(Montréal) Que notre joie demeure, le dernier livre de l’écrivain québécois Kevin Lambert, est en lice pour le prestigieux prix Goncourt 2023.

« C’est beaucoup de joie et une forme de vertige aussi, le téléphone arrête pas. Je m’attendais pas à ça », a-t-il confié au bout du fil.

Le jeune auteur du Saguenay a appris mardi matin qu’il se retrouve sur la liste de la première sélection du prix littéraire.

La liste du Goncourt sera raccourcie à huit et quatre titres d’ici fin octobre, et le prix sera décerné en novembre.

Que notre joie demeure, un roman engagé, très fouillé sur le sujet de l’architecture, discute des dérives de la classe dominante et de l’embourgeoisement à Montréal.

Kevin Lambert croit que son dernier roman a intéressé les gens pour les questions éminemment politiques qu’il aborde, mais il est heureux que cette nomination reconnaisse également son style d’écriture.

« C’est le cœur de mon travail d’artiste, c’est de non seulement parler de certains enjeux, mais d’en parler d’une certaine manière », a-t-il expliqué.

« Je pense que ces prix-là s’intéressent aussi à la question du style et à la manière dont les choses sont écrites. »

Même s’il aborde de front des sujets sociaux, l’auteur explique qu’il essaie de maintenir une certaine ambiguïté dans son écriture « en produisant un objet littéraire qui est complexe, qui donne pas son message trop facilement ou trop clairement ».

« Les arts ont besoin d’une certaine opacité pour être intéressants », a-t-il précisé.

Que notre joie demeure est aussi en nomination pour le prix Décembre.

Il s’agit du troisième roman de Kevin Lambert, après Tu aimeras ce que tu as tué et Querelle de Roberval, qui se sont retrouvés respectivement finaliste et en première sélection du prix Médicis.

Débat politique

Le dernier livre de Kevin Lambert a fait beaucoup jaser dans les derniers mois, en raison de la querelle publique qu’il avait suscitée entre l’auteur et le premier ministre François Legault.

M. Legault avait fait un compte-rendu de l’ouvrage sur ses réseaux sociaux, et l’écrivain lui avait reproché de ne pas avoir compris son message en pleine crise du logement.

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Interrogé sur la possibilité que ses livres soient récupérés à des fins politiques, Kevin Lambert croit que c’est précisément ce qui est arrivé avec le premier ministre.

« C’est pour ça que j’ai voulu y répondre. Je voulais pas que mon livre leur serve à se donner bonne conscience, bonne figure », a-t-il soutenu.

Cette controverse avait toutefois fait bondir les ventes du livre de l’auteur.

Seize titres en première sélection

PHOTO FOURNIE PAR POL

Neige Sinno, avec le très dur, mais très sensible Triste tigre (POL), sur l’inceste dont elle a été victime, est une prétendante sérieuse au Goncourt.

La première sélection de romans du prix Goncourt révélée mardi, avec 16 titres, comprend celui d’Éric Reinhardt et de nombreuses révélations, comme Neige Sinno ou Kevin Lambert.

Parmi les « vedettes » de cette rentrée littéraire, l’Académie Goncourt a écarté des auteurs comme Sorj Chalandon ou Amélie Nothomb.

Les éditions Gallimard se taillent la part du lion, avec cinq titres. Dans le même groupe, Madrigall, POL place un titre, et les éditions de Minuit un également.

La maison de la rue Gaston-Gallimard mise beaucoup sur Sarah, Susanne et l’écrivain d’Éric Reinhardt, également connu pour L’amour et les forêts, récemment porté à l’écran.

Mais comme l’a écrit sur son blogue l’un des jurés du Goncourt, Pierre Assouline, cet écrivain a une « personnalité » et une œuvre « clivantes », qui suscitent « des réactions radicales ».

Les autres écrivains Gallimard ont leurs chances, comme le Japonais francophone Akira Mizubayashi, avec le délicat Suite inoubliable. Mokhtar Amoudi, avec son premier roman, Les conditions idéales, démarre fort sa carrière d’écrivain, ayant déjà remporté le prix Envoyé par la Poste. Dominique Barbéris (Une façon d’aimer) et Vincent Delecroix (Naufrage) partent de plus loin.

Des romanciers qui montent

Neige Sinno, avec le très dur, mais très sensible Triste tigre (POL), sur l’inceste dont elle a été victime, est une prétendante sérieuse. Jean-Philippe Toussaint, auteur d’une œuvre fournie qu’apprécient certains jurés, également grâce à son hommage à Stefan Zweig dans L’échiquier (Minuit).

Grasset est le seul éditeur cité deux fois, avec Léonor de Récondo (Le grand feu) et Antoine Sénanque (Croix de cendre). Pour cette maison, la saison des prix d’automne sera particulière, avec la prise de contrôle de Hachette Livre par le groupe Vivendi du milliardaire Vincent Bolloré.

Les autres maisons d’édition placent un titre, que ce soit de grandes comme Albin Michel, Stock, Seuil ou Robert Laffont, ou de plus petites comme L’Observatoire, Le Nouvel Attila et L’Iconoclaste. Actes Sud est notoirement absent de la liste.

L’Académie Goncourt a retenu des romanciers qui montent tels que Jean-Baptiste Andrea, qui a déjà remporté le prix du roman Fnac avec Veiller sur elle, ou Dorothée Janin, avec La révolte des filles perdues (Stock).

Christine Angot nouvelle jurée

PHOTO STÉPHANE DE SAKUTIN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Christine Angot

La liste du Goncourt comprend deux universitaires passées au roman, Laure Murat pour Proust, roman familial (Robert Laffont), et Cécile Desprairies qui raconte l’histoire de sa mère dans La propagandiste (Seuil).

Pierre Assouline a déjà signalé le bien qu’il pensait de Gaspard Kœnig avec Humus (L’Observatoire). Il n’est probablement pas seul à avoir goûté cette histoire étrange de lombrics.

Le jury du Goncourt, qui compte dix membres, bouge peu. Il intègre cette année la romancière Christine Angot, lectrice avide aux avis tranchés, qui pourrait bousculer certaines habitudes.

Le plus prestigieux des prix littéraires français doit être décerné le 7 novembre, au restaurant Drouant à Paris comme le veut la tradition.

Une deuxième sélection est prévue le 3 octobre, puis la liste des quatre finalistes doit être révélée le 25 octobre à Cracovie, pour célébrer les 25 ans du premier « choix Goncourt », une série de prix internationaux dont les jurys sont composés d’étudiants et lycéens français et francophiles.

Avec l’Agence France-Presse