-Royal qui a été conçu d’une certaine façon et qui a été transformé au fil des années ; si on va au cimetière du Mont-Royal, c’est différent ; si on va du côté de l’Oratoire ou du bois Summit, c’est un autre monde », illustre-t-elle.

Et dans chacun de ces lieux, la nature n’est pas conservée et traitée de la même manière, remarque l’horticultrice-arboricultrice. « Je trouve ça tellement important d’avoir différentes possibilités de rapports à la nature, parce qu’il y en a qui vont se sentir à l’aise juste dans des chemins très vastes comme au cimetière, par exemple. On n’a pas tous la même façon d’entrer en contact avec la nature. »

  • Champ avec pin au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, aquarelle de Pattie O’Green

    PHOTO FOURNIE PAR PATTIE O’GREEN

    Champ avec pin au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, aquarelle de Pattie O’Green

  • Tombe Molson, aquarelle de Pattie O’Green

    PHOTO FOURNIE PAR PATTIE O’GREEN

    Tombe Molson, aquarelle de Pattie O’Green

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La montagne qu’elle décrit dans son livre est tantôt une « oasis de résonances », tantôt le lieu privilégié du « cruising », le refuge des « coureuses de l’aube » ou encore « l’antre des mountain bikers ».

« La montagne a plusieurs visages ; la façon dont elle se modifie, la façon dont elle est aménagée, mais aussi appropriée, souligne-t-elle. Pour certains, l’espace du lac aux Castors, c’est le parc pour enfants. Pour d’autres, c’est chiller en gang puis boire de la bière, ou faire un grand pique-nique familial… »

Mais pour Pattie O’Green, la montagne est devenue une allégorie de la vie, un territoire qui devient le prolongement de notre propre corps. « Et c’est de là, écrit-elle dans son livre, que naissent la nécessité et l’énergie d’en prendre soin. »

Les prophéties de la montagne

Les prophéties de la montagne

Marchand de feuilles

287 pages